Incendies : des leçons à tirer

Face aux récents incendies, Israël a rallié les bonnes volontés mais sa préparation face aux risques naturels n'est pas optimale

Nataf, un restaurant détruit (photo credit: YONATAN SINDEL/FLASH 90)
Nataf, un restaurant détruit
(photo credit: YONATAN SINDEL/FLASH 90)
«C’était le meilleur et le pire de tous les temps, le siècle de la folie et celui de la sagesse. » Ainsi débute Le conte des deux cités, un roman écrit en 1859 par Charles Dickens, consacré aux deux villes tumultueuses qu’étaient Londres et Paris avant et pendant la Révolution française. Ces mots du romancier anglais pourraient aussi décrire le peuple d’Israël et ses dirigeants durant et après la désastreuse série d’incendies qui ont débuté le 22 novembre dernier et se sont propagés pendant près d’une semaine.
Les temps de crise révèlent le meilleur de nous-même, mais aussi le pire. Le pire d’abord : les dégâts engendrés par ces centaines d’incendies (plus de 600) sont estimés à 1 milliard de shekels – dont la moitié juste pour la ville de Haïfa –, et près de 2 500 hectares de forêts et de broussailles ont brûlé. Par chance, aucune perte humaine n’est à déplorer, même si plus de 100 personnes ont dû être conduites à l’hôpital pour avoir inhalé de la fumée.
Cette série d’incendies s’est déclarée après deux mois de sécheresse auxquels ont succédé des températures élevées, un taux d’humidité proche de zéro et des vents violents qui ont desséché broussailles et tapis de feuilles mortes. Des étincelles transportées par le vent ont parfois parcouru plusieurs centaines de mètres engendrant de nouveaux incendies. Il semble que dans près de la moitié des cas, ces feux aient été d’origine criminelle. A Haïfa, les foyers semblent avoir démarré en quatre points différents, ce qui confirme cette thèse.
Le meilleur, ensuite : les voisins d’Israël ont répondu à son appel et lui ont fourni de l’aide. Onze pays (Chypre, Russie, Croatie, Italie, Turquie, Grèce, Jordanie, Egypte, Azerbaïdjan, France et Ukraine) ont envoyé des avions, de l’équipement et des pompiers. 40 anciens soldats du feu américains ont « refusé de regarder la tragédie à distance » et ont fait près
de 20 heures d’avion pour lutter aux côtés de leurs frères israéliens. Ces hommes faisaient partie de l’Emergency Volunteer Project (EVP), une organisation humanitaire mise sur pied par Israël il y a sept ans pour former des pompiers américains bénévoles capables d’unir leurs forces en cas de situation d’urgence. Le chef de l’Autorité palestinienne
Mahmoud Abbas a également envoyé des camions de pompiers et des équipes de lutte anti-incendie. Des Israéliens, enfin, se sont portés volontaires pour relayer les pompiers épuisés, évacuer les personnes âgées ou secourir les animaux de compagnie ; ils ont aussi largement approvisionné les soldats du feu en vivres et en boissons.
Des lacunes certaines
Pompiers, police, armée, équipes médicales d’urgence et membres de la protection civile ont tous travaillé main dans la main, en bonne harmonie, car ils s’étaient préparés ensemble à travers de nombreux exercices de simulation. Des postes de commandement sur sites ont été établis rapidement, tandis que des hélicoptères et des drones ont fourni de précieuses informations visuelles aux équipes sur le terrain.
Après l’incendie du mont Carmel, un escadron de 14 avions anti-incendie a été créé. Lors des derniers sinistres, les pilotes de ces appareils ont risqué leur vie, volant à basse altitude pour déverser des produits retardants sur les flammes, et travaillant jour et nuit sans relâche. Cependant, des experts en lutte contre le feu ont jeté le doute quant à l’efficacité de ces engins, faisant valoir que les avions d’épandage agricole utilisés auparavant par Israël étaient plus précis. « Ces petits avions très maniables, capables d’effectuer des piqués et des virages en phase ascensionnelle, pouvaient disperser les produits retardants bien plus près des cibles, ce qui leur permettait de s’attaquer à des feux que des appareils plus volumineux ne peuvent maîtriser. Ainsi, les maisons ne brûlaient pas, parce que les pilotes descendaient très bas et étouffaient le feu à la source. Ce n’est pas la quantité d’eau ou de produit retardant qui compte, mais la précision », indique l’un de ces spécialistes. Et de pointer les coûts plus importants du nouvel escadron. Selon lui, la lutte aérienne contre les incendies coûtait auparavant 5 millions de shekels par an, produits retardants non compris. Désormais, avec 14 avions exclusivement dédiés à cette mission, le coût est multiplié par dix. « Et en plus, les maisons brûlent », assène l’expert.
Chacun des 14 avions de l’escadron transporte 3 000 litres de produits chimiques. Une fois les liquides déversés, il leur faut atterrir pour procéder au rechargement. A titre de comparaison, les appareils venus de Russie, de Grèce et de Turquie, bien plus grands, allaient pour leur part s’alimenter en eau de mer près des côtes, et il ne leur fallait ensuite que cinq minutes pour déverser sur les flammes de Haïfa les quelque 6 000 litres ainsi chargés… Le célèbre supertanker américain, lui, est arrivé après la bataille. Il s’agit d’un Boeing 747-400 capable de répandre près de 75 000 litres d’eau, soit 25 fois plus que chacun des avions de l’escadron israélien. Ce supertanker a tout de même arrosé les forêts entourant Nataf pour éviter toute reprise de feu. Le prix facturé pour ses services a été tout aussi considérable que l’avion lui-même.
A la suite des derniers incendies, Benjamin Netanyahou a proposé la création d’un escadron international de lutte aérienne contre les incendies. L’idée est judicieuse, car ce qu’un pays ne peut se permettre à lui seul, une douzaine de nations en sont capables. Les avions pourraient ainsi voler rapidement vite d’un pays à l’autre en cas
de nécessité.
Comme il fallait s’y attendre, l’opposition n’a pas manqué de réclamer une enquête parlementaire après les incendies. Mais cette initiative va à l’encontre des intérêts du pays : il est plus constructif d’analyser les événements afin d’en tirer des leçons plutôt que de distribuer des blâmes.
Les désastreux incendies de novembre appellent au moins deux conclusions relatives aux magnifiques forêts d’Israël. Au fil des ans, le KKL a planté plus de 240 millions d’arbres sur tout le territoire, couvrant plus de 125 000 hectares de terres, ce qui est extrêmement louable. Toutefois, il s’agit surtout de forêts de pins, une famille d’arbres très inflammables, comme nous l’avons vu à Haïfa, à Nataf et ailleurs. D’où la nécessité pour le KKL de préférer d’autres espèces botaniques.
D’autres leçons doivent être tirées concernant les départs de feu. Dans les forêts américaines, par exemple, il existe partout des bandes pare-feu destinées à ralentir la propagation des incendies. Après la tragédie du mont Carmel, Israël a commencé à aménager de telles protections, mais pas en nombre suffisant. Il convient d’en mettre davantage en place, même si leur utilité peut être remise en question en cas de vents très violents, comme c’était le cas lors de la dernière vague d’incendies.
Yohay Carmel, professeur au Technion, fait remarquer que le changement climatique global provoque des phénomènes nouveaux. En 2010, année de l’incendie du Carmel, les premières vraies pluies n’étaient tombées que début décembre, de sorte que la végétation avait enduré 9 mois d’aridité consécutifs. La situation était similaire en novembre dernier et cela risque de se reproduire. D’ailleurs, des incendies de même acabit ont également ravagé des forêts du pourtour de la Méditerranée, en France, en Espagne, au Portugal et en Grèce, mais aussi en Californie et en Australie.
La question des dédommagements
Qui va dédommager les victimes dont les logements ont été abîmés ou détruits ? Moshé Kahlon, le ministre des Finances qui vit à Haïfa, a annoncé que le gouvernement s’en occuperait, ce qu’a confirmé le Premier ministre. Quant à Arye Deri, ministre de l’Intérieur, il a expliqué qu’une première somme de 2 500 shekels serait versée à tous ceux qui ont subi des dommages matériels.
En Israël, les dégâts matériels dus au terrorisme sont compensés par le Fonds de l’impôt foncier, géré par l’administration fiscale. Ce fonds dispose actuellement de 8,3 milliards de shekels, auxquels le gouvernement s’est engagé à ajouter 1,7 milliard, soit largement assez pour indemniser les victimes des incendies. L’assurance habitation, quant à elle, porte sur deux aspects : le bâtiment lui-même et le mobilier et les objets qu’il contient. Cependant, dans le cas d’incendies criminels, les victimes ne peuvent pas se tourner vers leur assurance. Par ailleurs, le Fonds des impôts fonciers ne rembourse jamais plus de 150 000 shekels pour le mobilier. Kahlon souhaiterait donc que les compagnies d’assurances prennent en charge la différence entre ce plafond et le montant réel des dégâts causés à l’intérieur des logements. Il est probable que les compagnies acceptent, dans la mesure où le gouvernement les a généreusement soulagées de sommes compensatoires considérables en qualifiant nombre de ces incendies « d’actes terroristes ».
Selon le quotidien économique The Marker, 60 % des logements israéliens sont couverts par une assurance, et seule la moitié des polices portent à la fois sur le bâtiment et son contenu. Après l’incendie du mont Carmel, par exemple, qui était dû à une négligence, le gouvernement n’a pas dédommagé les familles qui n’avaient pas d’assurance. Nous nous retrouvons ainsi dans une situation absurde : les personnes prudentes qui ont contracté une assurance complète (bâtiment et contenu) vont sortir perdantes : elles ne pourront réclamer de remboursement à leur assureur, puisque le Fonds des impôts fonciers doit les dédommager, mais pour une partie seulement des dégâts. Autant dire que les experts envoyés par ce fonds ont été fort mal accueillis lorsqu’ils ont visité les maisons brûlées de Zikhron Yaakov : les propriétaires avaient compris que la hâte du gouvernement à parler d’incendies criminels allait leur coûter cher.
Comment se préparer aux futurs incendies et désastres naturels ? Dans leur ouvrage Playing against Nature (Jouer contre la nature), le Pr Seth Stein, géophysicien et sismologue, et son père, le Pr Jerome Stein, économiste, traitent cette épineuse question. Face à la nature, disent-ils, on peut faire quatre choses : accepter, transférer, éviter, atténuer.
Accepter, c’est décider que le risque n’est pas assez important pour justifier des investissements massifs en ressources et en efforts. Transférer signifie utiliser l’assurance ou d’autres moyens pour faire passer le risque entre les mains d’une tierce personne. « L’argent des autres, ça n’existe pas », notent les deux auteurs. Le Fonds des impôts fonciers qui compense les victimes, par exemple, est constitué de l’argent des citoyens, payé par les taxes. Quand il est employé à dédommager les pertes subies, on ne fait que transférer l’argent d’une poche à une autre. Un processus qui peut être juste, ou pas. Ce qui est certain, c’est que le critère de justice sociale et de rapport coût-bénéfice devrait toujours être appliqué.
Eviter veut dire limiter l’exposition aux risques. Il existe de nombreuses possibilités d’agir pour empêcher les dégâts consécutifs aux prochains incendies. On peut notamment exiger des propriétaires de maisons particulières et des municipalités d’éviter que les arbres, buissons et broussailles soient trop proches des bâtiments et, comme nous l’avons dit, installer plus de pare-feu aux abords des forêts.
Atténuer, enfin, implique de prendre des mesures supplémentaires pour réduire les dommages et les pertes. Après la catastrophe du Carmel, on a amélioré les capacités des services de pompiers, acheté de nouveaux équipements et réorganisé les équipes de primo-intervenants, ce qui s’est révélé payant lors des derniers incendies. Si les catastrophes naturelles sont imprévisibles, il nous appartient de faire tout ce qui est en notre pouvoir afin d’en minimiser les conséquences. 
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