Une lumière parmi les nations

Focus sur l’organisation IsraAID qui intervient aux quatre coins du monde pour secourir les victimes de catastrophes naturelles

Apprentissage de plantation de semences à Haïti (photo credit: MICKEY NOAM-ALON / ISRAAID)
Apprentissage de plantation de semences à Haïti
(photo credit: MICKEY NOAM-ALON / ISRAAID)
Au sous-sol du musée du peuple juif Beit Hatfoutsot de Tel-Aviv, se trouvent les bureaux d’un organisme israélien hors du commun, dont beaucoup de gens ignorent l’existence. La modestie des locaux et du mobilier atteste du fait que l’association investit tout son budget ailleurs. Les bureaux sont ceux d’IsraAID, qui intervient sur les lieux de catastrophes – ouragans, tremblements de terre, tsunamis, épidémies, ou déplacements en masse de réfugiés. L’organisation apporte non seulement les secours d’urgence, mais demeure ensuite sur les lieux pour mettre en place des projets humanitaires à long terme.
Au cours de ces derniers mois, IsraAID a envoyé des équipes de volontaires pour aider les victimes des ouragans Harvey à Houston, puis Irma en Floride et à Porto Rico. Il a également répondu présent après un séisme au Mexique, un glissement de terrain en Sierra Leone et un typhon au Népal. En parallèle, l’organisme mène des projets de développement social dans 14 pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique centrale, du Pacifique et des Caraïbes.
Une tradition israélienne
Ces actions s’inscrivent dans la tradition du pays : Israël a été, dès ses premières années d’existence, l’un des principaux fournisseurs mondiaux d’assistance internationale, comme le souligne Navonel Glick, 30 ans, président adjoint d’IsraAID : « Les bâtisseurs de l’Etat aspiraient à faire d’Israël une lumière pour les nations. Le pays devait incarner le partage. Des milliers d’Israéliens se sont ainsi rendus dans le monde entier pour travailler dans le développement urbain et communautaire, avant même l’essor de l’agriculture et de la haute technologie. Puis en 1973, avec l’embargo arabe sur le pétrole, de nombreux pays qui avaient reçu tant d’aide et d’assistance de la part d’Israël ont dû choisir entre celui-ci et le pétrole. Ils ont finalement choisi le pétrole, et le programme d’aide gouvernemental, particulièrement conséquent, a été réduit à MASHAV (Agence israélienne de coopération internationale pour le développement).
Navonel Glick, en poste depuis six ans, relate qu’il a pris conscience de cette facette d’Israël pendant son séjour au Népal. « Je travaillais sur le projet d’ouverture d’une garderie pour enfants. J’avais 20 ans à l’époque, je n’avais aucune idée de ce que je faisais, et je n’avais aucune connaissance des enfants. Je suis donc allé, cahier en main, rencontrer la femme qui avait la réputation d’en savoir le plus sur le sujet. Elle m’a demandé d’où je venais, et quand j’ai répondu “Israël”, elle a dit : “Oh, Israël !” Il s’avérait que tout ce qu’elle avait appris sur le développement de la petite enfance venait de l’Etat juif. Et ce cas n’est pas isolé. Dans de nombreux endroits, les technocrates les plus importants ont été formés en Israël. C’est l’une des raisons qui motivent notre travail, savoir que l’on peut créer des liens solides à travers le renforcement des capacités professionnelles, tout en y ajoutant la bonne dose d’humanité. »
IsraAID a été fondé en 2001 pour combler une partie du vide laissé à la fin des jours de gloire des projets d’aide israéliens. A ses débuts, l’organisme a été impliqué presque uniquement dans des interventions directes et immédiates. Jusqu’à la survenue du tsunami de 2005 en Asie du Sud. Alors qu’elle avait été dépêchée au Sri Lanka, l’équipe de secours s’est vite rendu compte qu’en fin de mission, après le départ de tous les groupes d’aide humanitaire et des médias, le pays était toujours en crise. Selon Glick, c’est le moment où les besoins sont souvent les plus importants, car les communautés sont très vulnérables. « Les gens se souviennent par exemple du tremblement de terre au Népal, mais aucun média n’a parlé de l’hiver qui a suivi, qui était probablement l’un des plus rigoureux que le pays ait jamais connu. Et bien que les médias ne s’en soient pas fait l’écho, d’innombrables personnes ont souffert et sont mortes à cause du froid et du manque de logements. IsraAID a donc décidé d’être parmi les organisations qui resteraient sur place. »
Secourir et reconstruire
« C’est à travers cette expérience, et celle que nous avons eue plus tard en Haïti, que nous sommes devenus ce que nous sommes aujourd’hui. Après l’intervention d’urgence, nous restons désormais sur les lieux pour entreprendre une planification à long terme, visant à renforcer la capacité des gouvernements et des organisations communautaires dans un large éventail de domaines. » Les programmes mis en place par IsraAID sont axés sur les besoins spécifiques de chaque pays et de chaque communauté. En Haïti par exemple, où elle a été parmi les premières à intervenir suite au tremblement de terre de 2010, l’organisation israélienne a plusieurs projets en cours dans les domaines de l’éducation, du développement économique et agricole, du soutien médical ou psychosocial, ainsi que la lutte contre les violences sexuelles.
Au Japon, dans la région de Tohokua dévastée par un séisme, IsraAID met à disposition un centre de traitements post-traumatiques, des services psychosociaux et une formation professionnelle pour les jeunes. En 2011, l’organisation a également apporté son soutien face à la pire sécheresse que le Kenya ait connue depuis 60 ans, en distribuant de la nourriture et des articles de première nécessité à des dizaines de milliers de réfugiés ; elle continue d’être présente en proposant une formation intensive continue en traumatologie et un soutien aux infrastructures. IsraAID était aussi au Liberia en juin 2015 pour assister les communautés frappées par l’épidémie Ebola, et développe actuellement des programmes visant à améliorer l’accès au système de santé local, et à prévenir la violence contre les femmes et les enfants. Le 25 avril 2015, un tremblement de terre de magnitude 7,9 a dévasté le Népal, suivi d’un autre d’une puissance de 7,3 deux semaines plus tard. IsraAID y a déployé des équipes de secours d’urgence quelques jours après le premier séisme. Elle mène désormais dans le pays plusieurs projets dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, du logement et de l’assainissement de l’eau. Le 8 novembre 2013, la première équipe d’urgence d’IsraAID a quitté Israël dans les 48 heures qui ont suivi un typhon dévastateur aux Philippines, et qui a tué plus de 6 000 personnes, blessé plus de 27 000, et déplacé environ quatre millions de personnes. L’organisation y dirige toujours plusieurs projets dans le domaine de l’agriculture et des moyens de subsistance, ainsi que des programmes humanitaires spécifiques, par exemple la lutte contre la traite des êtres humains. Au Soudan du Sud, l’organisation israélienne se concentre fortement sur la collaboration avec le gouvernement local et les organisations partenaires pour prévenir la violence sexuelle et la maltraitance des enfants, tandis que la technologie de l’assainissement de l’eau est un objectif principal en Ouganda.
Sans frontières
IsraAID agit aussi dans des pays où l’on ne s’attend pas à voir opérer un organisme israélien. Comme en Jordanie, où il répond aux besoins humanitaires des réfugiés syriens, et même en Irak, où il travaille plus ou moins « sous couvert » d’organisations partenaires, afin de soulager la détresse des réfugiés dans la région nord du Kurdistan. A la question de savoir comment les populations locales réagissent à la présence d’une équipe de secours israélienne, Navonel Glick répond : « Les gens se souviennent rarement de l’aide qu’Israël a apportée par le passé, mais cela est plutôt positif pour différentes raisons. Nous ne sommes pas une puissance coloniale. Les gens ne considèrent pas IsraAID comme l’une de ces organisations représentant une nation qui a pu piller ou détruire leur territoire par le passé. Nous venons d’un petit pays qu’ils admirent à bien des égards, pour sa technologie et son développement. Ils s’étonnent aussi, parfois, comme dernièrement aux Etats-Unis après les ouragans : “Vous avez tellement de choses à faire chez vous, vous avez tellement de problèmes, et pourtant vous venez nous aider”, disaient certaines victimes. Il y a aussi des endroits où on nous identifie avec l’Israël biblique. Nous n’avons jamais enregistré de réaction négative. »
En plus d’aider les réfugiés syriens en Jordanie, les équipes d’IsraAID, composées en grande partie d’Arabes israéliens, aident également les migrants en Allemagne et en Grèce. « Pour les réfugiés syriens, l’expérience est plus que déroutante », explique Navonel Glick. « Nous plaisantons en disant que quand ils arrivent sur les plages de Grèce, ils doivent probablement penser qu’ils ont pris le mauvais bateau et se sont retrouvés à Haïfa. Imaginez qu’après avoir vécu l’enfer pendant des années, vous ayez placé votre vie entre les mains de contrebandiers qui vous ont mis dans un rafiot en caoutchouc. Vous arrivez finalement en Grèce, terrifié, et la première personne qui intervient sur le bateau porte un T-shirt avec le drapeau israélien ! Nous vivons à chaque fois des moments très particuliers, nous avons notamment aidé à la naissance de sept bébés sur les plages. »
Un engagement sans faille
Non moins surprenante est la source de financements de l’organisme. Alors que par le passé, ce sont les fédérations juives des Etats-Unis et du Canada qui fournissaient le plus grand soutien à l’organisation, environ 40 % de son financement mondial est aujourd’hui assuré par l’ONU. En d’autres termes, alors que notre pays est l’objet de condamnations sans fin et de résolutions hostiles de la part des Nations unies, ce sont maintenant l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance), l’OMS, l’OIM (Organisation internationale pour les migrations), le CHF International (Fondation coopérative pour l’habitat) et la Banque mondiale qui financent IsraAID.
Interrogé sur la façon dont IsraAID recrute son personnel, Navonel Glick explique : « Nous avons besoin de deux profils. Des chefs de projet qui conçoivent les programmes, établissent des liens avec les gouvernements et les organisations partenaires, et créent les mécanismes d’évaluation adéquats. Ils sont le ciment de notre action. Nous employons un directeur par pays, qui occupe le poste pendant généralement deux ans. Ils sont également responsables du recrutement, de la formation et de la supervision du personnel local pour assurer la durabilité des projets. Au Népal par exemple, IsraAID emploie une soixantaine de travailleurs locaux. La deuxième catégorie de personnes que nous recrutons sont les bénévoles. Ils sont aujourd’hui 1 409 professionnels de différents horizons. Ainsi, lorsque nous avons besoin d’un ingénieur spécialiste de l’eau, d’un psychothérapeute ou d’un médecin, nous nous adressons à notre équipe pour trouver les personnes adéquates. Ces professionnels suivent une formation préalable intensive. En cas d’urgence, IsraAID possède des vidéos et du matériel de formation que les membres de l’équipe recrutés à la hâte consultent pendant leur trajet en avion. Les bénévoles signent un contrat à durée déterminée et toutes leurs dépenses sont couvertes. IsraAID compte actuellement 275 employés dans le monde – la plupart recrutés localement. »
Bien heureusement, aucun membre des équipes IsraAID n’est jamais décédé au cours d’une mission ; en revanche, beaucoup attrapent les maladies tropicales habituelles. C’est le cas d’Ophélie Namiech, de retour en Israël depuis six mois après avoir occupé le poste de directrice au Soudan du Sud pendant près de six ans. Lorsqu’on lui demande comment elle va, elle répond en riant : « Je viens juste de revenir d’un séjour à l’hôpital. Je suis pleine de parasites. » Aujourd’hui âgée de 33 ans, elle se souvient : « Après mon aliya, j’ai rapidement commencé à travailler pour IsraAID, et j’ai été envoyée au Soudan du Sud quelques mois après l’indépendance du pays. J’y suis allée si tôt après mon arrivée en Israël que j’avais l’impression d’avoir fait l’aliya au Sud Soudan plutôt qu’en Israël. J’étais censée y rester quatre jours en tant que responsable de l’ouverture du bureau, mais j’y suis finalement restée cinq ans et demi. Très vite, nous avons développé un partenariat solide avec le ministère de la Parité et de la Protection sociale, qui nous a demandé de rester et de travailler avec lui sur une stratégie quinquennale pour développer les services sociaux dans le pays. Nous nous sommes principalement concentrés sur les problèmes de violence envers les femmes – viol, violence domestique, mariage forcé précoce et violence psychologique. Nous avons également travaillé sur la protection des enfants qui, dans ces pays, sont souvent appelés à devenir des enfants soldats, nous avons mis en place des projets de santé publique et d’éducation. Nous avons essayé de développer une approche holistique des services sociaux, pour qu’ils ne se concentrent pas uniquement sur les aspects sociaux, mais aussi sur le soutien médical. Nous avons plus de 50 employés originaires du pays au Sud Soudan, qui travaillent avec nous depuis cinq ans. Il y a un Américain et une Israélienne, et le reste du personnel sont des locaux opérant dans plus de la moitié du pays, y compris dans les zones les plus inaccessibles, encore en conflit. C’est un réseau de membres des communautés et de responsables locaux qui nous permet d’opérer dans ces régions. »
Interrogée sur sa vie pendant près de six ans dans ce pays ravagé par la guerre, Ophélie se réfère une fois de plus en plaisantant aux « parasites de toutes sortes » dont elle souffre, avant de reprendre son sérieux : « C’était extrêmement difficile du point de vue de la sécurité surtout en tant que femme, et surtout après 2015, quand la situation a commencé à devenir vraiment mauvaise. Il y a eu une forte augmentation des viols y compris de travailleurs internationaux. Le 11 juillet dernier, au cours d’une descente de l’armée dans un hôtel où logeaient des employés d’ONG étrangères, il y a eu des viols et des meurtres. Malgré tout, je suis réellement tombée amoureuse de l’endroit, il aura toujours une place très chère dans mon cœur. Les gens sont très positifs envers Israël, et c’était merveilleux de voir un pays naître. Partir a été extrêmement difficile. Je pensais que je ne serais jamais capable de le faire, mais j’étais vraiment malade et je devais revenir. »
Mickey Noam-Alon a commencé à travailler pour IsraAID en 2010. Depuis sept ans, il travaille avec l’organisation aux quatre coins du monde. Il s’est tout d’abord investi en tant que photographe, avant de s’impliquer dans la logistique des opérations. Il travaille aujourd’hui en tant que chef de mission. Il explique son engagement : « J’ai toujours été fasciné par le travail humanitaire, et j’étais curieux de voir quel genre de changement je pourrais apporter par mon métier, de quelle façon la photographie pouvait avoir un impact positif. Depuis que j’ai rejoint IsraAID, je me rends compte de la complexité de ce travail. Faire le bien est beaucoup plus compliqué que vous ne le pensez au départ. »
« Ce qui m’intéresse le plus, c’est de rencontrer les gens sur le terrain. C’est une expérience incroyable. Il est vrai qu’on intervient dans des situations tragiques, mais on vient avec les moyens d’aider, et on constate à quel point les gens ont de la force. Comme en Haïti, ou moins d’une semaine après le séisme, les marchés étaient déjà opérationnels dans les camps de personnes déplacées. Quand j’étais avec les réfugiés syriens en Serbie, j’ai vu des gens qui avaient transporté leurs enfants jusque-là à bord d’autobus et de bateaux. En tant que jeune parent, comme moi, on ne peut même pas imaginer ce que cela représente. Sur place, on s’étonne tous les jours des ressources de l’être humain pour survivre. Pour notre part, nous cherchons simplement à faire de notre mieux pour aider. Je crois vraiment en ce que nous faisons. »
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