Des rues emplies d'histoire

A quelques pas de la vieille ville, Mamilla raconte une incroyable histoire de destruction, de division, de réunification et de renouveau

La maison Herzl (photo credit: DR)
La maison Herzl
(photo credit: DR)
Photos : Aviva Bar-Am
Situé à la lisière entre la Vielle Ville et la ville nouvelle, le quartier de Mamilla s’étend depuis la porte de Jaffa jusqu’à la rue Hamelekh David, entre Kikar Tsahal et Yemine Moshe.
Un pignon collé à la paroi extérieure de la porte ; c’est tout ce qui reste des dizaines d’échoppes, de consulats, de banques et de pensions qui s’étalent sur toute la zone dans les années 1900.
A l’époque, Mamilla est aussi la gare centrale de la ville : ici des convois de chameaux déposent toutes sortes de marchandises, des calèches vont et viennent avec leur flot de passagers et des chariots transportent denrées et ballots d’un endroit à l’autre.
De nombreux bâtiments, comme celui à deux étages dont ne subsiste que le pignon, étaient en fait accolés au mur. Pendant la période du Mandat, les Britanniques – très portés sur la conservation historique – en démolissent quelques-uns pour créer un espace libre. Ils déplacent également une tour d’horloge ornementale – érigée sur la porte en l'honneur du long règne du sultan turc – vers Allenby Square, l’actuel Kikar Tsahal.
Sous le pignon, un carreau de céramique, produit par la toute nouvelle école Betsalel d’art et d’artisanat, affiche « Porte de Jaffa » dans les trois langues officielles de la Palestine : l’anglais, l’arabe et l’hébreu. Le mot « Betsalel » est encore visible en lettres minuscules dans le coin inférieur gauche.
Depuis la rambarde, on bénéficie d’une vue plongeante sur la route qui relie le complexe immobilier de Kfar David, avec ses étranges dômes gris, au centre commercial Mamilla. L’ancienne Emek Street (rue de la vallée) porte aujourd’hui le nom d’Itzhak Kariv, maire de Jérusalem de 1952 à 1955, impopulaire et tombé dans l’oubli.
L’incendie
La plupart des structures originales du quartier Mamilla datent du milieu des années 1880. Construites par des Juifs et des Arabes, ce sont des maisons, des magasins et des bureaux qui servent d’extension au centre commercial bondé des abords de la porte de Jaffa. A l’arrivée des Britanniques, Mamilla présente déjà un large éventail d'entreprises florissantes : ateliers, merceries, restaurants gastronomiques, boutiques de tenues de soirée, résidences, un grand hôtel et le premier concessionnaire Cadillac du Moyen-Orient. Le commerce est en plein essor.
Le 29 novembre 1947, l’Organisation des nations unies approuve la création d’un Etat juif en Palestine. Furieux, les Arabes du pays jurent d’empêcher sa formation avec la dernière goutte de leur sang.
Presque immédiatement, le Haut Comité arabe appelle à une grève de trois jours à partir du 2 décembre. Ce jour-là, des centaines d’Arabes enragés déferlent des portes de Jaffa et de Damas et se dirigent vers le centre-ville (juif) de Jérusalem. Avant d’atteindre leur objectif, ils sont arrêtés par les coups de feu tirés en l’air par des membres de la Hagana et se replient sur Mamilla.
Une foule hurlante, armée de couteaux et de barres de fer, commence alors à piller et saccager les magasins juifs, avant d’y mettre le feu. Après ces deux jours de violence, Mamilla est presque entièrement détruite. Et ce qui subsiste après les émeutes sera dévasté pendant la guerre d’Indépendance qui suit.
Itzhak Penso est l’un des premiers juifs assassinés à Jérusalem pendant la guerre d’Indépendance. Lui qui avait rejoint la Hagana à l'âge de 16 ans – pendant la révolte arabe contre les Britanniques et les juifs en Palestine, de 1936 à 1939 – et s’était battu pendant la Seconde Guerre mondiale au sein de l’armée britannique en Libye, en Egypte et en Italie, est abattu le 3 décembre 1947 par une horde arabe, alors qu’il tente de sauver les biens juifs dans les magasins encore en flammes du centre commercial Mamilla.
Le renouveau
A la fin de la guerre, Mamilla se retrouve à cheval sur la frontière, face aux tireurs d’élite jordaniens. La majeure partie du quartier est en territoire israélien, mais le reste tombe à l’abandon, un terrain vague rempli de mines, de barricades et de barbelés. De nouveaux immigrants démunis s’installent alors dans les ruines de magasins et bâtiments abandonnés par les Arabes.
Après la réunification de Jérusalem en 1967 et la suppression du no man’s land qui défigurait le paysage, commencent les plans de réhabilitation du quartier de Mamilla ravagé. Après des décennies de conflit entre architectes et designers, la première étape de l’avenue Alrov Mamilla ouvre ses portes en 2007. Conçu par l’architecte Moshe Safdie et développé par le groupe Alrov, le centre commercial à ciel ouvert redonne vie à ce quartier hiérosolomytain, passerelle entre l’ancien et le nouveau, fidèle à sa vocation passée.
Presque tout ce qui se trouvait ici a été démoli, souvent pour faciliter la construction du parking souterrain, sous le centre commercial. Quelques-unes des façades demeurent, tandis que d’autres ont été mises à bas et remontées presque exactement en l’état. Mais tous les intérieurs ont été refaits. Et certaines des façades en pierre à l’aspect le plus ancien sont en fait réellement nouvelles.
A noter l’excellente finition, si rare dans la construction à Jérusalem. Les devantures, qui répondent à des normes standardisées, sont magnifiquement dessinées. Un même soin esthétique a été apporté jusqu’aux bouches d’égout.
Le carrelage, aux multiples motifs géométriques, change d’aspect tout au long du centre commercial. A cela s’ajoute toute une gamme fascinante de sculptures, remplacées tous les quelques mois par de nouvelles œuvres d’artistes de talent. Juste avant le numéro 6 de l’avenue Mamilla, une photo sur la droite représente le Mamilla d’antan.
Le sauvetage de la maison Herzl
Un petit groupe de magnifiques bâtiments apparaît ensuite. Le plus remarquable est un immeuble de trois étages coiffé d’un toit crénelé, construit par Herbert Edgar Clark en 1898. Ses murs sont recouverts de pierres rouges et blanches, de style mamelouk, percés de portes et fenêtres de style oriental. Les balcons aux grilles particulièrement délicates arborent de belles dalles de marbre italien de Carrare.
Clark avait 9 ans lorsque sa famille est venue s’installer en Palestine. Celle-ci faisait partie du groupe de dévots protestants qui ont peuplé l’American Colony de Jaffa. La colonie n’a pas réussi à prendre racine, et la plupart de ses membres ont regagné leur Maine natal. Mais les Clark sont restés, et la sœur d’Herbert a épousé Rollo Floyd, l’entrepreneur à l’origine de la ligne de transport entre Jaffa et Jérusalem. Clark était quant à lui à la tête de la branche régionale de Thomas Cook, la plus célèbre agence de voyage du monde. De 1905 à 1907, il officie comme vice-consul américain à Jérusalem. A sa mort en 1920, il est enterré au cimetière protestant sur le mont Sion. Par bonheur sa maison, initialement vouée à la démolition, a finalement été restaurée.
Plus bas se trouve une double volée d’escaliers, qui mène au couvent et à l’hospice Saint-Vincent-de-Paul, le premier bâtiment de ce côté de l’avenue. Les Sœurs de la Charité, un ordre de religieuses essentiellement françaises, fondé par Saint Vincent de Paul le 29 novembre 1633, habitent le lieu.
Après leur arrivée en Terre Sainte en 1886, les nonnes emménagent dans le quartier chrétien et soignent les patients à l’intérieur de la Vieille Ville. Elles travaillent aussi avec la colonie de lépreux des environs de Silwan. La construction du couvent commence en 1886, et dès 1892 les religieuses occupent sa partie ouest. Avec l’achèvement de la façade et du reste de l’immeuble quelques années plus tard, elles ouvrent alors un orphelinat. Enfin, en 1911, une basilique est ajoutée au complexe. Parallèlement, avec un excellent sens des affaires, elles montent une rangée de magasins face au couvent, qu’elles louent aux Juifs et aux Arabes pour financer leurs œuvres caritatives. Aujourd’hui, les nonnes s’occupent d’enfants gravement handicapés. Les boutiques sont encore là, à côté de l’escalier, séparées par le portail de l’Hospice.
Le bâtiment juste en face est entièrement couvert de numéros. Construit en 1870 par l’immigrant allemand Yehouda Stern, on l’appelle communément la maison Herzl.
En 1898, Theodor Herzl voyage en Palestine. Sa visite est programmée pour coïncider avec la présence de Wilhelm II à Jérusalem. Herzl cherche en effet à obtenir le soutien de l’empereur allemand pour la création d’un Foyer juif. Clark organise la plupart des arrangements pour leurs voyages respectifs.
Herzl passe une première nuit à l’Hôtel Kaminitz, de la rue Yaffo, à Jérusalem, surpeuplé et très inconfortable. Il logera ensuite chez la famille Stern, à Mamilla, ce qui fera de leur demeure un site historique. Aussi, lorsque le projet de réhabilitation du quartier prévoit sa destruction, cela soulève un tollé général. Finalement, un compromis est trouvé. Chaque brique à l’extérieur du bâtiment est marquée, enlevée et remise en place à quelques pas seulement de son emplacement d’origine.
Hôtel branché et ville fantôme
Un escalier mène au café Mamilla du numéro 14 de l’avenue, l’un des restaurants de l’hôtel du même nom, qui a ouvert en 2009 dans le cadre du projet Alrov. Hôtel de charme ultrachic, avec ses chambres modernes et élégantes, il allie l'ancien et le nouveau pour se fondre dans le décor de ce quartier historique.
Juste à côté de l’hôtel : une série de magnifiques arcades. Entièrement recouvertes jusqu’à la restauration du centre commercial, elles font partie de l’un des plus anciens bâtiments de Mamilla. A diverses époques, il a servi de logement aux voyageurs de l’agence Thomas Cook, de centre communautaire du quartier Mousrara, et de cantine pour les étudiants de l’Université hébraïque, dont les départements avaient été transférés du mont Scopus en centre-ville pendant les années de la division de Jérusalem.
La rue David Yismah mène, sous des arches décoratives bordées de plantes luxuriantes, à ce qui pourrait sembler une ville fantôme. La plupart des juifs américains et français propriétaires de ces appartements ne viennent que pour les vacances et visites familiales.
Kfar David a été construit sur les ruines des boutiques et anciennes maisons du quartier Mamilla. Les frères Tannous, de riches entrepreneurs arabes, ont bâti un énorme complexe résidentiel et commercial sur ce site au cours de la période du Mandat. De 1948 à 1967, malgré les lourds dommages subis lors des émeutes, il abrite des dizaines d’immigrés démunis, exposés aux tirs continus des snipers jordaniens. Lorsque le bâtiment Tannous est démoli, en 1990, les lettres originales sur sa façade sont enlevées pour être replacées plus tard sur le mur bordant Kfar David.
Tout au bout, après quelques les marches à droite, une pergola voûtée offre un magnifique point de vue sur les murailles de la Vieille Ville et la Porte de Jaffa, point de départ de la visite. Et la bouche est bouclée.
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