Colette, une femme si française

Son roman le plus connu, Chéri, vient de paraître en hébreu. L’auteure, qui y décrit ses propres amours, a vécu une vie hors-normes.

3001JFR24 521 (photo credit: DR)
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La quintessence française estdésormais disponible en hébreu. Colette (1873-1954), écrivaine, auteure dethéâtre, actrice et journaliste, est la seule femme pour qui l’on ait déployéle faste d’obsèques nationales dans l’Hexagone. Libérée et féministe avantl’heure, elle demeure dans les mémoires autant pour sa personnalité flamboyanteque ses oeuvres, dont la plus connue, Chéri, vient d’être traduite en hébreu.
Née dans un village de Bourgogne, elle conserve toute sa vie un fort accent deprovince, roulant les r délicieusement.
Mais devient aussi, très vite, une icône parisienne de la Belle Epoque. Mariéeà 20 ans à Henri-Gauthier Villars, surnommé « Willy », Colette découvre aveclui la vie dans la capitale et un monde artistique fourmillant. Parce qu’elle ala nostalgie de son pays natal, l’homme, critique musical et écrivain,l’encourage à coucher ses souvenirs d’enfance sur le papier.
Découvrant le talent littéraire de sa femme, il lance la série littéraire desClaudine (Claudine à l’école, la Maison de Claudine, Claudine à Paris, Claudineen ménage…) qu’il signe sans vergogne de son propre nom. Ce sera un succès.Mais, trompée et bafouée par son mari, Colette se libère peu à peu de son joug.
En 1905, elle signe pour la première fois son nouveau roman, Dialogue de bêtes.Puis se lance dans une carrière au musichall, où elle fait sensation dans detrès légères tenues. Ce seront ses années de scandale. Après avoir divorcé deWilly (avec qui elle règle ses comptes dans Mes apprentissages), elle enchaîneplusieurs aventures homosexuelles, et s’affiche avec ses partenaires dans leTout-Paris.
La célèbre Missy, descendante de Napoléon, qui affole ses contemporains en seconduisant comme un homme, monte sur scène avec elle et partage sa vie quelquesannées. Colette lui offrira le manoir de Rozven, en Bretagne, où l’auteure aimeà écrire.
L’histoire, réelle ou imaginaire, de Chéri 
Pour gagner sa vie, l’écrivaine selance dans le journalisme. Elle écrit pour Le Matin et finit par épouser sonrédacteur en chef, Henry de Jouvenel, avec qui elle aura sa filleCollette-Renée, dite « Bel-Gazou » (beau gazouillis en provençal). Ce secondmariage ne sera pas plus heureux que le premier, de Jouvenel étant aussi éprisd’adultère que Willy. Une conduite courante pour l’époque, mais à laquelleColette ne se résigne pas.
C’est alors qu’elle va connaître l’épisode amoureux qui sert de matériel àChéri. Alors qu’il a 17 ans, et elle plus de 40, elle joue les initiatricessexuelles pour le fils de son époux, Bertrand de Jouvenel, qui deviendraégalement un auteur et penseur reconnu. Leur relation va durer 5 ans. A noterque Colette avait déjà imaginé la trame de Chéri avant de vivre avec Bertrand.Le livre sort en 1920 et son divorce d’avec Henry est prononcé en 1923.
Dans le roman, son personnage est celui de Léa, une courtisane vieillissantequi s’apprête à prendre sa retraite après avoir confortablement gagné sa vie.Mais une de ses amies, enrichie par les mêmes moyens qu’elle, lui demande deprendre soin de son fils Fred Peloux, dit Chéri, qui déprime à force dedébauche. Ils deviennent amants, d’abord dans l’indifférence et comme pourtromper l’ennui qui les ronge.
Mais cinq ans plus tard, lorsque Fred doit prendre femme, ils découvrentsoudain la force qui les lie.
Le livre est adapté au théâtre par Colette, puis au cinéma en 1950 par PierreBouillon. En 2009, Stephen Frears signe également une très belle adaptation enanglais, qui réunit Michelle Pfeiffer, Rupert Friend et Kathy Bates dans lesrôles titres. Celui qui a porté à l’écran les Liaisons Dangereuses en 1989,retrouve Pfeiffer 20 ans plus tard pour une fresque délicate et ouvragée sur ladouleur du temps qui passe.
Colette, elle, fera mourir son héros d’une balle dans la tête, dans La fin deChéri, incapable sans doute de voir son ancien amant heureux en ménage. Safaçon d’entremêler sa vie à ses romans fera dire plus tard à Serge Doubrovsky, fondateurde l’autofiction, qu’elle a été l’une des initiatrices du genre.
L’écrivaine rencontre son dernier mari, Maurice Goudeket, début 1925. A 36 ans(alors que Colette en a 52), cet homme d’affaires et journaliste, d’originejuive, mène grand train. Ils se marieront 10 ans plus tard, partageant leurtemps entre Paris et Saint-Tropez, où Colette acquiert une demeure. Maurice valui aussi la tromper, mais, cette foisci, leur relation résiste. Colette nel’appelle pas autrement que « mon meilleur ami », lui se fait éditeur et publieses oeuvres. Le 12 décembre 1941, Goudeket est arrêté par la Gestapo, puistransféré au camp de Compiègne. Sa femme parvient à le faire libérer, grâce àses contacts avec l’épouse de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, qui admire sontravail. Maurice rentre en février 1942, se cache un temps à Saint-Tropez, puisretourne vivre avec Colette dans leur appartement du quartier du Palais-Royal.Ils y demeurent terrés jusqu’à la fin de la guerre.
Sur la fin de sa vie, l’écrivain récolte les fruits de son travail.
Elle est élue à l’unanimité à l’académie Goncourt en 1945, avant d’en devenirla présidente 4 ans plus tard et de recevoir la Légion d’honneur en 1953.Photographiée, célébrée, c’est une figure intellectuelle consultée régulièrementpar les médias. Malgré une arthrite à la hanche qui la cloue au lit, ellecontinue d’écrire.
Ses OEuvres complètes sont publiées aux éditions Fleuron, dirigées par Maurice.Elle meurt en août 1954, à l’âge de 81 ans, et repose au cimetière du Père-Lachaise.Réputation sulfureuse oblige, l’Eglise catholique refuse de l’enterrerreligieusement. C’est l’Etat qui s’en chargera avec des obsèques nationales.