Egypte : retour à l’alliance russe ?

Le régime intérimaire égyptien se bat contre la terreur islamiste et cherche désespérément à avoir de meilleures relations avec l’Occident. Qui s’y refuse

Vladimir Poutine et le maréchal Al Sissi (photo credit: REUTERS)
Vladimir Poutine et le maréchal Al Sissi
(photo credit: REUTERS)

Le rapprochement inattendu entre l’Egypte et la Russie devrait préoccuper l’Occident et Israël. On se demande d’ailleurs comment les Etats-Unis ne semblent pas encore avoir compris qu’en exigeant une plus grande démocratie de la part du nouveau régime au Caire, ils le jettent tout droit dans les bras accueillants de l’un des pays les moins démocratiques de l’Europe.

Selon des sources concordantes, un contrat de fourniture d’armes d’une envergure sans précédent serait sur le point d’être conclu. Il s’agit de trois milliards de dollars de matériel militaire sophistiqué : Mig 29, système de défense antiaérienne, missiles antitanks Kornett et hélicoptères de combat. Il s’en suit que des spécialistes russes viendront en expliquer le maniement et en assurer l’entretien en Egypte. Ce n’est sans doute pas un retour à la collaboration intégrale des années 1960 et 1970, mais tout de même des spécialistes russes vont remplacer les nombreux spécialistes américains actuellement discrètement à l’œuvre sur les bords du Nil pour aider l’armée à intégrer les armements et les équipements achetés dans le cadre de l’aide annuelle d’un montant de 1,2 milliard de dollars versée par Washington depuis la signature du traité de paix entre l’Egypte et Israël. Désormais des officiers et des techniciens égyptiens seront envoyés en Russie pour se former aux technologies et aux méthodes d’un régime qui ne se préoccupe pas outre mesure de la démocratie. Ce sera sans doute ensuite le tour des membres des services de sécurité – comme au bon vieux temps de Nasser sous l’ère soviétique. C’est le KGB qui avait été chargé « d’aider » à la création à son image des services de renseignement et de sécurité intérieure. Des services qui ont continué à fonctionner sous les présidents suivants, Moubarak compris, étendant leur emprise sur tous les secteurs d’activité – économiques, sociaux et culturels sans oublier les relations d’affaires avec des pays étrangers. En effet, aucun projet ne pouvait être mis en chantier sans avoir été examiné préalablement pour s’assurer qu’il n’y avait pas « atteinte à la sécurité du pays. »
Les Etats-Unis auraient pu changer tout cela et mettre l’Egypte sur la voie d’une plus grande démocratie. Ils ne l’ont pas fait et c’est une grave erreur. Depuis 1980, des milliers d’officiers égyptiens – dont un certain Abdel Fattah Al Sissi – ont effectué des stages sur le continent nord-américain, où ils ont découvert les valeurs libérales et la démocratie. Seulement, une fois rentrés, ces officiers n’avaient aucune influence sur la politique de leur pays. La Maison-Blanche n’a pas cherché à profiter de ses bonnes relations avec Le Caire pour envoyer aussi les membres des services de sécurité – qui eux ont de l’influence – et les exposer à ces valeurs.
Les Egyptiens se sentent insultés et trahis
Le régime intérimaire en Egypte qui se bat contre la terreur islamiste cherche désespérément à avoir de meilleures relations avec l’Occident qui s’y refuse. En désespoir de cause, il se tourne vers la Russie qui n’est que trop contente de lui offrir son assistance. Il ne s’agit pas uniquement du domaine militaire. Les Russes forment aujourd’hui les gros bataillons des touristes. L’Egypte, qui est le premier importateur de blé au monde, en achète de grandes quantités en Russie pour nourrir son peuple. Le ministre russe des Affaires étrangères a proposé son aide pour la construction de la première centrale nucléaire en Egypte. Les deux pays vont promouvoir des projets conjoints dans le domaine de l’économie et de la culture – sans parler de l’équipement et la technologie militaire. Après la visite des ministres russes de la Défense et des Affaires étrangères au Caire en novembre dernier, et celle de leurs homologues égyptiens à Moscou début février, une nouvelle rencontre est prévue le 28 mars au Caire. Il semblerait qu’il n’y a pas de temps à perdre !
Ce qui n’empêche pas les Etats-Unis, l’Egypte et la Russie de déclarer en chœur que cette nouvelle orientation ne changera en rien les relations du Caire avec « d’autres pays ». Il est à remarquer tout de même que le ministre égyptien des Affaires étrangères a déclaré à son retour de Moscou que l’Egypte avait soumis à l’Amérique des propositions détaillées pour améliorer le dialogue entre les deux pays – et que la réponse se faisait attendre.
Cette rhétorique ne peut tout de même pas cacher le fossé grandissant entre Washington et Le Caire. La Maison-Blanche, mécontente de l’arrestation du président Morsi, a suspendu son aide militaire « jusqu’à ce qu’elle soit convaincue que l’Egypte est sur la voie de la démocratie ». Pour des raisons encore inexpliquées, elle a apporté son soutien aux Frères musulmans. Elle savait pourtant que Morsi n’avait rien fait pour redresser le pays et avait consacré tous ses efforts à mettre des Frères à tous les postes de l’administration centrale et locale et à faire accepter une constitution qui faisait la part trop belle à la Charia.
Les Egyptiens – et pas seulement le maréchal Sissi – se sentent insultés et trahis. Ils n’arrivent pas à comprendre pourquoi les Etats-Unis, avec leurs institutions démocratiques et la masse d’informations que leur fournissent leurs services de renseignement, s’opposent à un pays qui s’est montré pendant des décennies un allié fidèle et le pilier de leur politique au Moyen-Orient. Faute de réponse, Sissi n’a eu d’autre choix que de se tourner vers la Russie pour obtenir son aide dans le combat qu’il mène contre l’islam radical qui multiplie les attentats contre des cibles civiles et militaires ; l’Egypte a besoin d’armement et d’équipements militaires.
De sources égyptiennes, l’Arabie Saoudite et les Emirats du Golfe seraient prêts à financer le contrat de fourniture d’armes évoqué plus haut. Façon aussi de manifester leur incompréhension vis-à-vis de l’Amérique, leur allié de toujours, qui n’a pourtant pas hésité à mener des négociations secrètes avec leur ennemi numéro un, l’Iran, et à conclure avec lui un accord hautement insatisfaisant qui n’empêchera pas Téhéran de poursuivre son programme nucléaire militaire.
La politique américaine au Moyen-Orient est partout battue en brèche ; l’alliance des pays pragmatiques contre l’Iran n’est plus ; l’Egypte se tourne vers la Russie. Une situation, pour le moins, inquiétante. 
L’auteur est ancien ambassadeur d’Israël en Egypte et chercheur au JCPA.
A l’heure où nous mettions sous presse, le gouvernement égyptien venait de démissionner.