La nouvelle guerre de l’opinion publique

Après la publication du rapport officiel israélien sur l’affaire al-Doura, les médias internationaux vont-ils admettre leur erreur ?

P11 JFR 370 (photo credit: Reuters)
P11 JFR 370
(photo credit: Reuters)

L’incident al-Doura a été l’événement déterminant qui a marqué ledébut de la seconde intifada. Cela s’est passé le 30 septembre 2000.
Certes la seconde intifada n’a été déclenchée qu’à l’issue d’un long processus,jalonné d’étapes politiques comme Camp David et de violents affrontements commeceux qui ont suivi la visite d’Ariel Sharon au mont du Temple. Cependant, aprèsl’incident survenu au carrefour de Netzarim, les combats ont pris une toutautre ampleur.
Les images de France 2, montrant Jamal al-Doura tentant de protéger son filsMohammed des tirs à balles réelles, sont restées gravées dans les mémoirescomme l’illustration tragique de ce nouveau conflit israélo-palestinien. J’aiinclus cet incident dans l’étude que j’ai préparée en raison de son impactmédiatique – combien de fois nous est-il donné de voir en direct quelqu’un sefaire tuer devant une caméra ? – ainsi que pour ses vastes répercussions encoreperceptibles aujourd’hui.
Il faut bien dire la vérité. Dans l’affaire al-Doura, des questions ont étésoulevées dès le départ quant à la validité de l’incident. Il a été, de cefait, très difficile de trancher.
Tout d’abord, comment se fait-il qu’un seul cameraman, Talal Abou Rahman,pigiste à France 2, ait saisi cette séquence, alors que tous les autresjournalistes, reporters et photographes, avaient leur objectif fixé surl’avant-poste israélien ? Deuxièmement, pourquoi l’armée israélienne a-t-ellemis autant de temps à réagir et de façon aussi équivoque après l’incident deNetzarim, alors que le reportage de la télévision française faisait la une detoutes les rédactions du monde entier ? En outre, pourquoi le général deréserve Giora Eiland, ancien chef du Conseil national de sécurité israélien,a-t-il reconnu aussi promptement qu’Israël était responsable de l’incident ? Etpourquoi l’enquête menée par le général de réserve Yom Tov Samia, ancien chefdu Commandement sud de Tsahal, qui aboutissait à la conclusion précisémentinverse, a-t-elle été rejetée? 
Israël n’est pas responsable 
La seuleconclusion à laquelle je suis parvenu, c’est qu’Israël n’est pas responsable dela mort d’al-Doura. Le carrefour était grouillant de monde ; Jamal et Mohammedont, sans aucun doute, été pris entre des tirs croisés. Les photos acquises parNahum Shahaf, physicien israélien qui a minutieusement mené l’enquête sur cesujet, le montrent très clairement.
Il est impossible que les balles tirées depuis l’avant-poste de Tsahal, quiétait la cible des hordes palestiniennes ce jour-là, aient réussi à forcer lebarrage de ciment dressé à l’intersection.
Mais ce qui a rendu l’enquête si difficile, c’est que le commandement sud deTsahal a décidé de raser le carrefour de Netzarim, y compris les lieux où s’estdéroulé l’incident.
La scène a dû être reconstruite plus tard pour les besoins de l’enquête.Personne n’a eu l’idée de recueillir des preuves avant que tout ne soitdétruit.
Au fil des ans, il y a eu plusieurs tentatives de réexaminer l’incident,essentiellement du fait de la persévérance de deux personnes extrêmementmotivées : Philippe Karsenty, observateur des médias français, et l’historienaméricain Richard Landes, professeur à l’université de Boston, qui ont tousdeux investi de nombreux efforts dans leurs travaux de recherche.
Philippe Karsenty a mené de longues batailles juridiques en France, et en dépitdu prix élevé qu’il a dû payer, il est quand même parvenu à miner lacrédibilité de la chaîne de télévision française. L’objectif de Landes était deprouver que l’incident n’était qu’un autre exemple du phénomène « Pallywood »,qui montre comment les Palestiniens mettent en scène et filment de tellesscènes à l’intention des médias.
Je ne suis pas d’accord avec toutes leurs conclusions, mais dans le casd’al-Doura, il ne fait aucun doute que les recherches de Karsenty et de Landesont contribué à faire la lumière sur ce qui s’est réellement passé ce jour-là.
13 ans après 
Chaque fois que j’ai demandé pourquoi Israël ne cherchait pas àvérifier la véracité des images de France 2, on m’a donné la même réponse : «Pourquoi devrait-on à nouveau remuer tout ça ? C’est du passé. Il faut laisserdormir les morts. » Et pourtant, nous savons tous que cet incident n’a pas étéoublié. Il est revenu sur le devant de la scène dans les médias français avecle procès en diffamation contre Karsenty et son éventuel retournement. Et denouveau avec la condamnation du médecin israélien Yehuda David, poursuivi luiaussi en diffamation pour avoir affirmé que les cicatrices que Jamal al-Douraavait montré aux médias étaient le résultat d’une attaque, plusieurs annéesauparavant, par des membres du Hamas qui le soupçonnaient de collaborer avecIsraël, et non pas de l’incident de Netzarim.
Le nom d’al-Doura est sans arrêt cité dans les médias. J’ai donc recommandéque, si Israël était vraiment convaincu de ne pas être responsable de sa mort,il était impératif de rouvrir officiellement l’enquête. Ma conviction reste quec’est le seul moyen de prouver que nous n’avons pas peur de faire face à cefantôme et qu’il est impératif de remodeler l’événement aux yeux du public.
Il est important de nous rappeler que nous sommes engagés dans un combatd’opinion publique. Ce type de bataille ne se gagne pas en présentant auxmédias des faits bruts. C’est la manière dont le public perçoit l’événement etce qui reste gravé par la suite dans les mémoires qui a le plus de poids.
Mardi 21 mai, la commission d’examen du gouvernement a publié un nouveaurapport qui fait la preuve qu’al-Doura n’a pas été tué ou blessé par les tirsde Tsahal ce jour-là, au carrefour de Netzarim. Telle est la conclusion desspécialistes qui ont mené l’enquête, après avoir examiné les images brutes etautres documents recueillis à cette fin.
Rallier l’opinion 
Des années auparavant, quand j’ai entendu cette affirmationpour la première fois, j’ai refusé d’y souscrire par mesure de précaution. Maisaujourd’hui, la démonstration des professionnels est étayée par des faits quej’estime fiables.
Mon seul souci est que certains puissent réfuter cette thèse et suggèrent que,13 ans après, le corps soit exhumé et examiné. Ce serait, à mon sens, une trèsmauvaise idée.
À mon humble avis, nous devons nous satisfaire des conclusions de la commissiongouvernementale, affirmant que Mohammed al-Doura n’a pas été tué par dessoldats de Tsahal. Il a été abattu par les tirs aveugles de policierspalestiniens ce matin du 30 septembre 2000. Du point de vue d’Israël, cela doitsuffire.
Une étape importante reste cependant à franchir : comment les médiasinternationaux, et en particulier France 2, vont-ils réagir à cette annonce ?Durant toute l’Intifada, les médias internationaux ont été l’objet de pressionset parfois même de menaces émanant de l’Autorité palestinienne. C’est un faitavéré.
On l’a constaté après un autre incident : le lynchage de deux réservistes deTsahal, Vadim Nurzhitz et Yossi Avrahami, qui après avoir traversé par erreurun poste de contrôle israélien, sont entrés à Ramallah.
La question est de savoir si ces pressions ont affecté la couvertured’incidents tels que celui d’al-Doura. Il est essentiel de vérifier si latragédie qui s’est produite au carrefour de Netzarim a été traitée selon lesnormes journalistiques reconnues internationalement. Les médias internationauxont-ils pris ces questions en compte, de même que le doute sur la véracité deces rapports ? Maintenant qu’Israël a publié le rapport officiel de lacommission gouvernementale, les médias du monde entier vont-ils reconnaîtreleur erreur ? C’est la seule façon de mener la guerre de l’opinion publiquepour gagner les coeurs et les esprits.
L’auteur est un député travailliste à la Knesset. Il vient de publier un livreintitulé « La guerre des médias », qui traite de la seconde Intifada. Ce livreest basé sur sa thèse de doctorat.