Disparition d’Ariel Sharon Un foudre de guerre et de paix

Ariel Sharon a constamment témoigné de sa volonté de sécuriser les frontières d’Israël et a souvent été photographié une carte à la main

P5 JFR 370 (photo credit: Emanuel Winston)
P5 JFR 370
(photo credit: Emanuel Winston)

L’indomptable lion israélien, Ariel Sharon, bulldozer en temps de guerre tout comme en temps de paix, est décédé samedi 11 janvier, huit ans après avoir été victime d’un AVC qui l’a laissé dans un coma dont il ne s’est jamais réveillé.

Il fut probablement le plus vénéré et souvent le plus vilipendé des politiciens du pays, perçu tantôt comme un pacifiste, tantôt comme un belliqueux. Depuis des décennies, ses actions en tant que commandant militaire et homme d’Etat ont façonné à la fois la perception que l’Etat Israël a de lui-même et l’image que le monde se fait de la nation juive.
De ses combats, jeune soldat, à Latroun pour sauver Jérusalem en 1948 à l’orchestration du retrait de Gaza en août 2005 en tant que Premier ministre, Sharon a été un personnage des moments historiques d’Israël.
Et à l’image du pays qu’il a servi durant ses 85 années, sa vie a été marquée par des controverses, des pertes douloureuses, de sévères défaites et des victoires miraculeuses.

Un homme de paradoxe

 

Sharon a constamment témoigné de sa volonté de sécuriser les frontières d’Israël et a souvent été photographié, une carte à la main. Au cours de son mandat en tant que 11e Premier ministre, il s’est consacré à redessiner les frontières, en accord avec sa vision des nouveaux enjeux stratégiques et démographiques du xxie siècle. Dans cette quête, il n’a pas eu peur de détruire ses propres ouvrages, idéologiques et politiques.

 

Etonnamment, tout au long de sa vie, une grande partie de ce que Sharon a construit ou chéri a été perdue, détruite ou ternie. Sa capacité à supporter la perte lui a permis d’avancer sans peur. Sharon le soldat a vu ses amis mourir au combat à 20 ans. Le père de famille a enterré un fils et deux épouses. Le brave chef militaire a joué un rôle dans la conquête du désert du Sinaï, pour le rendre à l’Egypte des années plus tard, une fois homme politique. Chef de file du mouvement des implantations, Sharon affirmait connaître le pilote de toutes les grues participant aux constructions dans les territoires. Puis, en tant que ministre de la Défense, il a été accusé de la démolition du yishouv de Yamit dans le Sinaï en 1982 et, en tant que Premier ministre, il a ordonné la destruction des implantations du Goush Katif en 2005.

 

Chef du Likoud, parti qu’il a fondé en 1973, Sharon l’a catapulté en 2003 de 19 à

40 mandats à la Knesset. En novembre 2005, il l’a cependant paralysé en formant le parti centriste Kadima, attirant avec lui des personnes de premier plan provenant de tout le spectre politique. Il était bien engagé sur le chemin d’un troisième mandant quand son attaque cérébrale, survenue le 4 janvier 2006, a mis fin à ses ambitions de guider la nation vers une nouvelle ère.
 

Son image de ses dernières années ainsi que ses paroles conciliantes ont démenti sa réputation de leader politique autoritaire et de militaire brutal. S’il a pu en révolter certains durant sa carrière, l’homme était apprécié sur le plan personnel, et d’aucuns le qualifiaient de chaleureux, courtois et attentionné. Il a été salué comme un stratège militaire majeur dans les années soixante et soixante-dix. Au début des années quatre-vingt, alors ministre de la Défense, il a été tenu pour responsable des échecs et des excès de la guerre du Liban ainsi que du massacre de Sabra et Chatila, perpétré par les Phalangistes chrétiens.

En tant que leader de l’opposition, sa visite en septembre 2000 sur le mont du Temple a été utilisée par les Palestiniens comme prétexte à la deuxième Intifada. Souvent, il a servi de bouc émissaire pour dénoncer le conflit continu. Mais cinq ans après, quand il a été frappé par la maladie, son brusque départ forcé de la scène politique a été ressenti comme une crise pour la paix.

« Arik, roi d’Israël »

 

Sabra, fils d’un agriculteur immigré russe, Sharon aimait se décrire d’abord et avant tout comme un Juif, puis comme un agriculteur. En s’adressant à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2005, à l’apogée de sa popularité, il a dit : « Mon premier amour a été et reste le travail manuel : semer et récolter, les pâturages, le troupeau et le bétail ». Mais les circonstances en ont voulu autrement, a-t-il dit, et le chemin de sa vie l’a conduit à « être un combattant et un commandant dans toutes les guerres d’Israël ».

Désormais, racontait-il aux dirigeants de ce monde, il avait un objectif différent. Il tendait la main aux Palestiniens dans le but de « la réconciliation et du compromis pour mettre fin au conflit sanglant et de s’embarquer sur le chemin qui mène à la paix. Je vois cela comme mon appel et ma mission première pour les prochaines années ».
 

L’aile dure de la droite qui a longtemps cru que le Premier ministre était l’un de ses plus fidèles défenseurs, s’est sentie abandonnée par ce revirement soudain au centre.

Ses opposants ont pensé que Sharon était simplement opportuniste, prêt à payer n’importe quel prix et à trahir tout idéal pour le pouvoir. Sharon avait pourtant dit lui-même depuis bien longtemps qu’il n’était ni marié à un chemin ni à une idéologie spécifique. « Il n’y a pas d’avantage à tirer pour la personne qui maintient fermement la même position d’année en année au nom de la seule cohérence », déclarait-il déjà en 1977. Dans son autobiographie, Guerrier (non traduit), il se qualifiait de « sioniste pragmatique », homme d’action plutôt qu’homme prolixe.
 

Zalman Shoval, ancien ambassadeur aux Etats-Unis et son conseiller pendant de longues années, expliquait que Sharon appartenait à ce petit groupe de soldats devenus homme d’Etat, comme Moshé Dayan et Itzhak Rabin, dont les considérations principales étaient la sécurité plutôt que l’idéologie. Proactif plutôt que réactif, poursuivant ses objectifs de manière déterminée, Sharon a toujours avancé confiant. En 1974, le Jerusalem Post prévoyait que cette manière de mener la charge le porterait loin. « Arik Sharon ne connaît que les attaques frontales. C’est comme cela qu’il a combattu les Arabes, c’est comme cela qu’il a conquis le Likoud et c’est comme cela qu’il a l’intention de régir l’Etat d’Israël », avait écrit le journal. Ce n’est pas par hasard si dans les années 1970, les soldats de son unité chantaient déjà « Arik, roi d’Israël ».

Son ami de toujours, le journaliste Ouri Dan, rapportait que Sharon aimait les défis : « Quand on lui disait qu’une mission était impossible, c’est celle-là qu’il voulait accomplir ». Lors de sa traversée du désert, après qu’il ait été forcé de démissionner du poste de ministre de la Défense en 1983 suite à Sabra et Chatila, Dan a fait une prédiction : « Ceux qui l’ont rejeté comme chef d’état-major l’ont eu en temps utile comme ministre de la Défense », avait-il écrit. « Et ceux que qui l’ont rejeté comme ministre de la Défense l’auront en temps voulu comme Premier ministre ».
 

Le dirigeant disait que sa ferme détermination trouvait sa source dans son enfance à la ferme. Dans une opinion du Jerusalem Post en 1999, Sharon se souvenait d’un jour passé avec son père à Kfar Malal. « Je travaillais dehors dans le champ avec mon père lors d’une journée très chaude quand nous avons été la proie de la soif et de milliers de mouches […]. Binette en main, nous continuâmes de travailler. Quand mon père, Schmouel, béni soit sa mémoire, qui était agronome, scientifique agricole et aussi un fermier hors pair, voyait que je fatiguais, il s’arrêtait une minute, pointait son doigt vers le sol qu’on venait de couvrir et disait : “Regarde combien nous avons déjà fait”. Et avec une énergie renouvelée, nous continuâmes de travailler »

Et de conclure : « Cela a toujours été mon mode de fonctionnement : apprécier ce que nous avons déjà accompli et envisager l’avenir avec optimisme. » 
 

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