Le Caire, amer, se retrouve seul face au terrorisme islamique

L’Occident persiste à ne pas voir la situation périlleuse de l’Egypte, prise en étau entre le mouvement insurrectionnel au Sinaï et les attaques des milices islamiques de Libye

Des Egyptiens en colère cassent de la poterie lors d'une manifestation devant l'ambassade qatarie du Caire, le 21 février dernier. L'Egypte a, après le rappel de son ambassadeur, accusé le Qatar de soutenir le terrorisme  (photo credit: REUTERS)
Des Egyptiens en colère cassent de la poterie lors d'une manifestation devant l'ambassade qatarie du Caire, le 21 février dernier. L'Egypte a, après le rappel de son ambassadeur, accusé le Qatar de soutenir le terrorisme
(photo credit: REUTERS)
C’est en termes à peine voilés que le très officiel quotidien Al-Ahram s’en prend aux Etats-Unis le 12 février dernier. L’allié d’hier est accusé de se ranger aux côtés du Qatar et de la Turquie qui manifestent leur hostilité à l’Egypte en soutenant activement les Frères musulmans et les groupes terroristes liés à la Confrérie. Des pays européens sont aussi montrés du doigt, notamment l’Angleterre et l’Allemagne qui laissent les Frères agir sur leur territoire en toute liberté. Une sorte de cri du cœur en appelant à l’Occident qui persiste à ne pas voir la situation périlleuse dans laquelle se trouve l’Egypte, prise en étau entre le mouvement insurrectionnel au Sinaï et les attaques venues des milices islamiques de Libye.
De fait, l’envoi d’avions pour bombarder la Libye à la suite du massacre de 21 citoyens égyptiens de confession copte n’était pas uniquement une opération de représailles. Il s’agissait aussi de rappeler à l’Europe qu’elle n’était pas à l’abri du terrorisme islamique et que son littoral est seulement à quelques centaines de kilomètres des côtes libyennes. Si la progression des milices islamiques se poursuit, la Libye risque fort de devenir la base avancée de l’Etat islamique, amplifiant encore le flot de réfugiés qui envahissent un vieux continent bien incapable de les absorber et menacent son équilibre économique et social.
Curieusement, alors que les représailles montées par la Jordanie contre l’Etat islamique après l’effroyable meurtre de son pilote ont été bien accueillies par l’Occident, l’Egypte n’a pas bénéficié de la même mansuétude. Un porte-parole de la Maison-Blanche a déclaré qu’il fallait trouver une solution politique à la crise libyenne et que les Nations unies s’y employaient. Quant au Pentagone, après avoir refusé de commenter l’attaque, il a ajouté que les Etats-Unis n’avaient été ni consultés ni informés de l’opération au préalable, et ne la soutenaient pas. Le porte-parole de cette institution a éprouvé le besoin d’ajouter qu’il n’était pas question de mettre un terme au gel partiel de l’aide militaire à l’Egypte et notamment de la livraison d’avions F16 et d’autres équipements. Ceci en raison de la situation des droits de l’homme en Egypte. Notons au passage que ladite situation en Jordanie et dans d’autres pays arabes est nettement moins bonne qu’en Egypte.
La surprise de l’Egypte
L’Egypte a très mal pris la chose. Sameh Shoukry, ministre égyptien des Affaires étrangères dépêché aux Nations unies sitôt après l’attaque pour proclamer que le terrorisme islamique devait être combattu partout et demander la levée de l’embargo des armes pour la Libye et l’extension des frappes de la coalition contre les formations de l’Etat islamique dans ce pays, s’est vu opposer une fin de non-recevoir au nom de la fameuse solution politique recherchée par l’auguste institution. Or Le Caire ne peut pas se permettre d’attendre ladite solution. En effet, à partir des positions avancées de l’Etat islamique et des autres milices islamiques affiliées aux Frères musulmans, des opérations de guérillas sont lancées contre l’Egypte dans le but de bloquer son redressement économique, de menacer sa stabilité et en dernière analyse de faire d’elle un autre Etat en voie de décomposition, comme c’est déjà le cas de la Libye, de la Somalie, de l’Irak, de la Syrie et du Yémen.
Seulement, elle se retrouve bien seule. Lors d’une réunion extraordinaire de la Ligue arabe pour discuter des raids égyptiens, le Qatar s’est opposé au soutien que l’organisation s’apprêtait à octroyer à l’Egypte. Le représentant égyptien a alors accusé Doha d’encourager activement le terrorisme et le Qatar, « insulté », a décidé de rappeler son ambassadeur au Caire pour consultation. Quant au Conseil des pays du Golfe, il s’est rangé aux côtés du Qatar et a effectué des remontrances à l’Egypte pour éviter une nouvelle crise et préserver l’unité des pays du Golfe face aux deux dangers les menaçant, l’Iran et l’Etat islamique.
L’Egypte en a été d’autant plus surprise que l’Arabie Saoudite et les Emirats sont ses principaux alliés contre les Frères musulmans et lui apportent une importante assistance financière. Rappelons que le Qatar s’était engagé – sous la pression justement de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe – à relâcher ses liens étroits avec la Confrérie, arrêter les attaques de la chaîne Al Jazeera contre le nouveau régime du Caire et à avoir quelques bonnes paroles pour le président Sissi. Il n’en a rien été.
En fait, le Qatar a clairement fait comprendre son opposition à la levée de l’embargo d’armes pour la Libye et son soutien de la fameuse solution politique. Depuis la chute de Kadhafi, le Qatar est régulièrement accusé d’aider les milices islamiques en Libye en leur fournissant armes et argent.
Une bien étrange sympathie pour les Frères musulmans
On en est arrivé à une bien curieuse situation. Les pays arabes cherchent désespérément à échapper à la double menace qui remet en cause leur existence : l’Etat islamique et les autres organisations djihadistes sunnites, d’une part, et l’Iran shiite, de l’autre, qui étend ses activités subversives à travers le Moyen-Orient et tout particulièrement en Irak, en Syrie et au Yémen ; l’Iran dont le programme nucléaire est perçu comme le danger le plus grave. La Turquie affiche elle aussi une politique ambiguë : elle évite une confrontation directe avec l’Etat islamique tout en cherchant à se rapprocher de l’Iran pour mieux asseoir sa position dans la région.
Plus difficile à saisir est la position de l’administration américaine qui fait preuve d’une bien étrange sympathie pour les Frères musulmans, refuse de s’engager à fond contre l’Etat islamique et semble sur le point de conclure avec l’Iran un accord qui n’empêcherait pas, semble-t-il, Téhéran de produire la bombe atomique si ardemment désirée par le pays. Elle ferait de la République islamique d’Iran, pour lui donner son nom officiel, le facteur dominant au Moyen-Orient à la place de l’Egypte.
L’Egypte se doit donc d’affronter seule sur deux fronts le terrorisme islamique alors qu’elle trouve en face d’elle une surprenante coalition : le Qatar, la Turquie, les Etats-Unis et quelques pays européens accordent aux Frères une inestimable assistance sur le plan politique, financier et médiatique.
A la recherche de nouveaux alliés, Le Caire s’est tourné vers la Russie. Moscou n’a été que trop content de l’occasion d’établir une nouvelle base au Moyen-Orient et a conclu un certain nombre d’accords, dont la construction d’une centrale atomique, la participation à la réalisation de grands projets et un contrat de vente d’armements non encore finalisé. Surtout l’Egypte a fait appel à la France et va acheter 24 chasseurs Rafale et une frégate pour un prix total de cinq milliards et demi de dollars, pour le plus grand bien de l’économie française et le non moins certain dépit des avionneurs américains.
Pourtant, l’Egypte ne peut, ni ne veut tourner le dos à l’Amérique. Depuis la signature des accords de paix avec Israël, la coopération stratégique et militaire entre Le Caire et Washington n’a pas été à sens unique. Certes l’Egypte a bénéficié d’une assistance militaire massive, avec des exercices conjoints, mais la marine américaine transite sans restriction à travers le canal de Suez et c’est à travers l’espace aérien égyptien que les avions américains passaient en route vers Bagdad lors de la seconde guerre du Golfe. Et l’Egypte a toujours autant besoin des investissements et de la technologie que l’Amérique s’obstine à lui refuser.
Seul rayon d’espoir dans ce sombre tableau, la déclaration faite le 22 février par le Premier ministre français : « Je voudrais citer la question de la Libye et de la menace directe que fait peser sur notre sécurité la création sous nos yeux et non loin de nos frontières d’un nouveau repaire pour le djihadisme terroriste. » L’Europe commencerait-elle à comprendre ?
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