Première crise de la coalition

Les membres du gouvernement s’en sont pris les uns aux autres au sujet de l’enrôlement des orthodoxes.

Netanyahu at cabinet meeting 370 (photo credit: Marc Israel Sellem/The Jerusalem Post)
Netanyahu at cabinet meeting 370
(photo credit: Marc Israel Sellem/The Jerusalem Post)

En sport, les choses sont claires. Les gagnants d’un côté, lesperdants de l’autre. En politique, certaines batailles sont moinstransparentes. Et parfois, tous les protagonistes sont à la fois gagnants etperdants. Tel était le cas, la semaine dernière, lors de la première crise quia agité la coalition du Premier ministre Binyamin Netanyahou.
L’objet du litige ? Les sanctions pénales à l’égard des jeunes harédim quirefuseraient de s’enrôler, dans le cadre de la loi sur l’enrôlement pour tous.La commission ministérielle, présidée par le ministre des Sciences et de laTechnologie, Yaacov Péri (du parti de Yaïr Lapid, Yesh Atid), a finalementofficiellement proposé un texte de loi sur l’enrôlement des harédim – y comprisles sanctions pénales incriminées mettant un terme à la crise gouvernementale.
Qui donc de Netanyahou, Lapid, du ministre de la Défense Moshé Yaalon(Likoud-Beiteinou) et du ministre de l’Economie et du Commerce Naftali Bennett(leader de HaBayit HaYehoudi), ou encore des harédim, aura donc remporté cettemanche politique ? Seul le temps le dira. En attendant, passage en revue despoints marqués et perdus par les uns et les autres.
Les bons points de Netanyahou 
Si le Premier ministre n’était pas intervenu pourarbitrer le conflit entre Lapid et Yaalon, la presse aurait continué à faireses choux gras de cette première crise de coalition.
Chaque jour qui passait mettait à mal l’image de Bibi.
Alors, même s’il ne la tenait pas pour réelle, Netanyahou est intervenu pourmettre un terme à la dispute.
« Même en cas de crise fictive, on fait ce qu’il faut pour y mettre le holà »,commente une source proche du Premier ministre. « Il voulait surtout tuer lacrise dans l’oeuf et éviter que la presse ne s’étende trop sur un sujet qui luicausait du tort ».
Quelques heures avant le début du conflit, Netanyahou avait affirmé à sesministres du Likoud que tout se déroulerait selon les accords de coalition.Mais dans la querelle qui a éclaté entre le ministre de la Défense et leministre des Finances, le premier a suivi les accords qui ne prévoyaient quedes sanctions économiques à l’égard des harédim qui se défileraient, et lesecond a exigé des sanctions pénales qui ne figuraient pas dans les contratsgouvernementaux.
Netanyahou est un politicien aguerri. Voilà longtemps qu’il sait que se montrerperspicace vaut parfois mieux qu’avoir raison à tout prix. Il sait aussi qu’ilvaut mieux parfois aider quelqu’un pour pouvoir espérer un retour d’ascenseursur le long terme. Lapid a donc obtenu ses sanctions pénales. Et convoqué uneconférence de presse pour célébrer sa victoire.
Mais ces sanctions seront-elles bien appliquées ? Difficile à prévoir. Ellespeuvent encore être bloquées à la Knesset jusqu’au mois d’août, puis devant lajustice, ou encore dans les 4 ans à venir en raison d’un remaniementgouvernemental.
En attendant, Bibi a réussi un exploit auquel il s’essaye en vain depuis lesélections du 22 janvier : briser l’alliance entre Yesh Atid et HaBayitHaYehoudi, qui a pris parti pour Yaalon et a voté contre les sanctions pénalesà l’encontre des jeunes étudiants de yeshivot.
Les mauvais points de Netanyahou 
Pour la première fois depuis les élections,Lapid, cet ancien boxeur, a engagé un bras de fer avec le Premier ministre. Ila suspendu la commission Peri et déclaré une crise gouvernementale viacommuniqué à 1 h 50 du matin, lundi 27 mai. Et quelques heures plus tard, lorsde sa réunion de parti, il a martelé qu’il ne ferait pas marche arrière.
Bibi a eu beau se moquer de lui devant ses ministres et l’accuser de créer unfeu de paille, lundi soir, les journaux d’information télévisée titraient surla victoire de Lapid.
Netanyahou avait ordonné à Yaalon de déclarer forfait.
En cédant aussi facilement, le Premier ministre a perdu son pouvoir dedissuasion pour les conflits à venir.
Lorsqu’il était le « Roi Bibi » (tel que l’avait couronné le Time lors de sonmandat précédent), les vaines menaces n’avaient pas prise sur lui. Aujourd’hui,Netanyahou est aux mains de Lapid et cela se voit.
Pire encore, Bibi et le Likoud sont, une fois encore, perçus comme lesdéfenseurs des harédim dans une bataille fort impopulaire menée contre le restede la nation. Le Premier ministre aggrave encore la mauvaise image qu’il s’estforgée en dissolvant la commission Plesner sur le même sujet, l’année dernière,et en essayant de former une coalition avec Shas et Judaïsme unifié de la Torah(JUT) au détriment de Yaïr Lapid dans les semaines qui ont suivi le scrutin du22 janvier.
Le ministre des Transports Israël Katz, habile tacticien, avait pourtantexhorté Netanyahou et Yaalon dès la matinée de dimanche 26 mai de se prémunir àl’avance contre tout atout dans la manche de Lapid en vue du vote sur lacommission Peri, dimanche soir. Un conseil qui aurait pu éviter une crisepolitique – et une nouvelle scorie sur l’image de Bibi.
Les bons points de Lapid 
Ces dernières semaines n’ont pas été de tout repospour Lapid. C’est chose courante pour un ministre des Finances, et il le savaiten prenant les rênes du ministère.
L’ancien journaliste est devenu l’homme à abattre pour la classe moyenne.Classe qu’il avait promis de protéger, mais dont il a pourtant augmenté lesimpôts et réduit les allocations.
L’ancien journaliste savait que de nouvelles voix s’élèveraient contre luicette semaine avec l’entrée en vigueur de la hausse de la TVA (de 17 à 18 %,dans la nuit du 2 juin). Quoi de meilleur alors, pour distraire l’opinion,qu’une déclaration de guerre contre une proie facile telle que les orthodoxes ?Au lieu de titres en rouge à l’image des comptes bancaires qui tombent dans ledécouvert, le ministre s’est offert des titres en noir au sujet des harédim.Les électeurs de Lapid sont de nouveau satisfaits, lors d’une semaine où ilsauraient dû, en fait, être très mécontents.
Sachant qu’une victoire n’est jamais complète sans célébration, Lapid aconvoqué les journalistes et affirmé devant les caméras que son parti tenaitses promesses de campagne et que des changements historiques étaient en coursdans le pays. Quelques jours plus tard, il s’est envolé pour Paris afin derencontrer des ministres des Finances de l’OCDE, un déplacement retardé enraison de la crise politique. Lapid a payé de sa poche les frais de voyage deson épouse, Lihi, qui l’a accompagné sur un vol en classe économique, puis dansun hôtel, également à la charge du couple.
Une échappée romantique, doublée d’une opération com’ pour un ministre qui faitbien attention à montrer qu’il ne pioche pas dans l’argent du contribuable pourse payer un week-end parisien. Son cabinet se frotte les mains.
Les mauvais points de Lapid 
Dans notre monde de réseaux sociaux, l’attention del’opinion aux grands discours n’est plus ce qu’elle était.
Alors, même si le leader a marqué des points avec son allocution victorieuse,la presse israélienne a choisi, elle, de se focaliser sur son téléprompteur àla Obama.
Un dispositif fréquemment employé par le président américain, écornant l’imagede sincérité cultivée par Lapid.
Au lieu de titrer sur le « discours à mes frères harédim », tel que l’a intituléLapid, certains médias ont donc préféré parler du « discours au téléprompteur».
Par ailleurs, Lapid a réussi à détourner l’attention de la TVA, mais pourquelques jours seulement. La gigantesque hausse de l’enrôlement des orthodoxesest fixée à 2017. La TVA a pris effet dimanche 2 juin à minuit, et lesIsraéliens la ressentiront tous les jours pendant au moins un an.
D’ailleurs, pour arriver à temps à Paris, Lapid était absent lors du vote à laKnesset sur ce décret tant décrié, passant pour un général qui abandonne sestroupes au front.
Enfin, en ayant recours à une crise politique, avec son lot d’extorsion et demenaces, Lapid a fait usage de « la vieille politique » à laquelle il avaitfait voeu de résister pendant sa campagne électorale. Ses adversaires au Shaspeuvent sans doute s’enorgueillir de cet apprentissage.
Les bons et les mauvais points de Yaalon 
Yaalon a gagné parce qu’il s’en esttenu à ses principes, ce qu’il croit juste pour Tsahal et la sociétéisraélienne tout entière. Il s’est également assuré du soutien des orthodoxes,ce qui pourrait l’aider dans sa future course au poste de Premier ministre.
Le ministre de la Défense a perdu parce qu’il a dû voter en dépit de saconscience. S’incliner face au Premier ministre, son patron, et endommagerl’image de militaire dur à cuire qu’il est supposé être.
Les bons et les mauvais points de Bennett 
Bennett a gagné parce qu’il a purendre la monnaie de leurs pièces aux rabbins religieux sionistes qui l’ontaidé à être élu. Le ministre a ainsi garanti 300 exemptions aux meilleursétudiants issus du courant national religieux et empêché de rallonger leservice des élèves des yeshivot hesder de 30 jours (de 16 à 17 mois).
L’élu a perdu car, en tant que vétéran d’élite, aider ses électeurs à éviter leservice militaire est contraire à ses valeurs. Cette manoeuvre politicienne deHaBayit HaYehoudi a terni l’image dynamique et positive de Bennett, qui asemblé affaibli face aux institutions religieuses rattachées à son parti.
Les bons et les mauvais points des harédim 
La communauté orthodoxe veut croireque le texte qui a donné lieu au duel de la semaine dernière ne sera jamaisappliqué. En réalité, la proposition de loi de la commission Peri va permettreà nombre de harédim d’échapper à l’enrôlement au cours de ces 3 prochainesannées, jusqu’à ce que la mesure n’entre en vigueur. C’est pourquoi Shas apréféré se taire tout au long de ces journées agitées.
Il n’en reste pas moins que la semaine a été terrible pour les orthodoxes, quil’ont comparée aux pogroms que l’Ukraine connaissait, voilà tout juste 100 ans.Lapid a bien essayé de les convaincre en quoi la loi pouvait leur êtrebénéfique, la législation pourrait toutefois aboutir à l’emprisonnement demilliers de jeunes orthodoxes. Et le sentiment antiharédi n’a jamais été aussifort dans le pays.