La théorie conspirationniste de l’Egypte

Y aurait-il eu collusion entre le Hamas et les Frères musulmans pour renverser Moubarak ?

JFR P8 370 (photo credit: Mohammed Salem/Reuters)
JFR P8 370
(photo credit: Mohammed Salem/Reuters)
De récentes révélations éclairent d’un jour nouveau lafaçon dont le Hamas et les Frères musulmans ont travaillé de concert au coursdes manifestations de masse qui ont entraîné la chute de Moubarak.
Selon le quotidien cairote El-Masry el-Yom citant une « source sécuritaire hautplacée », Khaled Tharwet, directeur de la Sécurité égyptienne (Amn el-Dawla)aurait remis à Khairat el- Shater, vice-guide suprême de la Confrérie, latranscription de cinq conversations téléphoniques interceptées durant lesjournées fatidiques de janvier 2011.
Les Frères musulmans souhaitaient que le Hamas intervienne pour augmenter lechaos et accentuer la pression sur les forces de sécurité égyptiennes ; autreobjectif, non moins important, libérer les militants emprisonnés à Wadi Natrunet notamment Mohammed Morsi – aujourd’hui président de l’Egypte. Cestranscriptions montrent que les Frères musulmans étaient au courant desmanifestations « spontanées » du 25 janvier et qu’ils ont participé à leurorganisation.
Les deux premières conversations ont eu lieu avant ces manifestations. Le 21janvier, deux dirigeants de la Confrérie les évoquent et l’un d’eux déclareainsi : « Ne vous inquiétez pas, les voisins vont nous aider ». Le lendemain ilrépète : « Tout va bien, les voisins sont prêts ». Les voisins en question sontévidemment le Hamas.
Le 24, la veille de la grande manifestation, un dirigeant de la Confrériedemande à un leader du mouvement de Résistance islamique gazaoui s’il a comprisce que son mouvement doit faire. « Tout à fait » sera la réponse. Le 2 février,alors que les manifestations ont atteint une ampleur sans précédent, un Frèreinquiet demande au dirigeant du Hamas : « Où êtesvous ? Je ne vois aucun de voshommes » et le dirigeant répond : « Ne vous inquiétez pas nous sommes derrièrele musée (il s’agit du musée égyptien place Tahrir) avec nos lance-pierresprêts à l’action ».
La dernière conversation se tient le 11 février après la démission de Moubarak.Le dirigeant du Hamas félicite le représentant des Frères et ajoute : « C’estaussi notre victoire à nous » et se voit répondre : « Vous nous avez aidé etnous avons une dette envers vous. Nous allons bientôt nous rencontrer ».
Dès le premier jour 
Les liens entre le Hamas, branche du mouvement des Frèresmusulmans fondée à Gaza en 1987 et la Confrérie en Egypte sont bien connus ;l’un et l’autre étaient fréquemment ciblés par le régime Moubarak et sonsystème répressif.
Ces conversations démontrent maintenant que le narratif de la révolution étaitpurement et simplement fabriqué. Les Frères n’ont pas attendu plusieurs joursavant de se rallier au mouvement populaire comme on le croyait jusqu’ici ; ilssavaient ce qui se tramait et ont été d’actifs participants dès le premierjour. Et les militants du Hamas étaient présents sur la place Tahrir,manifestant avec le peuple et prenant part aux attaques contre les bâtimentspublics.
Le général Mansour el-Issawy, ministre de l’intérieur durant la périodetransitoire du Conseil suprême des forces armées, a confirmé la semainedernière qu’il y avait des militants du Hamas sur la place et que plusieursd’entre eux ont été tués. Il a également déclaré que des militants du Hamas etdu Hezbollah avaient participé à des attaques contre des prisons pour libérerdes prisonniers politiques.
Par le passé on avait accusé Habib el-Adly – ministre de l’Intérieur deMoubarak aujourd’hui jugé pour sa part dans la répression des manifestations –d’avoir délibérément ordonné de laisser les prisonniers s’enfuir pourterroriser la population. Il semblerait que ce soit faux. Adly a déclaré autribunal la semaine dernière que c’étaient bien les hommes du Hamas et duHezbollah qui avaient donné l’assaut aux prisons.
Il dispose d’un certain nombre de témoignages concordants.
Un journaliste du quotidien El-Masry el-Yom a déclaré avoir été témoin del’arrestation de militants de ces deux organisations près de la place Tahrir le4 février. Le quotidien avait publié, il y a deux ans, l’enquête menée par deuxde ses journalistes au péril de leur vie. Pendant six semaines, de mars à avril2011, ils ont interviewé de nombreux témoins des événements, et notammentplusieurs des prisonniers libérés, ainsi qu’un certain nombre de Bédouins duSinaï.
La haute trahison de la Confrérie 
Ce qui s’est passé à la prison Almarg au norddu Caire est édifiant. Y étaient emprisonnés Ayman el-Nofel, haut dirigeant duHamas, et Mohammed Yusuf Mansour – nom de code Sami Shehab – chef de la celluleterroriste du Hezbollah en Egypte. Le 30 janvier 2011 des dizaines decombattants puissamment armés arrivent sur des véhicules et des motos flambantneufs et ouvrent un feu nourri sur les gardes, pour la plupart de jeunesrecrues sans formation ou expérience. Ils ont réussi à pénétrer à l’intérieuret à libérer tous les prisonniers.
Selon des témoins, les attaquants étaient des Bédouins du Sinaï et descombattants parlant un dialecte semblable – des hommes de la bande de Gaza.
Quelques heures plus tard on a pu voir Nofel à Gaza ; quant à Shehab il estapparu de Beyrouth à la télévision libanaise quatre jours plus tard. L’Egypten’a jamais demandé leur extradition.
El-Masry el-Yom prétend que Tharwet n’aurait pas dû remettre les transcriptionsà Khairat el-Shater, qui n’occupe aucune position officielle hormis sesfonctions au sein de la Confrérie, un mouvement qui n’est d’ailleurs pas légal.Le quotidien y voit la preuve de la collusion entre la Confrérie et leséchelons les plus élevés des services de sécurité du pays et demande auprocureur général l’ouverture d’une enquête, soulignant comme il a été dit plushaut que ces textes et les circonstances de leur transmission lui avaient étécommuniqués par une source sécuritaire haut placée et digne de foi.
Dans sa requête au procureur, le quotidien précise que les noms des Frères etdes dirigeants du Hamas ayant tenu les conversations lui sont connus, maisqu’il n’en a publié que les initiales.
Des voix s’élèvent déjà en Egypte pour réclamer la mise en accusation de laConfrérie pour haute trahison : n’a-t-elle pas fait appel à des élémentsétrangers – le Hamas – pour se livrer à des actes de sédition sur le solégyptien ? D’autres s’indignent de l’infiltration des Frères dans les appareilsde sécurité de l’état, y voyant une nouvelle preuve de la tentative de laConfrérie pour dominer le pays tout en portant atteinte à sa sécurité.
Une grande agitation 
Des témoignages font état de fréquentes visites de Khairatel- Shater et de Issam el-Erian, figures de proue du mouvement, dans lesbureaux de la sécurité de l’Etat ; qui plus est, ils utiliseraient le passageprivé réservé au ministre de l’Intérieur.
L’un des gardes du corps d’el-Shater a été arrêté il y a un peu plus d’un analors qu’il se trouvait à côté d’un bureau de vote durant les électionsparlementaires ; Il était porteur d’une arme sans permis. Lors de son procès, ona appris qu’il s’était rendu plusieurs fois à Gaza en passant par les tunnelset qu’il avait eu des contacts avec les dirigeants du Hamas.
Condamné à un an de prison, il aurait été récemment transféré dans une prison «douce ».
Comme on pouvait s’y attendre l’un des chefs du Hamas, Moussa Abou Marzouk, adémenti la tenue de ces conversations ; pour leur part des porte-parole desFrères ont nié la remise des transcriptions à el-Shater et proclament qu’ils’agit d’une tentative pour discréditer le mouvement.
Le ministère de l’Iintérieur a publié un communiqué qui, sans se référerconcrètement à la question, menace de traîner en justice ceux qui porteraientatteinte à son activité.
La présidence n’a fait aucun commentaire, ce qui est fort compréhensible. Lecommandant de la prison de Wadi Natrun qui témoignait la semaine dernière surl’attaque de sa prison devant le tribunal a déclaré que tous les prisonniersappartenant au mouvement des Frères et au Djihad avaient été concentrés dans saprison et qu’à partir du 25 janvier, ils avaient fait preuve d’une grandeagitation, le menaçant personnellement et l’assurant qu’ils seraient bientôtlibres.
Le 30 janvier, 80 militants puissamment armés ont ouvert le feu avec des armesautomatiques et ont pénétré dans la prison, libérant tous les prisonniers –Mohammed Morsi compris. Plusieurs des prisonniers repris depuis et jugés cesjours-ci demandent l’audition du président ainsi que celle des dirigeants desservices de sécurité d’alors et d’aujourd’hui. Cette demande n’a toujours pasété prise en considération.
Le rôle du Hamas 
Au fait, pourquoi Morsi avait-il été arrêté ? Pour laConfrérie, c’est parce qu’il était considéré comme dangereux par le régime ; ilétait pourtant bien connu qu’il n’était qu’un homme politique relativementeffacé.
Certaines sources soutiennent qu’il avait été interpellé pour espionnage aprèsl’interception d’une conversation téléphonique avec un dirigeant du Hamasévoquant ce que le Hamas allait faire pour l’Egypte durant la révolution.
Curieusement, aucune mesure n’a été prise à ce jour contre quelqu’un qui est enfait un prisonnier en fuite.
Le Hamas comptait peut-être sur le nouveau régime pour ouvrir la frontièreentre Gaza et l’Egypte et favoriser le libre passage des gens et des biens –armes comprises ? – de part et d’autre. Il n’en a rien été. La frontière restefermée, l’Egypte contrôlant de près ceux qu’elle laisse entrer ou sortir.L’armée a détruit et continue à détruire des centaines de tunnels decontrebande.
Malgré leur communauté d’idéologie, Le Caire n’est que trop conscient du dangerque pose son petit voisin. Le rôle du Hamas dans ce qui se passe en Egypte faitmaintenant l’objet de débats passionnés. On accuse l’organisation d’avoir étécomplice de l’attaque meurtrière contre un poste de l’armée en août dernier, aucours de laquelle 16 soldats ont été massacrés. Ayman Nofel y serait impliqué.
Le Hamas est aussi accusé de laisser les militants Djihadistes passer au Sinaï; militants qui auraient kidnappé l’an dernier trois officiers de police et lesauraient entraîné à Gaza.
Et des articles font état de l’intention du Hamas d’établir un avant-poste dansla péninsule et même d’y installer des Palestiniens avec l’aide financière duQatar. Le régime des Frères musulmans reste étrangement silencieux sur cespoints, se contentant de temps en temps de brefs démentis.
Beaucoup d’Egyptiens sont de plus en plus inquiets des liens entre la Confrérieet le Hamas et les dernières révélations vont jeter de l’huile sur le feu,alors que la crise de confiance entre le peuple et le régime prend desdimensions inquiétantes.
Zvi Mazel est un ancien ambassadeur en Egypte et un chercheur au JCPA.