Négociations : J-6 mois

Trois mois ont passé, les négociateurs n’en ont plus que 6 devant eux. Quels scénarios pour le jour d’après ? Analyse.

P6 JFR 370 (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)

Trois mois. Le 29 juillet dernier, négociateurs israéliens et palestiniensse rencontraient à Washington pour relancer les discussions, après plus de 3ans de silence. Les pourparlers devaient s’étendre sur 9 mois. Avec un tiers dutemps écoulé, il est donc légitime de faire un premier bilan. Légitime, maisdifficile car personne, ou presque, ne sait où on en est.

Le secrétaire d’Etat américain John Kerry a été clair : il est le seul às’exprimer sur l’état des négociations, lui qui a eu tant de mal à lesrelancer. Les chances de succès, avait-il martelé, seront proportionnelles àl’éloignement des caméras. Les échanges pourront être fructueux si, etseulement si, les négociateurs ne sont pas obligés de se prêter au jeu des commentairesaprès chaque rencontre. Il est donc le seul interlocuteur des médias.
Reste qu’il n’a pas dit grand-chose depuis, au-delà des traditionnellesplatitudes sur la nécessité de faire la paix et le courage dont ont fait preuvele Premier ministre Binyamin Netanyahou et le président de l’Autoritépalestinienne Mahmoud Abbas en se réengageant dans un processus dont beaucoupn’attendent plus rien.
Silence radio

Israël a relâché sa seconde fournée de terroristes la semaine dernière,portant le nombre de détenus palestiniens libérés à 52. Mais les Israéliens –dont certains sont stupéfaits que ces meurtriers aient retrouvé la liberté –n’ont aucune idée des objectifs desservis par ce geste diplomatique. Pas plusqu’ils ne savent où et quand les délégations se rencontrent. 14 sessions depourparlers ont déjà eu lieu sans aucune annonce officielle.

Kerry doit ainsi arriver cette semaine pour rencontrer Netanyahou et Abbas,mais impossible de savoir s’il se déplace parce que les négociations sont dansl’impasse (il a déjà rencontré les deux dirigeants en octobre lors d’unetournée européenne), s’il souhaite mettre une proposition américaine sur latable ou s’il vient simplement féliciter les deux camps pour leur travail.
Il y a quelques jours, un haut responsable américain déclarait, sous couvertd’anonymat, que le succès de ces négociations lui paraissait envisageable carKerry, rompu aux tactiques politiciennes, comprenait les besoins politiques deNetanyahou et d’Abbas et savait que tous deux se doivent de rapporter quelquechose de tangible à leurs publics respectifs. C’est ce qui a d’ailleurs permis,poursuivait l’Américain, de relancer les pourparlers en juillet : Israéliens etPalestiniens ont alors chacun eu le sentiment d’obtenir quelque chose. Netanyahouétait satisfait de voir Ramallah retourner aux pourparlers tout en ayantabandonné l’exigence d’un gel des implantations, et Abbas pouvait se targuerd’avoir obtenu la libération anticipée de 104 détenus. Mais quant à ce qui sepasse vraiment dans la salle des négociations : silence radio.
D’ailleurs, en dépit des efforts américains, l’ambiance autour de la table est– pour le moins – difficile. Par exemple, les prisonniers libérés par Israël lasemaine dernière ont été accueillis, et c’était prévisible, en héros àRamallah. Cependant, fêter un homme qui a massacré à la hache Isaac Rotenberg,67 ans, survivant de la Shoah ; un autre qui a tué Tzvi Klein, 42 ans, tandisqu’il rentrait chez lui en voiture avec sa fille pour allumer les bougies deHanoucca ; ou encore un autre qui a assassiné Revital Seri et Ron Levy, deuxétudiants de 23 ans partis en excursion dans les montagnes de Jérusalem, n’estpas prêt de rebâtir la confiance israélienne envers les Palestiniens.
Et comme l’a déclaré le porte-parole du Netanyahou, Mark Regev, peu après lalibération : « Au lieu de condamner le terrorisme, ils fêtent les terroristes.J’aimerais demander aux Palestiniens quel genre de message nous font-ilsparvenir en célébrant leurs assassins, en les hissant sur des piédestaux. Quelgenre de message transmettent-ils à la jeunesse palestinienne en faisant deshéros de ces gens-là. » Pire encore, ces célébrations ont eu lieu alors qu’unenouvelle vague de terrorisme palestinien a fait 3 morts israéliens, etplusieurs blessés, dont une petite fille de 9 ans, le mois dernier.
Et si les négociations allaient si bien que cela, l’Etat hébreu n’auraitcertainement pas annoncé de nouvelles constructions à Jérusalem-est comme enJudée-Samarie, au-delà de la clôture de sécurité et des blocs d’implantation.Interrogé sur les mérites d’une telle annonce alors que les négociations sonten cours, un membre du gouvernement a répondu : « Ce ne sont que des planspréliminaires pour l’instant, mais cela nous laisse le choix ».
Terrorisme ou campagne médiatique ?

De fait, tandis que les pourparlers entament leur 4e mois, les deux campsse préparent à l’éventualité d’un échec. Toujours la semaine dernière, KolIsraël annonçait qu’Abbas avait adouci sa position sur un accord intérimaire etserait prêt à en accepter un au cas où tout ne serait pas résolu à la fin dumois d’avril (la fin officielle des pourparlers est fixée au 29). LesPalestiniens se sont dépêchés de démentir, le secrétaire général de l’OLPYasser Abed Rabbo déclarant qu’aucun accord comprenant un Etat palestinien auxfrontières temporaires ne serait signé. Reste que, du côté des Israéliens, onassurait en coulisses qu’à Washington, comme à Jérusalem et à Ramallah, oncomprend fort bien qu’il ne faudrait pas rester dans le « tout ou rien », aucas où un accord définitif n’était pas atteint. Un traité pourrait, parexemple, être signé dans lequel un Etat palestinien serait reconnu tout enlaissant les sujets explosifs – Jérusalem et les réfugiés – de côté.

Que se passerait-il, cependant, en cas d’échec réel ? D’aucuns prédisent unetroisième Intifada. Mais ce scénario n’est pas très vraisemblable pour Tsahalet d’autres sources diplomatiques officielles, essentiellement parce que lasituation économique palestinienne est bien meilleure qu’il y a 10 ans et quede moins en moins de Palestiniens ont envie de tout perdre pour se lancer dansune énième guérilla contre Israël.
En revanche, l’alternative est jugée bien plus vraisemblable : une campagnemédiatique et diplomatique afin que la communauté internationale impose unesolution à Jérusalem.
Ces 20 dernières années, depuis les accords d’Oslo, les Palestiniens ont adoptédifférentes tactiques pour atteindre leur objectif déclaré, à savoir un Etatpalestinien dans toute la Judée-Samarie, la bande de Gaza, Jérusalem pourcapitale et un droit de retour.
La nouvelle stratégie d’Arafat

En 1993, Yasser Arafat comprenait que son peuple ne parviendrait pas à sesfins en détournant des avions ou encore en jetant des Juifs par-dessus bord. Ilse lance alors dans une nouvelle stratégie : les négociations. Après Oslo, levoilà à Camp David en 2000. Mais il déchante une nouvelle fois, car ce que luioffre le plus à gauche des Premiers ministres israéliens, Ehoud Barak, n’arrivepas à la cheville de ce qu’il entend accepter. Le voilà face à un nouveaudilemme : réduire ses exigences ou adopter une nouvelle tactique ? Arafat optepour le second choix. En septembre 2000, 2 mois après le sommet de Camp David,la seconde Intifada, une guerre terroriste, est déclarée contre Israël. Leraisonnement semble être le suivant : si on ne peut obtenir de l’Etat hébreu ceque l’on veut par la négociation, tentons la voie terroriste pour le forcer àreculer. Une nouvelle stratégie qui se révèle un échec : Tsahal tord le cou àla seconde Intifada.

Les objectifs palestiniens ne changent pas, mais ni les négociations ni leterrorisme ne leur permettent d’aboutir. C’est alors qu’intervient Abbas avecla 3e solution : faire intervenir la communauté internationale et imposer unesolution à Israël. Ce qu’il fait pendant plus de 10 ans : lancer une guerrediplomatique, pousser l’Occident à faire pression sur les Israéliens, obtenirla reconnaissance d’un Etat palestinien au Conseil de sécurité de l’ONU, àl’Assemblée générale, à l’Unesco, partout où il le peut. Abbas œuvre à unecampagne de dénigrement international, espérant enfin glaner ce qu’il veut.
C’est probablement la voie qu’il choisira à nouveau si rien n’était signé enavril prochain. Il en pose d’ores et déjà les jalons, lui qui a activementplaidé auprès de l’Union européenne pour qu’elle ne renonce pas à sa circulairesur les implantations le mois dernier.
Cette mesure, si elle entrait en vigueur, empêcherait toute coopération entreIsraël et l’UE à Jérusalem-est, dans les territoires de Judée-Samarie et sur leplateau du Golan. Un aperçu, sans doute, de l’idée que se fait Abbas d’un futuraccord israélo-palestinien.
Ce « jour d’après » les négociations va vite arriver : dans 6 mois. Et ilsemble de plus en plus qu’il s’agira d’une journée, suivie de semaines et demois, passés à batailler sur le front diplomatique international.