A la recherche d’un patrimoine oublié

Nathan Diament a mené un remarquable travail de recherche pour sauver l’oeuvre de son grand-oncle J.-D. Kirszenbaum.

P23 JFR 370 (photo credit: DR)
P23 JFR 370
(photo credit: DR)
Nathan Diament fait lui-même partie d’un processus de sauvetage.Le petit-neveu de J.-D. Kirszenbaum, auquel le musée Beit Hatefoutsoth consacreune exposition inédite, a été caché pendant la guerre avec sa famille. Il asurvécu par miracle. Son chemin a croisé celui de son grand-oncle J.-D.Kirszenbaum en 1946, une rencontre qui sera décisive. L’enfant rêveur va êtremarqué pour toujours par ce parent qui lui insufflera sa future vocation :conserver son oeuvre et lui redonner sa juste place au sein de la communautédes artistes juifs durement éprouvés par la guerre. Un ordre de mission qui dèslors deviendra le cheval de bataille de Nathan Diament.
Kirszenbaum, peintre polonais passé par les écoles d’art de Weimar et de Berlindans les années trente, est l’auteur d’une oeuvre qui fait figure aujourd’huide véritable témoignage d’un monde perdu. « L’imagier du peuple juif », habitépar ses souvenirs du shtetl, a aussi peint l’inquiétude et l’angoisse liées àla montée du nazisme. Ces thèmes irriguent une grande partie de son oeuvre quisera, ensuite, largement pillée et détruite durant la guerre.
Nathan Diament a donc mené un véritable travail d’investigation pour retrouveret faire reconnaître à sa juste valeur ces tableaux sauvés aujourd’hui del’oubli, et qui témoignent de toute une période, très prolifique de l’artiste.Son livre, J.-D. Kirszenbaum (1900-1954), la génération perdue, paru auxéditions d’art Somogy et l’exposition des oeuvres de l’artiste prévueprochainement au musée Beit Hatefoutsoth de Tel-Aviv sont le fruit d’un travailde longue haleine, et rendent un bel hommage au peintre. Entretien.
Retour à l’enfance. Kirszenbaum est issu d’une famille très religieuse.Comment passe-t-on de la vie du heder à une vie de bohème et aux écoles d’artallemandes des années d’avant-guerre ? 
Mon grand-oncle est né en 1900. Il aétudié au heder pendant plusieurs années. Il était doué pour la peinture et ledessin. Il a ensuite fréquenté le mouvement Hashomer Hatsaïr, puis a quitté lemonde purement religieux. Vers 1920, ses parents l’aident à quitter la Pologne.Mais il garde toujours une image vivace de son petit village et du heder.
C’est à partir de cette date qu’il rejoint les mouvements socialistes etrévolutionnaires proches des communistes. Le retour à la religion se ferabeaucoup plus tard, avec une dimension surtout humanitaire. Dans ses peintures,on retrouve à ce moment-là la figure du messie, qui symbolise l’espoir, etcelle de Jésus qui est associé, elle, au désespoir, et qui interroge : « Dieu,pourquoi nous as-tu quittés ? » 
« J.-D. Kirszenbaum (1900-1954), lagénération perdue » a d’abord été exposée au musée d’art d’Ein Harod.L’exposition de Beit Hatefoutsoth est-elle identique ou bien a-t-elle étémodifiée ? 
L’exposition a été modifiée. D’autres tableaux ont été ajoutés. Ilssont arrivés plus tard et ont été présentés à Beit Hatefoutsoth. Ce sont desoeuvres cachées qui proviennent notamment de Hollande et de la Collectionnationale française.
Que reste-t-il des tableaux d’avant-guerre de Kirszenbaum ? Après ladestruction des 600 toiles par les nazis, avez-vous pu retrouver des oeuvres ? 
On a retrouvé une petite partie des tableaux, au musée Frans Hals de Haarlem,en Hollande, en Allemagne, et Alix de Rothschild a légué au musée Rothschild sacollection privée. Mon grand-oncle a été un grand caricaturiste et unesoixantaine de ses dessins ont été retrouvés dans les journaux de l’époque. Ilssont signés « Duwdivani », « le cerisier » qui est aussi la signification deKirszenbaum en allemand… 
De quelle manière Kirszenbaum a-til été influencépar ses passages à l’école de Weimar et surtout par celle de Berlin ? Quels ontété leurs apports dans une oeuvre très centrée sur son monde intérieur, etnostalgique ? 
On peut voir dans les tableaux des années trente l’influencecubiste.
L’expressionnisme allemand l’a aussi inspiré. A l’Ecole de Paris, il est allé àla rencontre de l’impressionnisme, puis vers la fin de sa vie il est passé àl’art abstrait.
Il y a une évolution continue, avec des thèmes récurrents, dont celui dushtetl.
Dans l’exposition et dans mon livre on trouve un parallèle entre l’une de sespeintures intitulée Le messie arrive dans le petit village et une oeuvred’Ensor Jésus qui arrive à Bruxelles. Là encore, on retrouve l’évocation d’unDieu universel.
Kirszenbaum vous a en quelque sorte investi d’une mission. Lui redonner uneplace au sein des artistes juifs de l’époque. Comment l’avez-vous appréhendée ? 
J’ai fait des recherches au musée d’Israël, de Tel-Aviv, et dans desétablissements d’Europe. En fouillant leurs entrepôts et leurs caves j’airetrouvé de très belles peintures, jamais montrées au public. Il y a tant depeintres inconnus datant de l’époque de la Shoah… D’où ce livre qui parle degénération perdue. Kirszenbaum est très représentatif de ces hommes d’art quiont disparu ensuite aux yeux du public. L’exposition et le livre correspondentau début d’une recherche qui, j’espère, va évoluer et se développer encore. Iln’y a pas aujourd’hui de musée ou de fondation qui s’occupe du sujet. Peutêtreque Yad Vashem va se pencher dessus.
Survivre et créer dans des conditions défavorables, dans l’influence duBerlin avant-gardiste, de quelle façon cela marque-t-il l’oeuvre de Kirszenbaum? Y a-t-il un tableau qui exprime cette inquiétude, ce pessimisme,caractéristique de l’expressionnisme allemand ? 
Il existe un tableau très durqui représente un incendie à Berlin, avec un personnage qui s’en échappe. Ilfait penser au Cri de Munch. Kirszenbaum s’est enfui d’Allemagne et il exprimeici un désespoir terrible, comme une vision de ce qui va se passer. Le muséed’Israël nous a prêté cette toile pour l’exposition.
Comment Kirszenbaum a-t-il pu faire le deuil de son oeuvre détruite ? Il y aeu le soutien d’Alix de Rothschild après-guerre. Mais à quel moment a-t-il eu ce déclic qui lui a permis de repeindre à nouveau,et d’enseigner ? 
Mon grand-oncle était tout à fait désespéré après la guerre.Il essaie de vendre des peintures, puis Alix de Rothschild qui aidait deshommes d’art dans tous les domaines est intervenue. A un moment donné il vivaitmême en partie chez eux, et enseignait la peinture à la mère de David deRothschild. Des peintures monumentales ont été réalisées pour leur maison.Elles ont été retrouvées ici au musée de Tel-Aviv, après étude de mes archives.Ces trois tableaux, qui forment un triptyque, font partie de l’exposition etreprésentent Moïse, Jérémie et Elie. Ce qui est passionnant dans cetterecherche, c’est qu’on arrive à des trouvailles spectaculaires.
Ces peintures datent de 1947. Ensuite Alix l’a aidé à quitter la France. Ilexposera au Brésil, c’est une période, avec aussi le Maroc et l’Italie, où ilrepeint, et où il revit.
Une exposition itinérante est aujourd’hui prévue en Pologne. Paris, Berlin etLondres sont aussi au programme. Le début d’un long processus qui récompensedes recherches amorcées depuis 1996… « 
J.-D. Kirszenbaum (1900-1954), lagénération perdue » Exposition au musée Beit Hatefoutsoth de Ramat-Aviv, du 12juillet au 30 octobre.