Amy, une flamme dans le vent

L’exposition consacrée à la chanteuse Amy Winehouse au Jewish Museum de Londres, lève le voile sur la vie tourmentée de l’artiste.

P17 JFR 370 (photo credit: Reuters)
P17 JFR 370
(photo credit: Reuters)

C’est unecouverture du magazine Rolling Stone, en 2007, qui révèle pour la première foisau public la sensualité du visage d’Amy Winehouse, célèbre chanteuse anglaisequi alimentera fortement la polémique au cours de sa brève carrière et décéderale 23 juillet 2011, à l’âge de 27 ans, d’une overdose d’alcool. Les tatouagessur ses bras sont assez extravagants pour détourner l’attention des manchettesqui encadrent la couverture. Puis on découvre ses yeux vides.

Comme sur toutes les autres couvertures de magazines dont elle fait la une toutau long des années 2000 et qui déclinent une personnalité artificielle, danslaquelle il est difficile de reconnaître « une jeune fille juive toute simpledu nord de Londres » – selon la description des membres de sa famille –, sonregard semble sans vie. Elle n’a que 23 ans sur la photo, mais on dirait lesyeux d’une femme de trois fois son âge.

La comparaison avec une autre photo d’elle adolescente, sur laquelle on la voitadossée au balcon du deuxième étage de l’école de théâtre Sylvia Young, unsourire candide aux lèvres, est saisissante. Là encore, ses yeux en disentlong, mais ce qu’on y lit ne saurait contraster davantage avec ce qui se dégagede l’image publique de la chanteuse. Sur ce cliché, pris avant qu’Amy Winehousene soit aspirée par la spirale infernale qui aura raison d’elle, ses yeuxtrahissent l’émerveillement et l’excitation propre aux adolescents de son âge,à l’heure où elle ne sait rien encore du succès que son fulgurant futur luiréserve, et que son appétit de vivre est loin de laisser présager jusqu’à quellesextrémités sa vie la conduira.
L’importance du cocon

L’expositionactuellement à l’affiche du Musée juif de Londres est co-organisée par sonfrère Alex, et s’inscrit dans un ensemble de manifestations organisées par lafamille pour commémorer ce qui aurait dû être le 30e anniversaire de lachanteuse, ce 14 septembre prochain. Intitulée Amy Winehouse, un portrait defamille, elle a pour objet de révéler l’autre versant de la personnalitétrouble de l’artiste, une Amy plus intime, aux antipodes de l’image stéréotypéede son personnage public. Sa correspondance, des vêtements, des documentsscolaires, des récompenses et autres effets personnels sont offerts à lacuriosité du public. Mais ce sont les photographies surtout qui trahissent defaçon aiguë, l’hiatus qu’il y avait entre ces deux pôles d’une Amy déchirée.

Cette invitation au voyage dans sa brève existence, s’ouvre sur un arbregénéalogique qui couvre cinq générations. Son arrière-grand-père, BenWinehouse, un barbier qui appartenait à la classe ouvrière de l’East End deLondres, émigre de sa Biélorussie natale au XIXe siècle pour fonder une familleen Angleterre. Cynthia, la grand-mère paternelle d’Amy, dont le prénom esttatoué sur le bras de la chanteuse, est un pilier de la famille, une source deprofonde influence et de soutien. « Nan », comme Amy l’appelait, apparaît surnombre de photographies et documents dans la première section de l’expositionet montre qu’à l’évidence, c’est dans le cocon familial que l’artiste s’estsentie bien dans sa peau.

C’est d’ailleurs le thème de la famille qui domine l’exposition. Il n’est quede voir ces clichés de petite fille heureuse, espiègle peut-être, mais quisemble en sécurité dans le giron familial, pour se convaincre que c’est au seinde la chaleur d’une famille très soudée qu’elle s’est le plus épanouie. Rien dejuif ou presque ne trahit l’appartenance de la famille, à part un portrait defamille à l’occasion de la bar-mitsva d’Alex, en 1992.
Mais les éléments sélectionnés, qui racontent sa jeunesse, dévoilent l’intimitéde toute la famille Winehouse en général, et celle de la chanteuse enparticulier, et renforcent cette image de jeune femme équilibrée et épanouie aumoment où elle entre dans l’adolescence, puis dans l’âge adulte ; notamment desphotos de famille et d’école, des souvenirs de ses années de lycée, comme un uniformescolaire, sa première guitare qui jouxte une photo d’elle en train de jouerdans la chambre de son frère Alex, sa collection de CD des années 1990, et sesdisques préférés qui trahissent son goût pour le rétro et sa nostalgie pour uneépoque révolue.
Le rêve de gloire d’une jeune fille

Un clip vidéo dusolo d’Amy dans un spectacle de Sylvia Young en 1997 est encore plus parlant.Sa voix puissante a déjà atteint sa pleine maturité, mais on perçoitl’innocence de sa personnalité d’adolescente, fort attachante, qu’elle auraperdue au fur et mesure de sa carrière. De même, ses premiers écritsd’adolescente, qu’on peut lire dans cette exposition, suggèrent unepersonnalité qui a soif de grandeur. « Mon rêve est d’être très célèbre »,a-t-elle écrit sur sa demande d’audition auprès de Sylvia Young. « Je veux queles gens entendent ma voix pour qu’ils oublient leurs soucis, ne serait-ce quependant cinq minutes. » L’exposition se divise en deux parties, l’une est celledes années heureuses de sa jeunesse le long du mur de gauche, et l’autre,intitulée l’étoile troublée, court le long du côté droit de la salle. Au fond,une pièce de transition est un hommage aux chanteurs qui l’ont influencée,Frank Sinatra, Ella Fitzgerald, Ray Charles et Louis Armstrong. Leur musique aété choisie comme animation sonore de l’exposition, plutôt que la voix d’altoéraillée et provocatrice de Winehouse.

Mais, en parcourant l’exposition, on ne peut s’empêcher de penser à Candle inthe Wind (bougie dans le vent), hommage d’Elton John à une autre jeune artistetorturée, Marilyn Monroe. La solitude a été ton lot/C’est le rôle le plusdifficile que tu as eu à jouer/Hollywood a créé une superstar/Et la souffrancea été le prix à payer, chantait la star britannique, en 1973. Des paroles quisemblent avoir été écrites pour Amy Winehouse et lui vont comme un gant.

L’envers du décor

L’expositionn’évoque pas, à dessein, l’envers du décor tumultueux de la vie professionnellede l’artiste ; son combat avec la drogue, l’alcool, et les scarifications. Pasune seule allusion à sa mort tragique par overdose d’alcool. Les représentantsdu Musée juif sont sans ambiguïté ; il ne s’agit pas d’un hasard. L’expositionse veut être un hymne à la vie, plutôt que la célébration d’une mort tragique.

« Au départ, l’idée de la famille était de vendre une des robes d’Amy auxenchères afin de recueillir des fonds pour la Fondation Amy Winehouse, uneassociation caritative que la famille a fondé en son nom, destinée à offrir uneaide thérapeutique aux toxicomanes », confie Janice Lopatkin, directrice desrelations extérieures du Musée. « Notre directrice, Abigail Morris, et laconservatrice du musée, Elizabeth Selby, voulaient aller plus loin commel’exposition présentée devant vous en témoigne. Il est évident que la famillene souhaitait pas s’appesantir sur les détails sordides de sa mort, mais plutôtconcentrer l’exposition sur la vie de la jeune femme disparue ».

Par conséquent son bref mariage tumultueux avec Blake Fielder-Civil estocculté, pas un mot non plus sur le fait que peu avant sa mort, de nombreuxprofessionnels du spectacle prédisaient que la carrière de Winehouse était surle déclin. Elle ne produisait plus rien, son dernier album, Back to Black,remontait à 2007, soit quatre ans avant sa mort, et elle avait été huée etobligée de quitter la scène à plusieurs reprises lors de sa dernière tournée del’hiver 2010-2011 pour être trop ivre et incapable de donner son concert.
Mais son addiction transparaît aussi visiblement qu’un éléphant dans un magasinde porcelaine et elle est l’objet tacite de l’exposition. Il n’est que del’arpenter pour s’en rendre compte. Les couvertures de magazines, les robes descène ajustées pour une taille minuscule exposées sont à la fois un hommage àson talent phénoménal et une condamnation sans appel de la férocité d’uneculture qui a utilisé les prouesses musicales hors normes de l’artiste, pour laréduire à un sex-symbol pitoyable.
Une identité familiale ambivalente

C’est l’histoired’une jeune fille et ses rêves de gloire pour lesquels elle paye le prix forten se confrontant douloureusement à une réalité sordide. A l’évidence, malgrésa brillante ascension au firmament du monde de la chanson au cours de lapremière décennie de ce siècle, elle n’aspirait qu’à être à la maison avec safamille, et à échapper au harcèlement des paparazzis, des journalistes detabloïd et à un manque total de vie privée.

Même adulte, les photos, où elle apparaît la plus heureuse, sont celles surlesquelles elle est habillée avec simplicité. Un sentiment confirmé par sonpère dans une citation à l’exposition : « Ses vêtements préférés étaientprobablement des trucs qu’elle portait pour traîner à la maison ; pantalons dejogging et T-shirts ».
Finalement, le contraste entre la Amy personnage public et la Amy de la sphèreprivée soulève des interrogations bien plus qu’il ne fournit de réponse. Parexemple, quelle relation sa famille avait-elle au judaïsme ? D’un côté, lesWinehouse ont élu domicile à Southgate dans un quartier de banlieue avec uneprésence juive certes, mais loin d’être significative. De l’autre, Amy qualifiesa famille de traditionaliste alors qu’aucun des enfants ne fréquentera uneécole juive et qu’un livre de Snoopy, dont la légende indique qu’il fut uncadeau de Noël de son enfance, est exposé à côté d’une photo de la bar-mitsvade son frère.
Rien ne laisse à penser que les filles de la famille ont fait elles aussi, leurbat-mitsva. Le fait que le judaïsme n’ait jamais inspiré aucun de ses textes nide ses chansons est peut-être davantage révélateur de sa relation au judaïsme àmoins que cela ne soit justement significatif du clivage entre sa vie privée etson personnage public.
Amy la fille, Amy la sœur

De plus, nuldoute que le but de cette exposition – outre la volonté de la famille de rendrehommage à leur chère disparue – est aussi de réhabiliter l’image de lachanteuse quelque peu écornée par sa mort tragique. Mais elle laisse supposerque la famille cherche à s’enfermer dans un déni de réalité quant au sérieux del’addiction de l’artiste. Aucune allusion n’est faite au divorce de ses parentsen 1992, ni au choc émotionnel que cet événement traumatisant a pu représenterpour la petite fille de 9 ans qu’était Amy à l’époque. L’exposition sembleclairement une tentative de la famille Winehouse d’immortaliser leur fille etsœur et contribue à soulager le chagrin que nourrit son funeste destin.

En mai dernier, Stefan Skarbek, le producteur de l’album Frank sorti en 2003,avouait pourtant qu’à l’époque, il était évident déjà qu’Amy, alors âgée de 20ans, montrait des signes flagrants d’addiction. « Dès que j’ai vu Amy, j’aiimmédiatement compris qu’elle avait des problèmes avec la drogue », a confiéSkarbek au journal The Sun, qui rapporte par ailleurs que Winehouse avait déjàfait une tentative de suicide au moment du divorce de ses parents, et que soncomportement autodestructeur, avec scarifications et crises de boulimie, dataitde son adolescence.
« Nous avons demandé à la famille de choisir des objets et des photographiesqui reflétaient le mieux la Amy qu’ils avaient connue, Amy la fille, Amy lasœur », dit Lopatkin. « C’est la plus grande star filante du milieu des années2000, mais le fait qu’elle soit morte si jeune a touché beaucoup de gens. Dansson chagrin, la famille a voulu révéler la femme, celle qu’elle connaissaitdans l’intimité loin des caméras et des feux de la rampe. Je crois que nous ysommes parvenus ».
La direction du musée espère atteindre les 45 000 visiteurs d’ici la clôture del’exposition, le 15 septembre prochain. Au cours des 24 heures qui ont suivil’ouverture, le livre d’or était signé par des visiteurs venus de Norvège, deFrance, d’Italie et d’Israël. Mais le succès de cette exposition dépasse leschiffres. Le but de la famille étant de rendre hommage et de rendre publique laAmy Winehouse privée qu’ils aimaient.