De Lisbonne à Porto

La route du Portugal est semée de vestiges qui témoignent d’une vaste présence juive avant l’Inquisition : synagogues, objets de culte, quartiers juifs.

portugal (photo credit: Reuters)
portugal
(photo credit: Reuters)

Jusqu’àl’Inquisition, au 15e siècle, les Juifs du Portugal constituent une communautéflorissante. Leurs contributions sur le plan économique, culturel etscientifique ont eu une importance capitale pour le développement du pays, etcertains noms ont marqué la grande histoire du Portugal, tels qu’IsaacAbravanel, philosophe, conseiller et trésorier du roi ou maître Guedalha,médecin et astrologue de D. Alfonso V. La famille de Guedalha, qui comptaitparmi les plus influentes, a fondé un hôpital dans le quartier juif deLisbonne.

C’est à cette époque que ces “juderia” comme on les appelle, apparaissent dansplus de 135 localités du pays.
Il s’agit de rues étroites aux hautes maisons de pierre souvent accolées auchâteau du bourg, où vivent alors les Juifs, en paix avec leurs voisins. Lesdemeures sans murs de séparation intérieure permettent de réunir les famillespour les fêtes et faciliteront, par la suite, leur fuite.
Tout bascule en 1492, lorsque la reine Isabelle la Catholique expulse les Juifsd’Espagne, et impose au roi du Portugal de faire de même s’il veut épouser safille.
L’alliance politique est trop importante, le roi D. Manuel cède et en 1497 unédit impose aux Juifs de se convertir au christianisme ou de quitter lePortugal. Beaucoup se plient aux exigences pour devenir des “christosnovos”(crypto-juifs).
Mais bien que baptisés, ils continuent à pratiquer la religion juive en secret: ils sont surnommés les marranes.
Ceux qui sont surpris encourent une condamnation à mort par le bûcher. En 1506,une rumeur propagée par des moines dominicains à l’encontre de ces “nouveauxchrétiens” déclenche un massacre ; et plus de 4 000 Juifs sont torturés, brûléset pendus. Les rescapés s’enfuient vers les Pays -Bas, l’Italie et la Turquie.C’en est fini, pour longtemps, de la présence juive au Portugal...
Le timide renouveau d’une communauté

Malgré le retourde certaines grandes familles, aux 19e et 20e siècles, la communauté juive duPortugal, est restreinte. On recense actuellement 5 000 Juifs dans tout lepays, dont peu d’entre eux sont pratiquants. Le vendredi soir, dans lasynagogue de Lisbonne, la cérémonie commence à 19h30. Devant la porte, SamuelOvadia, dont le grand-père est venu du Maroc, surveille et fait passer unsérieux interrogatoire aux inconnus.
Comme la majorité des Juifs portugais, il ne parle pas hébreu. “Je rêve quel’hébreu soit la langue de tous les Juifs du monde, une sorte d’espéranto”,avait dit un jour l’écrivain israélien Amos Oz. Ce temps n’est pas encore venu.Et malgré les quelques cours administrés, le retour reste encore très fragile.
Des mesures de sécurité sont imposées. Mais au Portugal, il n’y a ni attentat,ni antisémitisme. “Les gens se respectent”, ajoute Samuel Ovadia, à la carrureimpressionnante.
Y aura-t-il du monde, ce soir pour l’office du Shabbat ? “Oui, au moins 25personnes”, assure-t-il. Un chiffre faste pour lui...
Dans la coquette synagogue en bois du Brésil, le rabbin italien Eliezer DiMartino délivre des informations plutôt historiques à des Israéliens. Ce soir,il y a quelques touristes - argentins, français, américains - qui ont éprouvéle besoin, le temps d’une soirée, de revenir aux sources. Aujourd’hui certainsPortugais, qui appartiennent notamment à la jeune génération, se disentouvertement issus de marranes et se convertissent au judaïsme.
Capitaine Barros Basto, le Dreyfus portugais

Anna Lima aurabientôt fini sa conversion. Son père est un marrane et elle est en quête de sesorigines. Elle nous fait visiter la grande synagogue de Porto, qui semblehantée par les figures du passé. Ici, le temps s’est arrêté et rien n’a bougédepuis les années 1930... La Remington de Barros Basto est toujours là, prête àfonctionner. Le capitaine Barros Basto était un descendant de marrane, né en1887. Il a découvert avec ravissement le judaïsme contemporain et fondé lacommunauté juive de Porto.
Surtout, il a milité farouchement pour le retour au judaïsme de tous lesmarranes ; et mené l’action “Obra de Resgate” (oeuvre de rédemption) qui apermis à d’autres communautés de resurgir, comme celles de Bragance et Covilha.
Barros Basto accueillait également les Juifs qui fuyaient les nazis. Dans lessalles attenantes à la synagogue, tous les documents d’époque ont étéconservés. Feuilles à peine jaunies, on les dirait écrites hier. De France,Pologne et d’Allemagne, tous les exilés venaient alors à Porto. On trouve aussile journal créé par Basto : Halapid. Accusé d’homosexualité par le nouveaugouvernement fasciste, qui voit d’un mauvais oeil les circoncisions organiséespour les reconversions de jeunes hommes de 18 ans, il est dégradé et privé desa retraite.
Celui qu’on appelle “le Dreyfus portugais” ne s’est jamais remis de cettehumiliation. Son mouvement a perdu de sa force et s’est éteint peu à peu... Ilest mort dans la misère en 1961. Cette magnifique synagogue qu’il avait tantaimée est imprégnée par sa présence presque palpable. Sur les chaises de boissombre, bien entretenues, flotte un étrange parfum ; un goût de revenez-y.
Belmonte, le coeur et Tomar, l’ancêtre

La synagogue deBelmonte est petite, mais contrairement à celle de Porto, on la sent vivante.Belmonte, situé à 200 km de Lisbonne, est un village historique magnifique oùles Menorah du musée juif côtoient en toute liberté la statue haute et fière dePedro Alvarez Cabral, un natif de Belmonte qui a découvert le Brésil. AntonioMendès est le président de cette communauté qui compte une centaine de membresactifs. Belmonte est le coeur du judaïsme portugais : tout part et convergevers elle. Un rabbin, comme à Lisbonne, transmet et sillonne la région à larencontre de ceux qui veulent revenir. Car c’est à Belmonte que les criptojuifsont continué à pratiquer leurs traditions depuis le 15e siècle et sans rupture.
Le rabbin Elisha Salas a été envoyé au Portugal par le mouvement Shavei Israëlen charge de retrouver les marranes. Il tue lui-même les animaux rituellement,car au Portugal, il n’y a pas de boucherie casher. Vins, huile d’olives etconfitures se vendent dans une boutique de Belmonte, comme des trésors d’unpassé fabuleux qui n’est plus. Contrairement à Antonio Mendes, convaincu del’assimilation à long terme des Juifs du Portugal, Elisha Salas voit chaquejour une nouvelle pierre apportée à son édifice. Le photographe FrédéricBrenner est allé sur les traces de cette communauté et a cosigné un livre,édité aux éditions de la Différence, Les Marranes, avec Yossef HayimYeroushalmi.
Tolmar est la plus ancienne synagogue du pays. Classée Monument national en1920, son architecture est symbolique : les dessins au plafond représentent les12 tribus d’Israël et les colonnes les quatre mères Sarah, Rebecca, Rachel etLeah. L’acoustique est incroyable, réalisée selon un procédé du 14e siècle àl’aide de cruches retournées.
Fermée en 1496, elle servira de prison, d’entrepôt.
Samuel Schwartz, un ingénieur arrivé de Pologne six ans auparavant, s’est portéacquéreur de la synagogue et l’a faite restaurer à ses frais. Il en a fait donà l’Etat portugais en 1939. Située dans la rue de l’ancien quartier juif, ellejouxte un ancien mikvé que l’on peut également visiter.
Tomar a été la ville des Templiers, érigée sur les hauteurs du village. Lesruines du château construit par l’ordre au 12e siècle abritent le couvent duchrist, dont la rotonde centrale a été bâtie sur le modèle du Temple de Salomonà Jérusalem. Ces chevaliers vivaient en bon voisinage avec les Juifs qui leurtraduisaient des documents en hébreu pour la mission qu’ils s’étaient donné :reconquérir Jérusalem. Ces “soldats de Dieu” étaient des gens pacifistes quiprotégeaient les Juifs des agressions extérieures.
A Tomar vivent encore deux familles juives qui souhaitent conserver leuranonymat. “Ici, c’est petit, ils ont peur que cela se sache”, ajoute la gardiennedu musée Teresa Vasco, dont la grande Maguen David orne le cou. Peut-être pourêtre assortie au décor et au paquet de matsot exposé comme un objet du passé.Elle est marrane, sa mère vient de Belmonte. De son enfance, elle a gardé dessouvenirs de rituels : une bougie allumée le vendredi soir... une prière...Rien n’est vraiment dit...
Le judaïsme ? Un phénix qui renaît de ses cendres

On se croirait àJérusalem, la rue étroite en pierre qui monte pour atteindre la synagogue semérite et ressemble par ironie du sort à la Via Dolorosa. Mais une fois devantl’édifice, l’émotion étreint l’âme. Dans cette ancienne synagogue transforméeen musée, on raconte à travers neuf pièces thématiques l’histoire des Juifs duPortugal et de la diaspora.
Castelo de Vide a aussi été un haut lieu du judaïsme. Il est situé au nord del’une des plus belles régions du Portugal, l’Alentejo. Les paysages sont àcouper le souffle.
Les maisons, jadis habitées par des Juifs, sont désertes.
Ah ! si les pierres pouvaient parler... Dans ces dédales de rues silencieuses,on entend comme le bruissement de voix du temps jadis, des enfants rient,papillotes au vent, bousculent artisans et commerçants... Illusion etimagination, ce n’était que le bruissement des feuilles dans les arbres de laplace qui mène aux ruines du château.
José Levy Domingos est président de la communauté juive de Trancoso. Comme àBelmonte, le judaïsme est, ici, un phénix qui tente de renaître de ses cendres.Preuve à l’appui, un nouveau centre communautaire vient d’être construit, avecune synagogue. Sera-t-elle un jour pleine ? Il y a, selon José Lévy, 32familles actives et plus de 150 Juifs.
Tout près de cette modernité naissante, le passé nous saute à la gorge... Hautlieu du judaïsme, Trancoso abrite dans son centre historique plus de 300maisons où sont inscrites sur les murs, comme des stigmates, les preuves d’uneancienne vie juive. Les croix inscrites dans les pierres sont un premier signeque marquaient les Juifs par peur des représailles ; et pour montrer qu’ilsavaient abdiqué leur foi. Beaucoup d’entre eux continuaient cependant àpratiquer leur religion.
José Levy nous signale d’autres dessins ou sculptures gravées. Ici un lion deJuda, là un homme courbé semble prier, prisonnier à jamais de la pierre, commela femme de Lot. A quel moment cette petite ombre a-t-elle posé les yeux surd’autres mondes néfastes ? Dans un musée, la ville rend hommage à travers uneexposition à un homme qui a sauvé 10 000 Juifs pendant la guerre en leurattribuant, à Bordeaux où il était consul en 1940, des visas pour Lisbonne quiavait gardé sa neutralité, et d’où ils pouvaient gagner les Etats-Unis.Aristides de Sousa Mendès, mort quasiment dans la misère, aura enfreint toutesles lois pour sauver des réfugiés. “S’il me faut désobéir, je préfère que cesoit à un ordre des hommes qu’à un ordre de Dieu”, disaitil.
Décédé en 1954 au couvent des moines franciscains, il sera, faute de vêtements,enterré dans une robe de bure. 

Informationspratiques Guide spécialisé pour les sites juifs : Paolo Moura : Tél : 212 909394 Se loger : Belmonte Pour en avoir plein les yeux : Couvent de Belmonte :Tél : 351 275 910 300 Pour la chaleur, la qualité et l’intelligence La maisond’hôte de Graça Correia Ribeiro : Passado de pedra Tél : 351 919 416 612 Officedu tourisme du Portugal 01 56 88 30 80