D’une libération à l’autre…

Un enfant qui dort, on ne le réveille pas. Mais un jeune homme qui dort trop, cela cache beaucoup de choses.

0602JFR25 521 (photo credit: DR)
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Au sortir de la guerre,Erwin, après son passage dans les camps, ne parvient pas à rester éveillé.
Et pourtant, c’est la libération. Un bien grand mot pour ces rescapés qui ontperdu la chair de leur chair, leur âme, leur vie. Ces réfugiés juifs apatrides,transportés dans d’autres trains, d’autres camps, d’autres tentes puis envoyéssur les plages de Naples, sont décrits comme des fantômes, desquels toutsouffle de vie s’est évaporé. Mais leur humanité n’a jamais disparu.
Ils sont quelques-uns à arriver à Naples, après une longue errance en Europe.Tous ont pris garde de ne jamais oublier Erwin, leur dormeur, ce jeune garçonsolitaire de 16 ans, plongé dans un silence si profond que rien ne pouvaitréveiller, ni les remous du voyage, ni les pleurs de ses confrères. On auraitpu le croire presque mort. Il avait tout perdu : père, mère, oncle, tante… etmême sa langue.
En Italie, une nouvelle épreuve attend le jeune homme. La « sionisation » ouplutôt la formation du nouveau Juif que l’on confie à ces émissaires del’Agence juive. Les plus jeunes et moins désillusionnés sont sélectionnés. Ilsdeviennent d’abord de forts gaillards aux bras musclés et brunis par le soleil.
L’entraînement sur les plages de Naples est un souvenir doux pour Erwin :l’apprentissage intensif de l’hébreu, les courses, les épreuves mentales. Parcontre, il se rappelle avec douleur le regard des réfugiés non sélectionnés :un regard triste, un non-dit qui veut signifier « vous nous avez trahis voussionistes ».
Une nouvelle langue, avec l’interdiction de prononcer un mot dans la languematernelle, mais aussi une nouvelle mentalité et manière d’appréhender cettenouvelle vie sont inculqués aux jeunes rescapés. Il s’agit de se préparer àl’installation prochaine en Terre promise.
Ce sommeil si lourd dans lequel le jeune homme était plongé chaque nuit,parfois plusieurs jours durant, tend à disparaître. Pourtant, il revit chaque foisdans ses rêves, son passé encore trop présent. Il converse avec sa mère, mêmesi l’hébreu fait disparaître peu à peu sa langue maternelle.
Bientôt, il ne parvient plus à communiquer avec elle.
La traversée de la Méditerranée est très tumultueuse, à l’image de la déchirureque les personnages doivent ressentir à tracer un trait sur leur passé,enseveli sous les cendres. A leur arrivée, les exilés sont arrêtés et placésdans le camp d’Atlit ; la Palestine est encore sous mandat britannique.
D’une guerre à l’autre 

Peu après, ils sont envoyés sur les hauteurs de Judéepour construire des terrasses agricoles… où le soleil tape et l’ombre se faitrare. L’entraînement joyeux de Naples s’éloigne dans les méandres du souveniret laisse place à la difficulté, à l’inconnu, à la solitude.
Les pionniers travaillent dur à construire leur nouvel Etat, changent de nomcomme d’identité. Désormais, Erwin s ’ a p p e l l e r a Aharon. D’unelibération à une indépendance, les jeunes gens sont de nouveau au coeur de laguerre en 1948.
Cette fois, c’est pour leur terre.
Encore frais « rescapés », ils sont affectés à des missions militaires. Blessé,Aharon restera paralysé pendant plusieurs mois. Alors le sommeil revient, soncocon et ami, et il revoit sa vie d’antan.
Rongé par l’angoisse et la culpabilité, il comprendra alors l’importance de lasolidarité entre pionniers. Submergé par son passé, il recherchera son père enempruntant le même chemin. Celui qu’on lui connaît aujourd’hui : de pionnier ildevient écrivain.
Aharon Appelfeld et son génie littéraire s’offrent à nous dans ce récitsemi-imaginaire, semi-autobiographique mêlant toutes les souffrances des débutsisraéliens et du passé juif.
Rien, par contre, ne laisse la place à un pathos larmoyant. A la lecture de cecondensé d’histoire pionnière, on se souvient du combat des aînés pour cetteterre.