Démocratie et Religion : un heureux mélange ?

Telle est la question à laquelle vont essayer de répondre intellectuels français et israéliens, du 5 au 7 juin prochains

religion diplo (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)

En mai 2010, le premier Forum de l’Institut français avaitsuscité quelques vagues et connu certains remous. D’abord ceux du Mavi Marmara,la tristement célèbre flottille pour Gaza,venue éclabousser de ses vents nauséabonds, par les hasards du calendrier, unévénement déjà entaché de polémique. Car sur fond de JCall, la rencontre avaitpour invité d’honneur un certain Bernard-Henri Levy, signataire de l’Appel à laraison lancé par des Juifs européens qui voulaient faire entendre leur voix etappelaient - entre autres - à la fin de la colonisation d’Israël et à unesolution à deux Etats. Deux idées peu en vogue auprès de la communauté desFrançais d’Israël, plutôt ancrée à droite dans sa grande majorité et quin’avait pas hésité à crier à l’ingérence. Attendu au tournant et sur la scènepar une contre-manifestation emmenée par Georges- Elias Sarfaty, le philosopheà l’acronyme - BHL - avait toutefois su relever le défi oratoire qui lui étaitréservé et séduit ses détracteurs par son exposé à l’occasion de la séanceinaugurale.

Mais le calumet de la paix était loin d’être enterré. Le panel des autresinvités n’étant pas de nature à calmer la fougue des Français d’Israël encoredebout sur le pont de la discorde. A gauche toute ! criait-on dans leshautparleurs virtuels et autres moyens médiatiques de la blogosphère. Troppartisan, trop biaisé. A tel point que Christophe Bigot, l’ambassadeur deFrance en Israël, avait reconnu quelques couacs, impartis, selon lui au faitqu’il s’agissait de la première édition. Au final, amerrissage en douceur pourun événement qui avait su résister aux menaces de boycott de quelques frangesde la communauté française. Le public était venu à quai, certes, mais tout lemonde était conscient qu’à l’avenir il faudrait recentrer le gouvernail, pouréviter un nouvel élan de houle.
Israël, plus fréquentable

Telle était donc la mission du capitaine del’Institut français de Tel-Aviv depuis septembre dernier, à l’occasion de cesdeuxièmes rencontres. Olivier Rubinstein, qui déclare ne pas s’être basé sur lepremier forum pour mener à bien son projet, avoue être arrivé en Israël avecl’idée d’organiser une série de tables rondes autour du thème Démocratie etReligion. Histoire de confronter Français et Israéliens de tous horizons et detoutes mouvances. “Il ne s’agissait pas d’inviter uniquement des laïcs degauche ou des religieux”, explique-t-il, “mais bien de proposer un paneléquilibré”.

Et de rassembler des personnalités de tous bords en allant piocher dans desregistres peut-être moins attendus. Comme avec Hassen Chalgoumy, président del’association culturelle des Musulmans de Drancy, dont il s’agit de la premièrevisite en Israël. “Cela n’a pas été une mince affaire”, note Rubinstein. Pourlui, comme pour les autres personnalités issues du monde arabe - la cinéasteNadia El Fani ou l’artiste plasticienne Majida Khattari - qui ont accepté de serendre dans l’Etat juif, en dépit des réactions qu’une telle démarche susciteau sein de leur communauté d’origine.
Hormis les intellectuels palestiniens qui ont adressé une fin de non-recevoir,pour raisons idéologiques, tous les autres intervenants arabes contactés,chrétiens ou musulmans, ont accepté de participer. Y compris les Arabesisraéliens, comme Issa Jabber, chargé des projets socio-éducatifs d’Abou Gosh,ou Ghassan Manasra, directeur du centre culturel islamique de Nazareth.
La preuve d’une évolution positive pour Rubinstein qui rappelle qu’il y aquelques années à peine, il était difficile d’organiser ce genre de rencontresen Israël. Est-ce à dire que l’Etat hébreu trouve progressivement sa place surla scène internationale et devient plus fréquentable ? Oui, incontestablement,estime le directeur de l’Institut français, du moins auprès du mondeintellectuel. Et de faire référence à la récente venue de l’écrivain algérienBoualem Sansal, “qui a eu droit à une standing ovation” au terme de saconférence à Tel-Aviv, le 15 mars dernier : “Un homme courageux, qui n’hésitepas à franchir les frontières, dans tous les sens du terme”. Et sa venue, commela tenue de ce forum, constituent un signe encourageant pour Rubinstein, dontle but est clair : dédiaboliser Israël.
Le fait religieux, telle est la question

D’où l’idée de ce forum, avec pourobjectif, la volonté de confronter des points de vue divers et variés sur “lesujet mondial qu’est la remontée du religieux, la cohabitation du religieuxavec société civile. Un sujet qui concerne non seulement la France et Israël, mais aussil’ensemble des pays arabes”, estime le directeur de l’Institut français.

Car pour Rubinstein, telle est la véritable question.
“Au-delà de la territorialité, du politique, la notion du religieux est laquestion qui transcende toutes les autres”.
Et si c’est vrai, partout dans le monde, cela l’est particulièrement en Israël.Mais dans cette société éclatée par les courants du sacré, peut-on parler dureligieux sans déchaîner les foudres des croyants et des athées ? Rubinsteinrépond par l’affirmative.
“On peut parler de tout en Israël, et depuis longtemps.
Le pays l’a prouvé par la qualité de ses débats, de ses films. Bien sûr, ils’agit d’une société complexe confrontée au radicalisme religieux, mais lanation est tout à fait prête pour affronter ces questions”.
Parmi les intervenants qui vont se succéder sous forme de tables rondes du 5 au7 juin prochains, on compte la moitié d’Israéliens. Le député Haïm Amsallem,l’ancien ambassadeur d’Israël en France Eli Barnavi, le politologue Denis Charbit,ou le ministre de l’Education Gideon Saar.
Mais aussi les rabbins Menahem Frooman (Tekoa), Youval Cherlow ou le pèreLouis-Marie du monastère bénédictin d’Abou Gosh. Le Rav Shlomo Aviner, convié,n’a pas répondu présent pour des raisons de calendrier.
Côté français, on peut noter la présence d’Alain Finkielkraut, CarolineFourest, Elisabeth Levy, Shmouel Trigano, ou Raphaël Enthoven.
Et avec le choix des hommes - et des femmes - se pose aussi celui des débats.Au programme des thèmes abordés : Laïcité en France, Israël et dans le mondearabe ; Face à l’intégrisme, le combat des femmes ; Qui a peur du blasphème ? ;Archéologie et histoire, quand la politique s’en mêle...
Un véritable casse-tête d’organisation pour les équipes de l’Institut français.Mais aucun intervenant n’a refusé de participer à une table ronde en raison dela présence d’un autre participant. Seuls les sujets ont pu être à l’origine decertaines permutations.
Marie Drucker, l’atout charme

L’enjeu est de taille. Une salle de 300 personnes,des débats en français ou en hébreu traduits simultanément dans l’autre languepour intéresser le plus grand nombre, une importante logistique.Incontestablement l’événement le plus important en termes de mobilisation pourl’Institut français qui assume seul, quasiment, le financement du projet.Hormis une aide minime du ministère des Affaires étrangères israélien,“essentiellement symbolique”, précise Rubinstein, qui déplore par contre ledésintérêt de la mairie de Tel- Aviv qui a refusé toute participation.

L’invité qu’il regrette tout particulièrement : son ami Abelwahab Meddeb, unintellectuel tunisien, auteur de La maladie de l’Islam, actuellement enrésidence à Berlin, bloqué par ses engagements professionnels.
“C’est un homme de grande qualité, je suis désolé qu’il ne puisse être desnôtres car il connaît très bien l’Islam et en a fait une critique tout à faitpertinente”.
Et sa plus grande fierté : peut-être la présence de Hassen Chalghoumi. Mais ledirecteur de l’Institut français se déclare également ravi d’avoir persuadéMarie Drucker de venir : “C’est quelqu’un que j’aime bien, qui s’intéresse àIsraël, même si elle ne le dit pas forcément en France. Le fait qu’elle soit là, àtitre totalement gracieux, pour animer les débats est un signe de confiance quim’a beaucoup touché.”
L’atout charme d’un colloque qui ne se veut en rien universitaire. “Surtout pas!”, déclare Rubinstein qui aspire à un événement tout public. Et ponctue parune boutade : “Pour une rencontre grand public, j’attends un grand public !”