L’Antisémite a fait tomber le masque

Pourquoi faut-il remercier Dieudonné pour son film L’Antisémite

Dieudo (photo credit: Dieudonné officiel)
Dieudo
(photo credit: Dieudonné officiel)
Autrefois héraut de l'antiracisme admiré de tous, le comédien français originaire d'Afrique occidentale, Dieudonné M'Bala M'Bala, s'est aujourd'hui recyclé en négationniste, ennemi d'Israël, « antisioniste » d’un nouveau genre, défenseur d'Oussama Ben Laden, Mahmoud Ahmadinejad, Hugo Chavez, Carlos Illich Sanchez, Lyndon LaRouche, Thierry Meyssan (tenant d'une théorie conspirationniste sur les attentats du 11 septembre), et de Jean- Marie Le Pen (parrain de sa fille).
Le seul dénominateur commun que l'on peut trouver à cette liste d'Islamistes, d'extrémistes de droite et de gauche, de conspirationnistes, de négationnistes, de racistes et de terroristes est leur attitude vis-à-vis des Juifs, de la Shoah et d'Israël.
Après sa séparation d'avec son partenaire Elie Semoun, qui mit fin à leur duo antiraciste, Dieudonné s'est vu marginalisé par la scène française. Il a cependant continué ses provocations publiques depuis son théâtre de poche parisien, La Main d'Or, et le Hezbollah Club, un bar d'extrême droite bien peu musulman, où l'on sert de l'alcool.
C’est à La Main d'Or qu'il a reçu les rabbins antisionistes de Neturei Karta pour manifester contre l'interdiction française qui avait frappé les émissions d'Al-Manar, la télévision du Hezbollah.
Ami proche de Robert Faurisson, révisionniste historique récidiviste, Dieudonné a fréquemment été condamné en diffamation pour avoir parlé de "pornographie mémorielle" au sujet de la Shoah, entre autres débordements.
Un juge l'avait généreusement acquitté après son sketch télévisé de 2003 où il incarnait un rabbin/colon israélien, marchant au pas de l'oie, levant le bras à la manière du salut hitlérien et hurlant à plusieurs reprises : « Isra-Heil ». Dieudonné avait assuré qu'il disait « Israël » (en français le tréma sur le « e » marque une inspiration. En l'accentuant un peu, on entend un "h"). Le juge avait considéré que la scène n'était pas une attaque contre les Juifs en général, mais que les personnes visées l'étaient « en raison de leurs opinions politiques ».
Mais à d'autres reprises, ses intentions n’ont pas été jugées avec autant de clémence. Un procès a d’ailleurs été intenté contre lui en France pour « apologie de crimes contre l'Humanité », « incitation à la discrimination, à la haine et à la violence » et « insulte sous couvert d'humour ».
Un autre tribunal est même allé plus loin en statuant que l'objectif de Dieudonné était bien d'offenser la mémoire du peuple juif en 'tournant en dérision la déportation et l'extermination des Juifs par les nazis lors de la Seconde Guerre mondiale exprimant ainsi son mépris et son désir de heurter la communauté juive'.
En tant que co-fondateur du Parti anti-sioniste français, il a fait campagne pour les élections régionales et, comme candidat du Parti Euro-Palestine, lors des élections européennes avec pour programme la lutte contre 'la domination sioniste des sociétés occidentales' et 'la soumission à la Shoah qui est devenue une nouvelle religion'.
Une maladie contagieuse Sans donner au film de Dieudonné une importance qu'il ne mérite pas, on peut tirer des épuisantes 90 minutes de L'Antisémite les deux arguments suivants : a) La judéophobie, l'antisionisme, le négationnisme, les conspirations dans la lignée du Protocole des Sages de Sion ne sont pas des idéologies indépendantes qui peuvent ou non contenir des éléments antisémites. Elles sont les composantes mêmes de l'antisémitisme.
b) L'antisémitisme est une maladie contagieuse qui, à un certain point, est incurable.
La scène d'ouverture du film est en noir et blanc. Elle montre Dieudonné, en sergent des US marines, « découvrant » Auschwitz et donnant un morceau de pain à un prisonnier famélique à travers des fils de fer barbelés.
Le prisonnier le guide ensuite dans une visite de « chambres à gaz » dans lesquelles on peut voir des douches de salles de bain.
Les fragments d'os humains dans le four crématoire sont présentés comme les restes d'un barbecue.
Retournant à l'époque actuelle, le film montre l'épouse de Dieudonné souffrant d'un cancer en phase terminale et suppliant son mari de suivre un traitement psychiatrique pour se défaire de son obsession antisémite.
Dieudonné porte un manteau de cuir noir de la Gestapo et une étoile de David. Faurisson fait une apparition, ainsi qu'Alain Soral (citoyen suisse, ancien communiste passé au Front National).
Dieudonné violente physiquement tous les membres de la distribution, y compris son épouse, son psychanalyste (le Dr Goldstein) et le metteur en scène homosexuel du film (tous apparemment juifs) tout en justifiant sa paranoïa antisémite.
La conclusion est la suivante : « Les Juifs contrôlent tout. Les médias, la finance, la politique. Nous n'avons pas d'autre choix que de les exterminer ! » La scène finale, film dans le film, tournée à la Main d'Or, consiste en un numéro de danse avec le public et les « Shoahnanas ».
La matrice de l’antisémitisme Mis au ban par les cinémas et les chaînes de télévision, le film n'est disponible qu'en ligne. La jaquette annonce une nomination à un prix du festival de Fajr-Téhéran. Selon Le Monde, l’opus a été coproduit par l'Iran, et le New York Times rapporte la participation du Centre iranien du documentaire et du film expérimental. Le directeur du marché du film du festival de Cannes, Jérôme Poullard, pour sa part, s'est opposé à une projection publique, comme il l'aurait fait « pour n'importe quel film qui risquerait de troubler l'ordre public et les conventions religieuses ». Il a également été écarté à Montréal, Bruxelles et Londres.
Dieudonné a, en outre, prétendu qu'il existait une implication sioniste dans la traite des esclaves noirs.
Mais il a vivement été critiqué par un groupe africain qui l'accuse de trahir leur histoire de souffrance et de les trahir eux-mêmes en tant que victimes de discrimination. Son alliance avec le Front National, parti fortement opposé à l'immigration, lui a valu d'être appelé « l'Oncle Tom de Le Pen ».
Un neurologue décrit son antisémitisme comme « un processus chimique complexe au sein d'un vaste réseau synaptique, qui, dans son cas, surchauffe au point de risquer l'explosion ».
En somme, ni Dieudonné, ni son film n'ont la moindre influence. Ce qui importe est ce qu'ils représentent, dans leur banalité perverse : la nature intégrée et globale de la matrice de l'antisémitisme. Tout particulièrement en France, où l'influence de Derrida, Chomsky et de leurs acolytes encourage l'explosion des histoires officielles en de multiples, et parfois même contradictoires, versions de la « vérité », les mensonges les plus extrêmes sont acceptés.
Nous devrions peut-être remercier Dieudonné pour avoir mis fin, par son horrible gâchis de pellicule, au débat parmi les non-Juifs au sujet de la fine distinction entre l'antisémitisme inacceptable et l'antisionisme qui se voulait légitime.
L'Antisémite a fait tomber le masque. Tout est clair aujourd'hui : les propos contre Israël autour d'un verre conduisent directement à des éclats de verre dans des synagogues et au récent massacre dans une école juive. u Le film de Dieudonné fait partie de la programmation du Forum Social Mondial pour la Palestine, qui se déroule cette année au Brésil, du 28 au 1er décembre.
L’auteur est le directeur des relations internationales du Centre Simon Wiesenthal