La magie des vieilles affiches

A l’heure où le cinéma fait les gros titres, le musée d’Eretz Israël nous invite à un voyage dans le temps. Retour dans le Tel-Aviv des années 1930

Le cinéma Moghrabi (photo credit: DR)
Le cinéma Moghrabi
(photo credit: DR)
Souvenez-vous. Situés à deux pas l’un de l’autre, en plein cœur de Tel-Aviv, les cinémas Allenby et Mograbi ont longtemps été des lieux incontournables du paysage de la Ville blanche. Leur heure de gloire, ils la doivent à un seul homme, Yeroucham Vardimon, qui a dirigé les deux complexes pendant plus de 28 ans. Il faut dire que cet authentique cinéphile, dont la famille était établie en Palestine depuis cinq générations, ne reculait devant rien pour attirer les passants et les faire s’asseoir dans ses salles obscures.
Les façades des cinémas Allenby et Mograbi étaient ainsi une attraction à elles seules, barrées d’immenses affiches présentant les films. Des portraits plus grands que nature, d’énormes lettres monochromes. Impossible de ne pas y prêter attention.
Aucun habitant de Tel-Aviv ne peut avoir oublié l’affiche placardée sur la devanture du cinéma Mograbi annonçant la comédie musicale Tin Pan Alley, avec Alice Faye et Betty Grable dans les rôles principaux. Le géant qui faisait face aux deux actrices surplombait alors les piétons de la rue Allenby.
« A l’époque, les façades de ces cinémas étaient un spectacle à elles seules », explique le commissaire de l’exposition, Guy Raz. « Les stars s’exhibaient sur des affiches géantes qui ajoutaient une note à la fois grandiose et colorée aux rues de la ville. » Ces posters surdimensionnés n’ont pas seulement révolutionné la façon de promouvoir les films ; ils ont également amélioré l’esthétique de la cité et de ses artères.
A l’origine de ces affiches qui ont fait partie du paysage urbain israélien pendant plus de 30 ans, se trouve Yeroucham Vardimon lui-même. Quand il a pris la direction des deux salles de cinéma, Vardimon a rapidement compris que l’esthétique pouvait faire toute la différence. « Mon père avait un studio derrière le bâtiment », raconte son fils, Reudor Vardimon. « C’est là qu’il a lui-même créé toutes ces belles affiches. Il les concevait comme de véritables décors. » Les premières d’entre elles, dessinées par Israël Hirsch, témoignent du style américain en vogue dans les années 1935.
Un homme à part
A n’en pas douter, Yeroucham Vardimon était un sacré personnage. Doté de multiples talents, il a su utiliser chacun d’eux à bon escient dans les différents domaines de son entreprise. Ingénieur en électricité diplômé des facultés de Yale et Berlin, il possédait en outre une qualification d’enseignant qu’il a mise à profit en donnant des cours d’hébreu à Jérusalem puis en Australie, où il a vécu plusieurs années.
« Mon père avait, entre autres, fondé à Jérusalem une importante chorale qui regroupait une centaine de personnes », raconte Reudor Vardimon. Et cette chorale a joué un rôle plutôt inattendu. « En tant que membre de la Hagana, il savait que l’organisation occupait des souterrains transformés en centre d’entraînement au tir, juste à côté des quartiers généraux du CID (département d’enquêtes criminelles de la police britannique). Mon père faisait alors exprès de demander à la chorale de chanter le plus fort possible, afin d’étouffer le bruit des armes ».
Peu de temps après avoir pris les rênes du cinéma Mograbi, Yeroucham Vardimon a l’occasion d’utiliser ses compétences en électricité tout autant que sa grande créativité : « Lorsque mon père est arrivé, le Mograbi était un cinéma de plein air », explique Reudor Vardimon. « Il a alors décidé d’installer un toit électrique, un peu comme celui du stade de tennis de Wimbledon, en moins sophistiqué bien sûr. Grâce à cela, les gens pouvaient venir voir un film même quand il pleuvait. » Aujourd’hui âgé de 79 ans, Reudor Vardimon se souvient qu’enfant, il montait sur le toit du bâtiment pour mieux voir les films. « De là-haut j’avais une vue imprenable sur l’écran, mais aussi sur les spectateurs », se remémore-t-il le sourire aux lèvres. « L’été, c’était l’endroit le plus agréable, il y avait toujours une petite brise. J’étais un peu comme le petit garçon dans Cinema Paradiso. »
L’histoire du cinéma
A l’origine, le bâtiment qui abritait le cinéma Mograbi avait été conçu pour accueillir toute sorte d’événements culturels. Telle était du moins la volonté de son propriétaire Yaacov Mograbi, un riche commerçant juif émigré de Damas. Agrandi en 1930, le complexe comprenait deux étages. En haut, des salles de théâtre spacieuses ont ainsi offert l’hospitalité aux premières pièces jouées en hébreu ; Hamatate, Ha’ohel, Habima, ou Cameri. Lorsque Mograbi a fait part de sa volonté d’y installer une salle de cinéma, le maire de Tel-Aviv, Meïr Dizengoff, a demandé au nouvel immigrant d’intégrer une salle d’opéra à ses plans. Une volonté qui ne s’est finalement jamais concrétisée. Du projet a seulement subsisté le nom de l’édifice qui a continué à s’appeler « Opéra cinéma Mograbi ». En 1970, l’étage du bas est également converti en salles obscures. Mais le 17 juin 1986, un incendie ravage le bâtiment, qui sera définitivement détruit en 1989.
Le cinéma Allenby a connu presque la même destinée. Conçu dans les années 1920 par Shlomo Gepstein, architecte et journaliste originaire d’Odessa, il ouvre ses portes au public en 1935. Il devient immédiatement un lieu incontournable de la vie culturelle de Tel-Aviv. Mais dès le début des années quatre-vingt, ses salles sont désertées au profit de cinémas plus modernes, implantés dans les centres commerciaux.
Tout ce qui reste des beaux jours des cinémas Mograbi et Allenby, ce sont les quelque 200 tirages en noir et blanc que Vardimon a réussi à conserver pendant plus d’un demi-siècle. La plupart de ces photos représentent les façades des deux cinémas ; elles ont été prises par Ephraim Erde qui avait toujours l’appareil naturellement pendu au cou ; sa bonne humeur transpire à travers les clichés.
Les lettres hébraïques à l’honneur
Mais revenons-en aux affiches. « C’était toujours des idées de mon père », dit Vardimon non sans fierté. « Ces créations représentaient un travail considérable. » Pourtant, ces posters ne faisaient pas long feu, puisqu’à l’époque, un film à succès était projeté trois semaines tout au plus. Vardimon père était donc continuellement occupé à peaufiner les portraits des acteurs à la mode. « L’esthétique était essentielle pour lui, c’est pourquoi il faisait aussi très attention à la forme des lettres dessinées sur l’affiche. Il s’efforçait de les rendre aussi belles et lisibles que possible. Car le plus grand amour de mon père, c’était l’alphabet hébraïque. »
Là, l’expérience en tant que professeur d’hébreu de Yeroucham Vardimon entre en jeu. « Mon père adorait entre autres traduire les titres originaux des films en hébreu. Mais il ne se contentait pas d’une traduction littérale, il utilisait toutes sortes de jeux de mots pour rendre au mieux l’esprit du titre original. » Vardimon était sans conteste un véritable cinéphile dont les bricolages visuels couplés à une sélection exigeante de films et un souci de la calligraphie ont laissé leur empreinte sur des générations de spectateurs. L’exposition présente également des extraits de films d’époque. Un véritable voyage dans le cinéma des années 1930.
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite