La petite histoire de Hava Naguila

A l’occasion de la fête de Souccot, retour sur ce chant joyeux, source de transmission de l’identité juive.

La petite histoire de Hava Naguila (photo credit: DR)
La petite histoire de Hava Naguila
(photo credit: DR)
Chanté depuis des générations, Hava Naguila a aussi été célébré par des événements artistiques : il a fait l’objet d’une exposition de l’Université hébraïque de Jérusalem en 2008, et d’un film de Roberta Grossman sorti en 2013 (Hava Naguila The Movie) primé deux fois, qui abordent l’histoire et le sens de ce chant juif omniprésent, des shtetls à YouTube, en passant par les kibboutzim, les banlieues chics américaines et bien des pays. De nombreuses pièces d’archives musicales, photographiques et télévisuelles de la Bibliothèque musicale israélienne y sont présentées, assorties d’interviews de descendants des créateurs ou d’interprètes du chant.
Tout commence par un nigoun de la communauté hassidique de Sadigora en Ukraine, dont nombre de ses membres émigrent en Israël à la fin du XIXe siècle, avec, dans leurs bagages, l’entêtante mélodie.
Quant aux paroles, les versions divergent. Avraham Idelsohn, chantre et musicologue lituanien né en 1882, revendique la paternité du texte. Il s’intéresse au morceau dans le cadre de son audacieux recueil des airs classiques juifs : « Ayant eu besoin d’une mélodie populaire pour mon chœur de Jérusalem, j’ai choisi cet air sur lequel j’ai composé un texte vers 1915. En quelques semaines, tout le pays s’est mis à le chanter ! ». Mais le chantre new-yorkais, Moshé Nathanson, né à Jérusalem en 1899, prétend également en avoir composé les paroles, à 12 ans, comme devoir de classe. Une version toutefois peu probable.
Idelsohn s’est basé sur le psaume CXVIII, 24 : « Ce jour, consacrons-le par notre joie et notre allégresse » (« … Naguila venismecha bo »).
Les chanteurs français, eux, s’éloignent du texte pour y inclure une dimension agricole et d’amour : « Dansons car dans les granges, le blé se range, c’est le dernier jour des moissons. Dansons sur cette terre fertile et fière qui reverra d’autres sillons… ton corps serre mon corps juste un peu plus fort… »
Le morceau peut se chanter sur le rythme classique, mais aussi en ‘hazanout (liturgie juive) ashkénaze, en chœur, en canon, avec des enfants…
Le trajet dans le temps d’un hymne juif
Très vite, Hava Naguila devient un élément clé du folklore juif qui gagne en popularité dans les cercles sionistes. Durant les années 1920-1930, il est intégré dans les recueils de chansons enfantines et enregistré par nombre de chantres juifs. Il évoque également les danses folkloriques auxquelles il est intrinsèquement lié, comme la ora.
Mais sa popularité internationale s’étend après la Seconde Guerre mondiale avec la composition mixte yiddish-jazz-klezmer des deux Barry Sisters.
Dans les années 1950-1970 ; il est joué dans toutes les fêtes juives. Un franc succès : dès les premières mesures, l’assemblée se lève, s’embrasse et danse. Pour Roberta Grossman, lorsqu’il est joué, même les plus assimilés se lèvent pour se joindre au cercle, pris par quelque chose de tribal : « Ils ressentent un étrange lien entre passé et présent, comme si ce chant leur permettait de voyager dans le temps. »
Combien de femmes, mères dans les années 1950-1960, n’ont-elles connu comme seul chant juif que Hava Naguila, le fredonnant souvent à leurs enfants sans en comprendre le sens. Dès lors, ils sont nombreux aujourd’hui, âgés de 40 à 60 ans, à vibrer encore en l’entendant !
Dès les années 1980, le public se lasse un peu, préférant revenir au klezmer, jugé plus authentique et adaptable aux instruments modernes.
Inévitablement alors, Hava Naguila devient la cible de plaisanteries, parodies, publicités… Même s’il reste prisé comme support musical pour les épreuves de patinage ou gymnastique (avec une médaille d’or pour l’Américaine Aly Raisman aux JO de Londres,
en 2012).
Si émouvant et si israélien
Il en existe 61 versions sur YouTube (un record) et plus de 200 sur Internet. Il figure dans bien des compilations de chants juifs et peut se targuer d’être chanté par de nombreuses célébrités.
En Israël, citons entre autres : Hanna Ahroni, Shuly Nathan, les Parvarim, Idelson/Houri, Yafa Yarkoni, ‘Hava Alberstein, le Duo Darom, dans une version endiablée, les Gevatron, Yardena Arazi sur un rythme oriental, Uri Shamir, Tova Bentsion, Dudu Fisher, Dror Meshulam, Lior Narkis avec Shlomi Shabat.
Aux USA, à rajouter à ceux précédemment cités : la vedette catholique Connie Francis qui l’inclut dans son best-seller de musiques juives, le chanteur noir Harry Belafonte qui en assoit la célébrité après l’avoir chanté au Carnegie Hall en 1959 avant de l’interpréter, ému, en Allemagne, après la Shoah. Mais également parmi d’autres : le chanteur de Country Glen Campbell, Ray Charles (avec Ben Gouri !), Bob Dylan (qui le « massacre » en 1963, mais le chante avec amour en 2009), la Cubaine Celia Cruz ; le rocker Neil Diamond ou la douée Regina Spektor, sans compter d’illustres ‘hazanim comme Norman Brody.
En France, plusieurs grands noms l’ont inclus à leur répertoire : Dario Moreno, Rika Zaraï, Dalida, les Compagnons de la Chanson, Charles Aznavour, Enrico Macias, ou encore Dany Brillant.
Et le chant voyage aussi : Corée du Sud, Inde, Thaïlande, Chine, Mexique… Des journalistes disent même l’avoir entendu comme musique de fond d’un chic bar afghan !
Plus qu’une chanson folklorique, il évoque le yichouv, une contribution concrète à la culture populaire d’Israël, les liens étroits qui y règnent entre chant et danse.
Plus profond qu’il n’y paraît, Hava Naguila révèle la capacité de la musique et de la joie exprimée, à maintenir pendant un siècle et demi une identité à travers les générations. Et ce, quelles que soient les disparités que le temps a pu créer entre elles.
Un mystère subsiste néanmoins : en quoi reste-t-il finalement si juif et si émouvant ? 
L’auteur est un ancien secrétaire général du Bné Akiva de France.