L’art et la manière

Tout s’apprend. Tel est le postulat des deux créateurs du Centre de l’art de la séduction, à partir de leur expérience avec le sexe opposé. Ou apprendre aux hommes à parler aux femmes

tchin (photo credit: Marc Israel Sellem)
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(photo credit: Marc Israel Sellem)

C’est une peurqui freine encore de nombreux hommes, bien que peu soient prêts à l’avouer. Une nervosité qui fait disparaître la sensation du temps et tout bon senslorsqu’un membre séduisant de la gente féminine entre dans leur champ devision. Que ce soit dans un bar enfumé ou un restaurant chic, dans la filed’attente pour la poste ou à la boulangerie, la seule pensée d’aborder unefemme fait frissonner plus d’une échine.

Roman Libin, 29 ans, comprend tout à fait. Durant son adolescence à Ashkelon,il tombait systématiquement amoureux de celles qui semblaient inaccessibles. “Achaque fois, au lycée, il y avait une fille dans ma classe qui me fascinait”,se souvient-il. “ Son visage, sa démarche... Je tombais sous le charme et unevéritable obsession commençait. Je cherchais des moyens de l’approcher, de luiparler, j’envisageais mille options. Et lorsque j’avais enfin le courage del’aborder et de lui dire ce que je ressentais pour elle, avec l’espoir qu’elleme réponde la même chose, bien sûr, cela ne marchait pas”. La méthode s’avère peu probante et Libin et son ami d’enfance, Yigal, tous deuxpassionnés d’informatique, s’interrogent : en quoi les garçons populairesauprès des filles sont-ils différents ? Pourquoi communiquer avec les femmesest si compliqué pour de nombreux hommes ? Plus ils grandissent, plus ces deux“geeks” autoproclamés sont curieux de la nature humaine. Et se demandentsurtout comment améliorer les aptitudes masculines à courtiser la genteféminine. Après avoir étudié le sujet par des lectures, ils s’attaquent àl’expérience de terrain, s’aventurant dans les rues, les centres commerciaux, lesbars et les discothèques en notant les méthodes s’avérant les meilleures.
“C’était pour nous-mêmes que nous le faisions au départ”, explique Shtark.“Puis nous avons organisé des rencontres et des stages. On a même ouvert unforum sur Internet. Et de plus en plus d’hommes qu’on ne connaissait pas nousrejoignaient”.
Deux amis qui ont du nez 

Les deux compèresflairent alors une opportunité. En 2004, ils fondent ensemble le Centre del’art de la séduction, une école qui enseigne aux hommes comment devenir lesmaîtres de l’approche. Ce genre de cours existait depuis plusieurs années auxEtats-Unis, et commençait à attirer l’attention en Europe, mais Israël étaitencore vierge. “Nous nous y sommes mis parce que cela correspondait à un besoinpersonnel, mais aussi parce que cela nous a vraiment intéressés”, analyseShtark. “On se posait des tas de questions et on avait tout autant de problèmes quandil s’agissait de filles. On se disait : Qu’est-ce que je lui dis ? Commentfaire en sorte qu’elle accepte de sortir avec moi ?”. Et de continuer : “Ensurfant sur Internet, on trouve beaucoup d’informations sur le sujet. C’estvraiment le hasard qui a fait que nous ayons développé une sociétéflorissante.”
Depuis sa création il y a huit ans, le Centre a formé plus de 8 000 hommes.Shtark, Libin et Tal Lifshitz, qui les a rejoints en 2005 commedirecteur-adjoint, ont transmis leur sagesse et formé des instructeurs auxsubtilités de l’attirance sexuelle. Les stagiaires étudient les étapes de l’approche, de la conversation, de laséduction et des relations à long terme avec une femme. Les cours joignent lathéorie à la pratique avec des “quadrillages” dans les centres commerciaux etautres centres-ville où les élèves s’entraînent face à des femmes choisies auhasard.
Au début, Libin et Shtark n’ont pas été pris au sérieux par leurs familles etamis, considérant que leur doux rêve de séduction les éloignait de vraiescarrières. “Mais les avis ont changé une fois qu’on a commencé à gagner del’argent”, se rappelle Libin. “Le sujet était tellement novateur en 2004 queles gens nous prenaient pour des rigolos. Personne ne croyait que cela pouvait marcher et qu’il y aurait de la demande.Mais nous agrandissant, c’est devenu plus sérieux et les plus récalcitrants ontfini par y croire”.
Tour de force ou séduction forcée ?

Mais si elles’avère un succès économique, l’entreprise essuie aussi de nombreuses critiqueset controverses. En particulier de la part de groupes féministes. Pour cesderniers : les deux jeunes gens promeuvent une approche dégradante des femmes.En décembre 2010, le Centre est sur la sellette : un commentaire, écrit par unstagiaire en août 2006, sème soudain l’indignation sur Internet. Un homme yrelate sa rencontre avec une femme tchèque au supermarché. Quand elle accepted’aller chez lui, il cherche à la séduire avec les techniques apprises encours. “Les choses ont avancé, croyez-moi. J’ai dû affronter d’innombrablesobjections, mais j’ai persisté jusqu’au bout”, écrit celui qui signe “Rosso”. Ildécrit en détails comment la femme a continué de se dérober et comment il afinalement réussi à la “séduire” et à lui faire accepter des actes dont elle nevoulait pas au début.
Le commentaire circule dans la blogosphère et sur les réseaux sociaux, jusqu’àce qu’une association féministe dépose plainte pour viol et incitation au viol.Des militantes débarquent au beau milieu d’un cours, scandant : “Non c’est non!” et “Le viol ne me séduit pas”. “La peur de s’entretenir avec une femme, raisonnable et compréhensible, a ététransformée par les directeurs du Centre de l’art de la séduction en haine desfemmes”, a ainsi écrit une bloggeuse féministe. “Ils ont créé une armée,agissant sur ordres, et lancée dans une campagne de revanche contre les femmesqui les ont rejetés. Ces cours enseignent aux hommes comment attaquer lesfemmes et ignorer le ‘non’.” Aucune charge ne sera retenue contre le Centre etRosso, mais la mauvaise publicité a fait son chemin. Pourtant, les fondateurssont formels : les médias et les féministes n’ont rien compris. “La presse esttoujours à la recherche d’un scandale”, assène Shtark. “Ce message sur Internetleur a servi de prétexte pour défrayer la chronique”.
Séduire au-delà du clavier

Libin enchaîne :“Si on se penche de près sur ce que nous faisons ici et ce que nous enseignons,on s’aperçoit que nous sommes assez proches du message féministe. La plupartdes agressions des hommes envers les femmes, ou encore des comportements derustres, ne proviennent pas de techniques de séduction, mais au contraire defrustration engendrée par une absence de savoir-faire. Nous n’avons eu que trèspeu de cas de comportements irrespectueux parce que nos étudiants saventcomment et quand s’adresser à une femme de façon à ce que ce soit agréable autantpour lui que pour elle”.
En dépit des difficultés, Shtark et Libin suscitent toujours autant d’intérêt.A leur grand étonnement. “Au départ, on pensait que notre croissance seraitlimitée, vu qu’Israël est un si petit pays et que nous nous adressons uniquementaux hommes”, explique Shtark. “On pensait que nous aurions épuisé nos clientspotentiels assez rapidement. Mais nous voilà dans notre huitième année d’existence. Et nous visons encored’autres champs de croissance car nous n’avons pas vraiment encore investi dansla publicité”. Libin est optimiste : les effets délétères des réseaux sociaux sur lesrelations hommes-femmes vont augmenter la demande, il en est certain. “Cesnouvelles formes d’interactions posent de nouveaux problèmes”, décortiquet- il.“Elles servent de masque ou de façade. Vous pouvez vous cacher derrière unprofil Facebook, ou tout autre réseau, mais en faisant cela, vous jouez unpersonnage. Et vous ne pouvez continuer une fois dans la relation. Vousrencontrez la fille, vous sortez, etc. En la rencontrant, vous ne pouvezcontinuer à communiquer via un clavier, où vous avez toujours quelques secondesou minutes pour penser à la bonne réponse. De vive voix, vous n’avez pas le temps de réfléchir, et c’est là que les chosesse gâtent”.