Les plumes de la Foire du Livre

C’est désormais Avi Pazner qui a repris les rênes de la Foire internationale du livre, événement littéraire.Avec un objectif clair : attirer de nouveaux participants en misant gros sur le livre numérique.

2002JFR23 521 (photo credit: DR)
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La Foireinternationale du livre de Jérusalem est une institution reconnue et respectée,cela va sans dire, il lui fallait donc à sa tête un diplomate accompli commeAvi Pazner. Ce dernier, 73 ans, s’est plongé dans le projet de la Foire dulivre en octobre dernier, suite à l’annonce de la mort du président de longuehaleine, Zev Birger, tué dans un accident de la route à l’âge de 86 ans, aprèspresque 30 ans au service des livres.
Cette année, la Foire qui s’est déroulée du 10 au 15 février, dans les salonsde Binianei Haouma, marque ses 50 ans d’activité. Pour Pazner, cette nouvelletâche est une histoire d’amour. « J’ai un penchant pour la lecture depuis queje suis petit », note-t-il, « en ce temps-là, nous n’avions pas de télévisionet les stations de radios se faisaient rares, mais nous possédions les livres.Dès mon plus jeune âge, je lisais, relisais et lisais encore. Mais je n’aijamais imaginé que mon amour des ouvrages mènerait à un emploi dans ce secteur.
Pour moi, être en charge de cet événement, c’est un rêve qui devient réalité ».
Son autre domaine de prédilection n’a rien de commun.
Outre veiller à tout avec patience et passion dans les allées de la Foire, ilpréside le Keren Hayesod.
Au début des années 1990, Pazner est ambassadeur d’Israël en Italie, puis serendra à Paris peu de temps après pour le même poste. Cette dernière positionfera de lui un francophile infaillible. Il aura gardé de ses annéesparisiennes, un amour de la langue française indéniable. Il écrira alors unouvrage, en français, sur son métier, Les secrets d’un diplomate.
« Je suis très occupé, mais j’ai été extrêmement honoré de me voir confiercette nouvelle mission », affirme-t-il, « mais vous savez ce que disent lesAméricains à ce propos : si vous avez un bon poste à offrir, donnez-le à unhomme occupé ».
Auteur en herbe

Si la Foire met en valeur les auteurs et les maisons d’éditionlocaux, elle attire notamment des établissements littéraires du monde entierqui ont fait la queue pour s’inscrire à l’événement de 6 jours, qui s’est tenudu 10 au 15 février.

Pazner a voulu faire en sorte que le pays bénéficie du plus grand nombred’ouvrages possibles. Il est lui-même à l’aise dans plus de 6 langues, ce quirend la communication facile.
Né à Danzig, allemande à l’époque, quelques mois avant l’éclatement de laseconde guerre mondiale, lui et sa famille ont fui la Shoah en se cachant enSuisse, avant de rejoindre les côtes israéliennes. Pazner a alors 14 ans. « Jene connaissais pas un seul mot d’hébreu quand je suis arrivé en Israël »,explique celui qui maîtrisait déjà plusieurs langues.
« J’ai 3 vraies langues maternelles, le suisse-allemand, parce que ma mèreétait originaire de Lucerne, l’allemand, mon père étant de Danzig, et lefrançais, car nous avons vécu dans la partie francophone de la Suisse, àGenève. » En mission de représentation d’Israël en Italie, il ajoutera uneautre langue à son bagage linguistique. En tant que vétéran du corpsdiplomatique de Jérusalem, son anglais est parfait.
Il s’en sort aussi très bien en espagnol.
Son incursion en tant qu’auteur lui a laissé une meilleure compréhension dutravail d’écrivain dans ce monde de la publication. Avec, bien sûr, les aléasdu commerce international dans ce domaine.
« J’ai écrit mon livre en français, puis j’ai pensé le traduire en hébreu. Maisj’ai alors réalisé qu’il était destiné à des lecteurs non israéliens »,note-t-il, « Il y a toute sorte de détails que je devrais changer pour uneversion hébraïque, mais surtout, il faudrait le rendre plus croustillant pourséduire les Israéliens. » 

Toujours le peuple du livre

Son autre grandeentreprise professionnelle dans le monde littéraire jusqu’à aujourd’hui estd’ordre plus personnel. « Mon père, Haim Pazner, a sauvé 10 000 ou peut-être même 15 000 Juifs pendantla Shoah. Un livre sur sa vie a été rédigé par Menahem Michelson, ancienjournaliste, et Martin Gilbert, historien britannique. J’ai aussi aidé à larédaction de l’ouvrage. Jusqu’à aujourd’hui, des personnes viennent me voir etme racontent que mon père a sauvé un membre de leur famille ou une connaissance», ajoute-t-il, non sans quelque fierté bien méritée.

Pazner père a notamment participé à nourrir la tendance bibliophile de sonfils. « Juste après la guerre, mon père était amené à voyager beaucoup àl’étranger, en tant que représentant européen de l’Agence juive. Il a travailléà accroître l’immigration illégale des Juifs en Palestine de 1945 à 1948. Aussise rendait-il en Italie, en France, d’où il me ramenait des cadeaux. Non pasdes chocolats ou des jeux, alors que je n’avais que 6 ou 7 ans, il m’offraitdes livres et toujours des livres en français.
Cela a toujours été ma langue de prédilection pour la lecture. Quand je lepeux, je préfère lire dans la langue d’origine. » Le diplomate bibliophile sedit d’ailleurs très heureux que les ouvrages en hébreu soient de plus en plustraduits dans les langues étrangères.
« Vous savez, des auteurs comme Amos Oz, A.B Yehoshoua, David Grossman etZerouya Shalev sont très populaires dans le monde. Il y a d’autres auteursisraéliens qui sont en instance de traduction, incluant des jeunes trèstalentueux. » C’est particulièrement gratifiant, considérant le statutcontroversé du pays à l’échelle internationale, souvent victime d’un boycott defacto. Mais Pazner affirme que cela n’a pas joué en défaveur de ses efforts etde ceux de ses collègues pour la Foire internationale du livre. « Nous n’avonsjamais eu d’annulation de la part des auteurs, et comme vous avez pu leconstater, nous avons reçu beaucoup de demandes de maisons d’éditions »,raconte-t-il. « J’étais au Salon du livre de Francfort et beaucoup de mondeparlait de la Foire internationale de Jérusalem. Nous avons une bonneréputation en dehors d’Israël, et à juste titre. C’est un très bel événement.Nous sommes toujours le peuple du livre. »

Défendre Israël via les livres

 Pazner tente sans relâche de mettre en valeur les artistes israéliens lorsqu’ilest à l’étranger. « J’ai toujours dit que les professionnels du théâtre, lesécrivains et les musiciens du pays, sont nos meilleurs ambassadeurs. Quandj’étais en Italie et en France, comme ambassadeur officiel, j’ai toujoursinsisté pour montrer au monde ce que nous sommes capables de faire. Nous avonstant à offrir dans tous les domaines artistiques. » « J’ai d’ailleurs demandéau chanteur David Deor et à cette merveilleuse chanteuse arabe Lubne Salameh dedonner une représentation lors de la Foire. » Voilà, selon lui, ce qui aidera àdonner plus de visibilité au monde, spécialement non juif, du large spectre dedisciplines dans lesquelles Israël excelle.
Et de faire oublier un peu la politique israélienne.
Chaque nouvelle nomination s’accompagne d’un nouveau souffle et d’idéesinnovantes. Pazner ne déroge pas à la règle.
« La Foire est un très bon événement, et j’ai adoré m’y rendre chaque année. J’aimeaussi les salons du Binyanei Haouma. » Le cinquantenaire est passé. Mais nullequestion pour Pazner de se reposer sur ses lauriers. « J’espère que laprochaine fois, nous aurons encore plus de maison d’édition présentes àJérusalem. Je pense que c’est précisément pour cette tâche que j’ai été choisipour le poste. Je ne suis pas un homme de lettres, mais un diplomate, et j’aide l’expérience sur la scène internationale. Mon travail consisteprincipalement à défendre Israël aux yeux du monde, et quelle meilleure manièreque de le faire via les livres, c’est apolitique. »

 La francophonie à l’honneur

 Malgré ses faibles connaissances en matière de nouvelles technologies, Paznerse dit prêt à tout faire « pour » l’utilisation des livres numériques. « Jepréfère tenir un vrai livre dans mes mains, sentir le papier et le toucher. Certainsdisent qu’on ne peut lire un livre sans jeter ses pensées à l’écrit sur lapage. Je le fais toujours avec un crayon à papier, pour les effacer par lasuite. Ne l’oubliez pas, je suis un diplomate ! », précise-t-il avec unsourire, « mais j’accepte les e-books tant que les gens lisent toujours devrais livres. » La récente Foire a ainsi réuni de nombreuses conférences enanglais sur la question de la numérisation et son impact sur l’avenir du livrepapier.
L’événement a été un franc succès, qui a attiré plus de 600 éditeurs et près de100 000 livres issus de près de 30 pays.
Du côté francophone, grâce à la coopération des Instituts français de Jérusalemet Tel-Aviv, de grands auteurs en vogue comme Amélie Nothomb, Philippe Labro,Tobie Nathan, Sophie Stern, Emmanuel Carrère ou Florence Noiville, sont venusparler de leurs derniers opus lors de rencontres avec le public trèsappréciées.
L’occasion également pour les librairies françaises, la librairie du Foyer àTel-Aviv et Vice-versa à Jérusalem de proposer aux visiteurs de nombreuxouvrages d’actualité. Sans compter les tables rondes, signatures, dédicaces etrencontres en tous genres avec des auteurs très éclectiques. On a pu noter parexemple la venue en visiteur de Kichka, célèbre dessinateur belge d’origine,qui a ainsi pu présenter sa tout nouvelle BD à Amélie Nothomb. Tous lesparticipants se sont d’ailleurs dits très heureux de leur présence à cetévénement, et de visiter par la même occasion la capitale israélienne.
Toujours pour les auteurs de l’étranger, c’est l’Espagnol Antonio Munos Molinaqui s’est vu remettre le prix du Livre de la 26e Foire, lors d’une cérémonied’ouverture, ou « célébration du Jubilée », en présence de Shimon Peres, de laministre de la Culture et des Sports, Limor Livnat, et du maire de Jérusalem,Nir Barkat.
Pazner est déjà en préparation pour la prochaine édition, qui aura lieu en 2015à Jérusalem. « Evidemment je continue à apprendre mon nouveau métier. J’espèreapporter de nouvelles dimensions dans le futur. Ziv Birger a fait du très bontravail. J’entends bien maintenir ce cap ! », conclut Pazner.