Madonna, “la Juive la plus rock de toutes”

Madonna la Cabaliste part pour un grand trek musical et spirituel : 80 dates, dont une en Israël

madonna (photo credit: © Reuters)
madonna
(photo credit: © Reuters)

Peut-on imaginer plus profondément catholique qu’une jeuneItalo-américaine appelée Madonna et chantant Like a Virgin ? Depuis ses débuts iconoclastesde 1983, Madonna Louise Ciccone, la chanteuse au crucifix, s’est lancée dans unpèlerinage pop qui l’a faite passer par Papa Don’t Preach, Like a Prayer ettoute une imagerie religieuse inspirée par le Saint-Siège.

Ce mois-ci, Madonna (alias Esther) va venir en Israël avec ses quatre enfantspour y célébrer Shavouot et donner le coup d’envoi de sa neuvième tournéemondiale.
Shavouot, la fête de la conversion religieuse. Celle qui marque le voyage de Ruth laMoabite, aïeule du roi David, devenue juive non au terme d’un processus deconversion supervisé par le rabbinat, mais par ses actions et sa déclarationrévolutionnaire : “Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu.”
Le tour MDNA, périple musical et spirituel avec 80 concerts prévus, solidifierale voyage personnel de Madonna, passée d’iconoclaste à icône, de catholique àcabaliste, de simple sympathisante à convertie.
Discréditer cette ultime démarche de Madonna en la qualifiant de facétie venued’une allumée de la Cabale, c’est négliger une évolution des plus sérieuses quis’étend sur toute une vie. Madonna, semble-t-il, est désormais l’une desnôtres.
S’attaquer aux tabous

En 1978, Madonna avait 20 ans et elle n’appréciait déjàplus beaucoup les dogmes du catholicisme. C’est de cette année-là que date sapremière identification au judaïsme, alors qu’elle danse à New York dans une comédie musicale de PearlLang, I Never Saw Another Butterfly (Je n’ai jamais vu un autre papillon). Déjàtrès maigre, elle n’hésite pas à perdre encore 5 kg pour pouvoir jouer le rôled’un enfant du ghetto de Terezin.

Pendant plus d’un an, la jeune danseuse vit alors dans une vieille synagogue deCorona, dans le Queens,avec Sid et Dan Gilroy.
C’est là que commence sa carrière musicale. Elle s’initie à la guitare et à labatterie, écrit des chansons et chante dans un orchestre.
Bien avant que sa quête spirituelle ne la mène au Kabbalah Center,le centre de la Cabale, j’avais déjà repéré un petit côté juif en elle. En1989, la vidéo de Like a Prayer me laisse pétrifié face à cette jeune brune quichante devant des croix enflammées, embrasse une incarnation afro-américaine duchrist et utilise son art pour mettre en scène la discrimination raciale.
Cette chanson mythique, sur ce disque qui a battu tous les records, dépassantElvis Presley, les Beatles et Michael Jackson, était à l’origine chantée avecun choeur de gospel dans un décor d’église. Au fil des ans, Madonna a abandonnéles croix sur les costumes de ses chanteurs, une façon de signifier qu’elleprend ses distances vis-àvis de ses racineschrétiennes.
Il faut être vraiment courageuse pour briser ainsi les idoles avec un christdevenu noir, la mise en scène d’une intimité interraciale, les croix en feudans une vidéo où dansent des afro-américains et un militantisme en faveur dela justice raciale et des minorités.
Depuis Like a Prayer, Madonna s’est vue plus d’une fois châtiée par le Vatican,qui lui reproche de ne pas respecter les tabous. Elle a vaillamment célébré ladiversité, s’est battue contre l’injustice, a défié l’autorité et promu lajustice sociale tout en accumulant 12 albums et en vendant 300 millions dedisques.
Le triomphe du Bien sur le Mal Et puis, en 1997, est arrivé le moment-clé de savie : la naissance de son premier enfant, une petite fille qu’elle prénomme Lourdes.
“J’étais enceinte de ma fille”, confiait Madonna au quotidien Yediot Aharonot àla veille de ses concerts en Israël, en 2009. “Je venais de tourner le filmEvita et je me suis aperçue que j’avais passé ma vie à me regarder le nombril.”
“J’ai grandi dans une famille catholique et mon père était très pieux, maisaucune de mes questions ne trouvait vraiment de réponse quand il s’agissait decomprendre pourquoi les gens souffraient dans le monde ou quel était le vraisens de la vie. Et puis, tout à coup, je me suis demandé ce que j’allais bienpouvoir apprendre à ma fille, comment j’allais lui parler des chosesimportantes de la vie. Et j’ai alors cherché une réponse à cette question.”
Cette réponse, elle semble l’avoir trouvée depuis qu’elle fréquente le Kabbalah Center.
Après la naissance de sa fille, elle connaît une phase de grande créativité quilui fait produire l’album que de nombreux critiques considèrent comme sonmeilleur : Ray of Light, qui doit son titre à la théorie cabalistique surl’origine du monde.
Avec la Cabale, Madonna semble s’être enfin installée en elle-même et dans lemonde.
La transformation devient évidente dans la vidéo de la musique du film de JamesBond, Meurs un autre jour, où elle incarne une victime juive dotée d’unedétermination farouche et qui, avec l’aide de Dieu, finit par triompher.
Cette vidéo comporte deux histoires simultanées.
D’abord, il y a les deux Madonna qui se battent en duel, l’une en noir, l’autreen blanc, et qui symbolisent le combat intérieur entre bien et mal.
Ensuite, il y a la lutte contre le mal dans le monde, une séquence brutale oùles représentants d’un régime totalitaire tentent d’interroger et de briserMadonna, tatouées de trois grandes lettres hébraïques sur le bras droit :lamed, aleph et vav, l’un des noms de Dieu dans la Cabale.
Au cours d’une scène où elle parvient à fuir, elle s’enroule des tefilinesautour du bras gauche. A la fin, la Madonna en noir est tuée par son alter egoen blanc, tandis que les “méchants” actionnent la manette de la chaiseélectrique, sur laquelle ils ont attaché Madonna, toujours revêtue de sestefilines.
Madonna parvient à s’échapper, laissant derrière elle le nom cabalistique deDieu brûlant en lettres hébraïques sur la chaise.
Conteuse juive pour enfants

Le Midrash est clair : si l’on est fort intérieurement,on peut triompher de la tyrannie.

Mais le meilleur signe de la transformation de Madonna de pop star profondémentvulgaire en bonne mère juive se manifeste sans doute dans son écriture.
Sex, son sulfureux best-seller, s’est beaucoup moins bien vendu que lesouvrages qu’elle a écrits pour ses enfants Lourdes, Rocco, David Banda et MercyJames, inspirés de thèmes juifs et traduits en 40 langues.
Madonna y remercie ses professeurs de Cabale : “Merci d’abord de m’avoir donnél’idée de les écrire, mais aussi d’avoir partagé avec moi cet art qu’est leconte.”
Dans Les Aventures d’Abdi, Eli l’orfèvre apprend au jeune orphelin Abdi que“tout est toujours pour le mieux”. Dans Lotsa de Casha, Madonna dit : “Quand onapprend à partager, on ne trouve pas seulement le bonheur. On trouve aussi unami.”
Mais le plus réussi est peut-être Les pommes de Mr. Peabody. “Il est tiré d’une histoire vieillede trois cents ans qui m’a été racontée par mon professeur de Cabale”, expliqueMadonna à la fin de l’édition audio.
“Il parle du pouvoir des mots et de l’importance de les choisir avec soin pouréviter de faire du mal à autrui.”
“Le Baal Shem Tov, Maître du Bon Nom, qui est l’auteur de l’histoire originale,était aussi un excellent professeur”, poursuit Madonna. “Il estimait quepratiquer la religion par simple habitude représentait un effort inutile et ilinsistait plutôt pour que l’on comprenne bien les raisons de la pratique de laspiritualité.”
A l’âge de cinq ans, Madonna a perdu sa mère d’un cancer du sein. “Cela m’alaissée dans une situation de solitude, avec un incroyable manque, une envie dequelque chose. Si je n’avais pas eu ce vide en moi, je n’aurais pas eu toutecette énergie pour faire les choses.”
Les orphelins sont très présents dans ses livres, ses oeuvres philanthropiqueset sa vie personnelle.
Dans le livre Les Roses anglaises, inspiré par la Cabale et vaguementautobiographique, Madonna est Binah (“compréhension”), une jolie petite fillequi travaille très bien à l’école, mais qui est très solitaire et n’a pas demaman.
Créée par Michael Berg, du Kabbalah Center, la fondation Raising Malawi a déjà construit dix écoleset finance des orphelinats dans ce pays très pauvre de l’est africain. En 2006,Madonna et son mari de l’époque, Guy Ritchie, ont adopté David Banda, qui a étéaccueilli à la convention lors d’une cérémonie de nomination au Kabbalah Center. L’enfant porte le ruban rouge dela Cabale et une kippa blanche pour les offices.
Madonne cherche Mensch

La seule chose juive qui soit absente de sa vie, c’est,semble-t-il, un homme.

“Après un demi-siècle passé sur la planète”, écrit Wendy Shanker dans le livreMadonna and Me, où des femmes écrivains parlent de la reine de la pop, “Madonnaa du pouvoir et un don pour la création, une curiosité intellectuelle, de beauxenfants, la sécurité financière et une équipe d’amis et de collègues qu’ellepeut aimer et sur lesquels elle peut compter. Il ne lui manque plus qu’unechose : elle a besoin d’un Mensch. Je vois bien un Thomas Friedman, un RahmEmmanuel, un Guggenheim, un Annenberg, un homme juif réfléchi et doté d’uneforte personnalité qui serait plus impressionné par le cerveau de Madonna quepar son CV ou ses relations.”
Guy Oseary, né à Jérusalem, est le manager de Madonna, le parrain de son filsRocco et son plus proche associé depuis maintenant vingt ans. Son livre, JewsWho Rock, (les Juifs qui rockent) est dédié “A ma mère Guila et à mon pèreYossi”, mais il y ajoute une dédicace à “ma meilleure amie, mon associée dansla vie, et la Juive la plus rock de toutes, Madonna.”
Il n’est pas tellement étonnant qu’elle ait été attirée par Israël, un paysqu’elle a décrit, lors de ses concerts de 2009 à Tel-Aviv, comme “le centreénergétique de tout l’univers.” Madonna s’était une première fois produite surune scène israélienne avant d’avoir des enfants, en 1993. Elle y est revenue en2004 et en 2007 pour assister à des congrès sur la Cabale, avant de s’y produirede nouveau en 2009.
Elle a allumé les bougies de Shabbat et prononcé les bénédictions en hébreu auxcôtés de Sarah Netanyahou, a chanté Lekha Dodi sur la tombe du Ari, Rabbi IsaacLouria, à Safed, s’est recueillie à minuit sur la tombe du sage cabaliste RabbiYehouda Ashlag, a visité les tunnels du Kotel, a lancé du pain dans l’eau pourtashlikh avec ses enfants et s’est entretenue pendant deux heures avec leprésident Shimon Peres pour accueillir le Nouvel an juif et discuter “desfaçons de faire avancer le processus de paix et la réconciliation et latolérance à travers le monde.”
Le lancement de la nouvelle tournée mondiale de Madonna, MDNA, le 31 maiprochain, est présenté comme un concert de paix. “Je pense que si nousparvenions à vivre tous ensemble et en harmonie dans ce lieu”, a-t-elle dit en2009, “nous parviendrons à vivre en paix dans le monde entier.” “Je suis uneambassadrice du judaïsme”, a-t-elle déclaré à Shimon Peres. “Et nous verronsbien ce que nous réserve l’avenir...”