Rendre au cinéma israélien ses lettres de noblesse

La journaliste Hélène Schoumann braque ses projecteurs sur l’industrie cinématographique de l’Etat juif.

0603JFR24 521 (photo credit: DR)
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Illui aura fallu six ans de travail pour venir à bout de son Dictionnaire ducinéma israélien. Six ans de visionnages et de rencontres avec ceux qui animentla scène cinématographique de l’Etat juif. Un travail de longue haleine, maisaujourd’hui Hélène Schoumann peut être fière du résultat : un superbe livrejoliment maquetté qui vient de paraître aux éditions Cosmopole. Un projet foupour celle qui voue un culte au septième art, depuis des années.
Enfant, Hélène Schoumann se passionne pour le cinéma américain des années 1950,se prend pour Ava Gardner et rêve de Charlton Heston. Adolescente, elle ne cachepas son amour pour Israël. Mais à l’heure où d’autres, à son âge, se portentbénévoles pour les champs des kibboutzim ou arpentent les rues de la Terrepromise, cette jeune fille élevée dans une perspective sioniste se gave defilms made in Israël, toutes époques confondues. « Je suis fainéante »,reconnaît-elle, « mais je voulais découvrir ce pays. C’était ma façon à moi depénétrer dans la vie des locaux, d’aller à leur rencontre. Le cinéma israélienm’a permis d’appréhender la société sous un autre jour ».
Au fil des bobines, elle devient une passionnée acharnée, enchaîne les pigespour Tribune juive et les chroniques sur Judaïques FM. Rien d’étonnant alors àce qu’en 2007, elle se voit confier la présidence du Festival du film israélienen France. Un rôle sur mesure, qui lui permet de tisser une de ses plus bellesamitiés, avec Perry Kafri, l’agent des stars de la scène israélienne. Grâce àelle, Hélène Schoumann va s’immerger dans ce monde du septième art, quitter sonfauteuil de spectatrice avertie pour rentrer dans la vie de ces acteurs ouréalisateurs, hommes et femmes, à qui elle consacre aujourd’hui ce qu’elle serefuse à décrire comme un simple dictionnaire, ou une encyclopédie, mais commesa « déclaration d’amour » à ces gens du métier.
Elle insiste aussi sur le sous-titre de son ouvrage : Reflets insolites d’unesociété, celle-là même qu’elle a découverte, recroquevillée sur les fauteuilsdu salon familial, à mâchonner des bonbons menthe.
Du noir et blanc au technicolor 

Elle se souvient d’une image, celle d’un hommed’âge mûr, port fier, teint hâlé, chemise ouverte et Maguen David affirmé. Unede ses premières visions d’Israël. Elle a alors 12 ans. Hélène Schoumann, qui agrandi dans une famille marquée par la Shoah, dont une partie a été déportée,avait demandé à visiter Auschwitz. Son grand-père a refusé, pour l’emmener enIsraël. Une révélation pour la fillette.
« Je suis soudain passée d’un monde en noir et blanc à une salle en technicolor», raconte l’auteure. « Je recevais de plein fouet une image tellementpositive, bien autre chose que ce que j’avais connu dans mon enfance. Et cethomme, qui incarnait pour moi la force et l’épanouissement, je l’ai recherchélongtemps dans les films. » Elle ne l’a bien sûr jamais retrouvé. Mais s’est découvertune seconde raison d’être : défendre les couleurs d’un cinéma bleu et blanc quis’exporte de mieux en mieux ces dernières années, note-t-elle. Le déclic acommencé avec Tu marcheras sur l’eau, d’Eytan Fox, véritable succès des sallesobscures européennes avec un record d’entrées et la prestation du ténébreuxLior Ashkenazi devenu, depuis, le chouchou des médias hexagonaux.
« Pour les Français, le cinéma israélien ressemble au cinéma italien des années1960 », note Schoumann. Et de citer Mariage tardif de Dover Kosashvili, sortien 2004, « qui met en scène une famille primaire orientale, aux coutumesancestrales, qui parle fort ». « On pourrait tout à fait s’imaginer en Europedu sud, dans un village retiré où les parents ont leur mot à dire sur le choixde la promise de leur fils ». Une des raisons qui pourrait expliquerl’engouement suscité outre-Méditerranée par les productions de l’Etat juif.
Le religieux est à la mode, explique Hélène Schoumann. Elle mentionne Footnote,de Joseph Cedar, un démêlé entre père et fils sur fond d’histoire du Talmud,qui n’a pas marché en France, mais a tout de même obtenu le prix du meilleurscénario à Cannes. Motif ? « Le film était trop compliqué », rétorqueSchoumann, « mais il faut dire aussi que Cedar est quasiment le seul cinéastede droite ».
Le courage d’un éditeur

Car il est vrai, quand il s’agit d’Israël, le politiques’invite presque automatiquement dans tout projet culturel. « Les distributeurs français sont friands de films forts, certes, mais qui critiquentIsraël, alors qu’aux Etats-Unis, l’accueil est bien plus chaleureux. Toutefois,la tendance tend à s’infléchir. On peut voir désormais sur les écranshexagonaux de véritables comédies dénuées de toute condamnation de la politiquede l’Etat juif, comme La Visite de la fanfare d’Eran Kolirin, qui réussit, aufinal, à faire passer un message de paix extraordinaire. » Ou, plus récemmentFill the void de Rama Burshtein, une plongée tout en gros plan dans le mondedes sentiments ultra-orthodoxes, loin de véhiculer le message antireligieux ducélèbre Kaddosh, ou de Tu n’aimeras point de Haïm Tabakman qui traitait del’homosexualité dans le milieu yeshiviste.

Les coups de coeur d’Hélène Schoumann ? Avi Nesher, réalisateur deMatchmaker. Mais aussi Eitan Green, « le Bergman du cinéma israélien, quis’attache à raconter avec drôlerie et tendresse la vie des gens ordinaires ».Et enfin Joseph Pitchhadze, « l’Antonioni israélien, très nouvelle vague ».
C’est pour eux, mais aussi pour tous les autres, qu’Hélène Schoumann s’estattelée à la rédaction de son Dictionnaire du cinéma. Elle a posé son regardcritique sur ces oeuvres qu’elle a toutes visionnées et ses acteurs,réalisateurs, producteurs, qu’elle a tous rencontrés. Un texte sensible,subjectif, qui présente son point de vue personnel du cinéma. L’auteure rendd’ailleurs hommage à son éditeur « qui a eu le courage de faire ce que personnen’avait fait avant lui en France ».
Préfacé par Jérôme Clément, l’ouvrage d’Hélène Schoumann met en lumière les créationsd’une industrie en plein bouillonnement et qui méritait bien qu’on lui déroulele tapis rouge. Pour les amateurs ou les passionnés.