Amérique, Islam et démocratie : l’impossible entente

Une étrange politique. Même des alliés de l’Amérique – comme l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe – n’arrivent pas à comprendre où Washington veut en venir.

P12 JFR 370 (photo credit: Reuters)
P12 JFR 370
(photo credit: Reuters)

«Je suis effrayépar l’évolution foudroyante de l’islamisme européen en moins de dix ans »,a récemment déclaré l’écrivain algérien libéral Boualem Sansal à un organe depresse belge. « Non seulement les pays européens ne cherchent même plus àse défendre mais « Les “pays d’origine” font tout pour contrebalancer uneintégration réussie. Ils craignent que si les communautés maghrébines sefrancisent ou se belgicisent elles “pervertiront” leur culture 1. »

Car de fait, lapercée de l’islam aux Etats-Unis et en Europe s’accentue ; les mouvementsdjihadistes cherchent à imposer par la force la loi d’Allah dans le monde.Pendant que le président américain poursuit sa politique d’apaisement vis-à-visde l’islam en dépit de ses échecs répétés.

Sur le terrain,des groupes extrémistes islamiques utilisent leurs sites internet pourinfluencer les jeunes et les convaincre de se lancer dans des opérationsterroristes. L’Arabie Saoudite et les émirats du Golfe financent directement ouà travers de riches hommes d’affaires la construction de mosquées et de centresislamiques à travers l’Europe.

Aux Etats-Unis,où se trouvent beaucoup moins de musulmans, l’effort des organisationsmusulmanes n’en est pas moins puissant. Des centaines d’organisations neménagent pas leurs efforts pour radicaliser les communautés musulmanes ;elles déploient une politique d’intimidation contre les critiques de l’islamqu’elles accusent d’« islamophobie ».

Divers documentssaisis aux Etats-Unis et en Europe dans le cadre d’enquêtes sur des transfertsde fonds illégaux à des organisations islamistes extrémistes mettent en lumièrela stratégie des Frères musulmans et apportent la preuve irréfutable de leurvolonté de saper de l’intérieur les pays occidentaux pour en prendre lecontrôle. Selon ces documents, il faut tirer parti de valeurs démocratiquespour bloquer toute tentative d’exposer tant dans la presse que sur les campusuniversitaires les méthodes de la Confrérie ; parallèlement cette dernières’emploie à introduire ses membres à des postes clés dans les rouages dupouvoir.

La politiqued’apaisement d’Obama

Une liste dehauts fonctionnaires occupant des postes dans les organes les plus sensibles del’administration américaine a ainsi récemment été publiée sur plusieurs sitesinternet aux Etats-Unis. Et des écoles islamiques américaines acceptent desétudiants non musulmans qui sont alors soumis à leur prosélytisme. Parailleurs, à Manhattan, une école primaire vient d’annoncer que l’enseignementde l’arabe serait obligatoire à partir du prochain semestre.

Il s’agit doncd’une véritable renaissance de l’islam dans le monde. Paradoxalement, c’estdans l’échec de la modernisation des pays arabes et la frustration que cetéchec provoque qu’il faut en chercher la cause. La jeunesse musulmane apprenddès le plus jeune âge la supériorité de l’islam, dernière religion révélée etla seule vraie ; on lui répète que, de l’espace aux océans, l’univers doitdevenir islamique.

Puis, arrivés àl’âge adulte, les jeunes découvrent qu’ils vivent dans un monde de pauvreté oùsociété et science sont loin derrière l’occident. Là est sans doute la clé dela fascination exercée par des organisations comme al-Qaïda : ellesproclament que pour restaurer la gloire de l’Islam il faut retourner à laSharia telle qu’elle était pratiquée du temps du Prophète.

Le présidentObama a choisi de ne pas tenir compte de l’ampleur de cette tendance mondialequi a des profondes racines religieuses, politiques, économiques et mêmepsychologiques. Il a entrepris dès son entrée en fonction une politiqued’apaisement vis-à-vis de l’islam. Et ne s’en départit pas, malgré des échecsrépétés, comme le démontrent ses efforts pour trouver un terrain d’entente avecl’Iran sur la question du programme nucléaire de ce pays.

Lors de sondiscours inaugural, en 2009, il a souligné la contribution de l’islam audéveloppement des Etats-Unis avant de mentionner celle du judaïsme. Quelquesmois plus tard, il se rendait à Ankara et dans la capitale égyptienne pourexposer sa vision aux pays musulmans. « Je suis venu ici au Caire entamerune nouvelle relation entre les Etats-Unis et les musulmans du monde entier,qui se fonde sur un intérêt et un respect mutuels ; qui se fonde sur lefait que l’Amérique et l’islam ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et ne sontpas voués à se faire concurrence. Au lieu de cela, ils se recoupent etpartagent des principes communs : justice et progrès ; tolérance etdignité de tous les êtres humains. »

Une apparence dedémocratie

Le problème estqu’aucun musulman ne partage cette opinion. Démocratie et islam ne sont pascompatibles et les beaux discours n’y font rien. La démocratie repose sur desélections libres pour un Parlement où des hommes et des femmes font des lois.Alors que selon la Sharia, seul Allah donne les lois et il est défendu d’avoirdes partis politiques sollicitant le vote du peuple.

La confrérie desFrères musulmans n’a jamais cherché à fonder un parti avant la chute deMoubarak ; elle ne s’y est décidée que quand elle a compris qu’il y avaitlà une chance d’obtenir le pouvoir démocratiquement. D’ailleurs al-Qaïda s’estempressée de condamner cette décision au nom de la « pureté del’islam ».

En ArabieSaoudite et au Qatar, pays gouvernés sur la base de la Sharia, il n’y a pas deparlement mais un conseil consultatif islamique dont les membres sont nomméspar le roi ou l’émir. On trouve bien des Assemblées dans les pays arabes quiont connu des coups d’état militaires, mais elles ne sont là que pour donnerl’apparence de la démocratie.

Le« Printemps arabe » – au nom si trompeur – a mis fin à de tellesdictatures, mais les élections qui se sont tenues en Tunisie et en Egypte ontporté au pouvoir les Frères musulmans. L’Occident s’en est félicité, qualifiantde pragmatique ou de modéré un mouvement qui a jeté les bases de l’islam leplus extrémiste au XXe siècle et est à l’origine de toutes les organisationsdjihadistes. Un mouvement qui aujourd’hui encore affirme œuvrer à larestauration du Califat.

Difficile dediscerner les principes de tolérance et dignité de tous les êtres humains dansl’islam, religion qui proclame sa supériorité sur toutes les autres, considèreles femmes comme inférieures, prescrit la peine de mort pour tout musulman seconvertissant à une autre religion et continue à appliquer les châtimentscorporels les plus barbares allant jusqu’à couper des membres.

Certes, lapériode moderne a vu certains assouplissements et la Sharia n’est plus observéeà la lettre, mais les principes fondamentaux de l’islam demeurent et personnen’ose proposer des interprétations moins rigoureuses qui prendraient enconsidération la nouvelle réalité. D’ailleurs toute tentative en ce sens eststrictement interdite depuis le XIe siècle.

Marque defaiblesse

La politiqued’apaisement du président américain s’est doublée d’un changement sémantique.Des expressions telles qu’islam radical, militants islamistes ou terreurdjihadiste ont été bannie en 2010. John Brennan, alors chargé du combat contrele terrorisme à la Maison-Blanche et aujourd’hui directeur de la CIA, a déclaréqu’il ne fallait plus qualifier les ennemis des Etats-Unis de djihadistes oud’islamistes car selon lui « le Djihad est un combat sacré, un effort depurification dans un but légitime ».

Les manuels desservices de renseignement et de contre-terrorisme ont été amendés pour tenircompte des nouvelles directives. Inutile de dire que, pour leur part, lesorganisations terroristes ont continué à clamer haut et fort qu’elles sebattaient au nom de l’islam.

Obama a alorsannoncé son intention d’entamer un dialogue avec les Talibans d’Afghanistan,probablement la plus extrémiste des organisations djihadistes. Un mouvement quia ruiné le pays, détruisant au passage les célèbres statues de Bouddha, toutereprésentation de la personne humaine étant proscrite par la Sharia.

Cet appel audialogue a été généralement interprété comme une marque de faiblesse ;c’est ainsi que le président afghan l’a compris. Il était perdu d’avance bienque le Qatar ait accepté de laisser les Talibans ouvrir un bureau à Doha (ilsne sont pas venus.)

Mais c’est enEgypte que la politique américaine a échoué de la façon la plus spectaculaire.Les Etats-Unis ont pesé de tout leur poids en faveur des Frères musulmans. Le 4février 2011, soit quelques jours avant la chute de Moubarak, selon le New YorkTimes, la Maison-Blanche s’attendait à ce que le prochain gouvernement issu dela crise comprenne des Frères. Et le 30 juin de la même année c’estHillary Clinton, ministre des Affaires étrangères, qui déclarait que lesEtats-Unis souhaitaient dialoguer avec ceux des Frères musulmans qui seraientprêts à leur parler.

Le soutien« fraternel » de l’Amérique

D’autresofficiels expliquent que le gouvernement américain a décidé de développer lescontacts avec la Confrérie. Des contacts qui n’étaient pas nouveaux. Déjà, dansles années cinquante, la CIA avait tenté de recruter les Frères dans sa luttecontre l’Union soviétique « infidèle », et le président Eisenhoweravait reçu à la Maison-Blanche une délégation conduite par Saïd Ramadan, quiavait été le secrétaire de Hassan el Banna, fondateur du mouvement.

En 2009 NicoleChampion qui dirigeait la section de l’Egypte au département d’Etat déclaraitau quotidien égyptien El Masry al Yom que les Etats-Unis entretenaient undialogue avec les Frères sans entrer dans les détails. Il s’agissait sans doutede contacts sporadiques, rien de plus. Ce qui est clair, c’est qu’après lachute de Moubarak, le président américain a parié sur la Confrérie, soit parcequ’il était persuadé que telle était la seule véritable force politique enEgypte, soit qu’il souhaitait entamer une nouvelle ère dans les relations entreson pays et l’islam.

Les relationsétroites qui existaient entre le Conseil suprême des forces armées et lesFrères ont sans doute renforcé sa conviction.

Quoi qu’il ensoit, après les déclarations de Clinton, l’existence des contacts ne faisaitplus de doute. La presse égyptienne s’étendait sur le soutien politique et mêmefinancier que l’Amérique apportait aux Frères.

Lorsque Morsi aété élu président, l’ambassadrice américaine au Caire Ann Patterson lui aexprimé son soutien à plusieurs occasions, ce qui n’a pas manqué d’exaspérernombre d’Egyptiens. Aussi lorsqu’Hillary Clinton s’est rendue en Egypte enjuillet 2012 sa voiture a essuyé des jets de tomates, tandis que desmanifestants brandissaient des placards attaquant l’attitude américaine.

D’ailleurs, lesjeunes des mouvements révolutionnaires qui avaient provoqué la chute deMoubarak ont refusé de la rencontrer.

Les Russes sontravis

L’administrationaméricaine n’a pas révisé sa position quand Morsi a pris une série de mesuresen vue d’établir une dictature islamique malgré l’opposition d’une partie deplus en plus grande de la population. Quelques jours avant les manifestationsde masse du 30 juin 2013 et l’arrestation du président égyptien, Ann Pattersontournait encore en dérision cette opposition.

L’Amérique n’aalors pas perdu de temps pour faire preuve de son mécontentement del’arrestation de Morsi sans aller jusqu’à dire qu’il s’agissait d’un coupd’état militaire, ce qui l’aurait obligée à stopper son aide à l’Egypte.Quelques semaines plus tard Obama se résignait à ne prendre qu’unedemi-mesure : suspendre « temporairement » une partie del’assistance militaire dont l’Egypte a tant besoin pour lutter contre laterreur islamique au Sinaï et faire face aux attaques armées des partisans duprésident déchu.

L’opinionpublique égyptienne a vu dans cette initiative une insulte et une atteinte à unpays qui pendant des dizaines d’années s’est montré un allié fidèle desEtats-Unis.

Les sentimentsantiaméricains n’ont jamais été aussi virulents d’autant que le nouveau régimeen était réduit à faire appel à l’Arabie Saoudite et aux émirats du Golfe pourobtenir un soutien financier indispensable et qu’il se tourne dorénavant versla Russie pour acquérir du matériel militaire. Inutile de dire que les Russessont ravis. Un de leur vaisseau de guerre est ainsi venu jeter l’ancre àAlexandrie et les ministres des Affaires étrangères et de la Défense se sontrendus en Egypte la semaine dernière.

Petitsarrangements entre amis

L’Amérique venaitd’agir contre ses propres intérêts. En effet le régime actuel se bat contre lesFrères musulmans, symbole de l’islam radical, ennemi des Etats-Unis. Il chercheaussi à se rapprocher de l’Occident, qui lui tourne le dos. Tout cela affectel’équilibre du Moyen-Orient d’autant que d’autres alliés de l’Amérique commel’Arabie Saoudite et les pays du Golfe n’arrivent pas à comprendre oùWashington veut en venir.

Les fluctuationsd’Obama sur le dossier syrien n’ont rien arrangé. La dernière visite effectuéepar John Kerry dans la région n’était qu’un effort tardif pour tenterd’arranger les choses.

Tout laissecroire que la prochaine étape dans ce processus d’apaisement vis-à-vis del’islam va se traduire par un arrangement douteux avec l’Iran sur la poursuitede son programme nucléaire qui ne l’empêchera pas d’acquérir plus tard l’armeatomique. Un arrangement qui ne satisferait ni Israël, ni l’Arabie Saoudite etles pays du Golfe, ni même la Turquie et l’Egypte, et risquerait de plonger larégion dans une course à l’armement nucléaire – mettant en danger non seulementle Moyen-Orient mais le monde entier.

Dans sa quêtepour une ère nouvelle de relations avec les pays musulmans, Obama était mu parune vision sincère, mais erronée de la nature de l’Islam. Son initiative étaitcondamnée à l’échec et a eu des résultats catastrophiques.

Jamais lessentiments antiaméricains n’ont été aussi violents au Moyen-Orient et lesalliés de longue date sont inquiets. Comment en est-on arrivé là ?L’Amérique est-elle fatiguée de se battre après les années de guerre en Irak eten Afghanistan ? Le président a-t-il vraiment cru qu’un compromis avecl’islam radical était possible ? Les Américains produisent désormaissuffisamment de pétrole grâce aux nouvelles techniques d’extraction à partirdes schistes bitumineux. Sont-ils arrivés à la conclusion que le Moyen-Orient aperdu de son importance maintenant qu’ils ne sont plus dépendants de l’or noirde la région ?

L'auteur estancien ambassadeur d'Israël en Egypte et chercheur au JCPA.

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