Drapeaux allemands à Jérusalem

Un président allemand, partisan d’un parallèle entre les crimes nazis et communistes, est-il le bienvenu en Israël ?

Le président allemand Joachim Gauck donne une conférence lor (photo credit: © Reuters)
Le président allemand Joachim Gauck donne une conférence lor
(photo credit: © Reuters)

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ombre de laShoah plane inexorablement sur les relations entre les Juifs et l’Allemagne, etdepuis la création d’Israël, entre la République fédérale et l’État hébreu.C’est en cela que la venue d’un président allemand en Israël diffère de celle de tout autre chefd’État et revêt une importance unique pour les deux parties.

Au fil des ans, ce type de rencontre a ajouté une pierre au lent processus deréconciliation et de coopération entre les deux nations et contribué àrenforcer leurs liens, en dépit des crimes infâmes et impardonnables perpétréspar le Troisième Reich contre le peuple juif.
Dans ce contexte, la visite en Israël cette semaine du président allemandfraîchement élu (le 18 mars), Joachim Gauck, représente un sérieux dilemme pourles dirigeants israéliens. Car pour la première fois, le chef d’État allemandne partage pas le narratif consensuel qui accorde à la Shoah son caractère uniqueet conçoit sa reconnaissance comme un événement sui generis (unique en songenre) dans les annales de l’Humanité.
La fonction première du président germanique, dénué de pouvoir exécutif, est,selon les termes de l’important quotidien allemand Frankfurter AllgemeineZeitung, “de s’assurer que le peuple est équipé d’une boussole pour l’intellectet la morale... [et] que la politique fait sens”. Une mission valable égalementlorsqu’il s’agit d’Israël et des Juifs du monde entier.
La prise de distance de Gauck d’avec ses prédécesseurs, quant à la Shoah, a étérendue publique il y a quatre ans, lorsqu’il a signé la Déclaration de Praguedu 3 juin 2008. Ce document, paraphé par plus de deux dizaines d’intellectuelset dirigeants politiques, essentiellement d’Europe de l’Est, confortel’affabulation d’une équivalence entre les crimes nazis et communistes. Ilappelle à des mesures concrètes qui, si elles étaient appliquées, nuiraientassurément au statut actuel de la Shoah comme cas unique de génocide sansprécédent dans l’histoire humaine.
Le 23 août : le jour de tous les génocides

 Ainsi, par exemple, la Déclaration appelle àinstaurer le 23 août comme jour de commémoration commun à toutes lesvictimes des régimes totalitaires.

En d’autres termes, celles de nazis et des communistes dans la foulée. Le choixmême de la date est révélateur d’une intention bien précise.
Le 23 août marque la signature du pacte de non-agression Molotov-Ribbentrop en1939 par l’Allemagne nazie et l’Union soviétique. Le message véhiculé : ensignant le traité avec le Troisième Reich, l’Union soviétique partage avecl’Allemagne une égale responsabilité pour les atrocités de la Seconde Guerremondiale. Une vision déformée de l’histoire de ce conflit, qui ignoredélibérément le rôle indéniable de l’Armée Rouge dans la défaite de l’Allemagnenazie, et assimile faussement le régime qui a conçu, planifié, construit etdirigé le camp d’extermination d’Auschwitz avec le pays dont les forces arméesont libéré cette usine de mort et mis fin à cet anéantissement.
Inutile de préciser que, si cette proposition devait être appliquée - elle ad’ores et déjà été adoptée par une grande majorité de l’Union européenne -l’avenir de la journée internationale commémorative de la Shoah établie parl’ONU en 2005 paraît plutôt sombre.
D’autres initiatives préconisées par la Déclaration représentent également undanger pour le discours adopté sur la Shoah.
Comme la volonté de réécrire les manuels scolaires européens dans l’espritd’une soi-disant équivalence entre les crimes nazis et communistes. Oud’établir un “institut européen de la Mémoire et Conscience”, y compris unmusée qui refléterait cette comparaison inepte et mettrait en exergue letravail des instituts de recherche d’Europe de l’Est, qui, depuis leurcréation, porte exclusivement sur les crimes communistes, oubliantintentionnellement ceux des nazis.

Éviter une fausse symétrie

Avant son élection, le président Gauck faisait campagnepour les droits civiques dans son Allemagne de l’Est natale et dirigeait lesArchives Stasi. Il est aisé de comprendre sa sensibilité naturelle face auxcrimes commis par les communistes, une sensibilité sans doute accrue parl’arrestation, dans ses jeunes années, de son propre père par les Allemands del’Est.

Pourtant, même s’il y a lieu d’une plus grande reconnaissance des crimescommunistes, la tentative de le faire en créant une fausse symétrie avec laShoah est non seulement erronée, mais inspirée de motivations malhonnêtes de lapart de ses partisans du monde post-communiste - en particulier les pays baltes- dont l’un des principaux objectifs est de se débarrasser de leur culpabilitépour avoir étroitement collaboré avec l’Allemagne nazie dans l’assassinat enmasse des Juifs.Ainsi, si les crimes communistes et nazis sont jugés équivalents, il sera aiséde pointer du doigt les crimes des communistes juifs. Et si les membres detoutes les nations, y compris des Juifs, se sont rendus coupables du pire descrimes, il est évident qu’aucune nation ne peut être accusée, ni ses membrespoursuivis.Entre être une nation de tueurs et une nation de victimes, quel pays n’opteraitpas pour le second choix ? La visite de Gauck en Israël constituait uneexcellente occasion pour nos dirigeants politiques d’entamer un dialogue aveclui et de lui présenter les graves dangers posés par la Déclaration de Prague,ainsi que les lourdes conséquences à long terme de ses propositions.Jusqu’à présent, Israël s’est abstenu de contrecarrer l’adoption de laDéclaration de Prague, même dans ses relations avec les pays d’importancemoindre comme la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie, qui en sont les principauxpromoteurs.Reste à voir si l’État juif peut faire un grand pas dans ce sens et ne pasmanquer l’opportunité offerte par la visite présidentielle venue d’Allemagne.L’auteur est chasseur de nazis au Centre Simon Wiesenthal et directeur dubureau israélien de l’organisation.