Iran : les raisons du différend entre Washington et Jérusalem

Israël et les Etats-Unis veulent éviter un Iran nucléaire mais divergent profondément sur les moyens d’y arriver.

P10 JFR 370 (photo credit: Reuters)
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Rien ne va plus.Jérusalem et Washington ont passé la semaine à étaler au grand jour leursdifférends. De part et d’autre, des appels au calme se sont rapidement faitentendre. « La vérité, c’est que les Etats-Unis et Israël sont plusproches que n’importe quels autres pays sur la planète », martelaitl’ambassadeur américain Dan Shapiro en début de semaine. « Les relationsisraélo-américaines ne sont pas bonnes, elles sont excellentes »,renchérissait le ministre israélien des Relations internationales etstratégiques, Youval Steinitz. Reste que la prise de bec qui a éclaté lasemaine passée témoigne d’une conception radicalement différente quant aunucléaire iranien. Explications.

Jusqu’en juindernier, tandis que le prédécesseur de Rohani, Mahmoud Ahmadinejad, était auxcommandes, la mission d’Israël était (relativement) simple. L’extrémismeradical du président iranien permettait de rallier plus facilement la communautéinternationale aux côtés de Jérusalem. Il s’agissait alors seulement de semettre d’accord sur le calendrier : fallait-il, oui ou non, intervenirmilitairement pour empêcher Téhéran d’obtenir la bombe atomique ? Cettequestion a occupé le centre du fameux débat sur la « ligne rouge »que le Premier ministre Binyamin Netanyahou voulait tant imposer et que leprésident Barack Obama rejetait. Pour mieux cerner le problème, lançons-nousdans une métaphore pâtissière : imaginons que l’on veuille empêcher quelqu’unde confectionner un gâteau. Quelle serait alors la meilleure stratégie ?On pourrait d’une part empêcher l’apprenti-cuisinier de rassembler tous lesingrédients sur la table, les œufs, la farine, le sucre et l’eau, de lesmélanger et de les placer au four (la position israélienne). Mais on pourraitégalement se dire que rien ne presse et qu’il toujours sera temps d’arrêterl’apprenti s’il osait sortir son gâteau du four (la position américaine).

L’Etat hébreu,plus menacé

Ce fossé tactiqueen Américains et Israéliens peut s’expliquer par la proximité, la gestion desmenaces et les capacités. L’Etat hébreu est plus proche de l’Iran que lesEtats-Unis, et se sent donc plus directement menacé. De plus, même si Israëlaffirme être en mesure de lancer seul une offensive, il préfère empêcher lesIraniens de rassembler tous les ingrédients sur la table. Telle était lafameuse ligne rouge tracée par Netanyahou devant l’ONU en 2020 : elledélimitait l’acquisition par Téhéran de 250 kg d’uranium enrichi à90 %. Une limite soigneusement évitée par le régime…

Mais tout celadate d’avant les élections iraniennes. Aujourd’hui, avec Hassan Rohani enplace, le curseur du débat ne pointe plus au même endroit : il ne s’agitplus d’intervention militaire et de deadline, mais d’efficacité diplomatique.Continuons notre métaphore pâtissière. Supposons qu’il faille constammentretenir la main de notre apprenti-cuisinier, faut-il relâcher la pressionlorsqu’il se déclare intéressé par un tout autre gâteau et promet de ne plustoucher aux ingrédients pour un certain temps ? Ou faut-il attendre qu’ilait jeté œufs, farine, sucre et eau afin qu’il soit sûr de ne plus recommencer,même si l’envie l’en prenait de nouveau ?

C’est là que selogent les principales différences de conception entre Jérusalem et Washington.Une divergence très visible lors de la dernière session de négociations entrele groupe P5 + 1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagneet Allemagne) et la République islamiste à Genève. Fallait-il signer un accordintérimaire ou ne rien accepter d’autre qu’un traité définitif ?

Selon l’approcheaméricaine, développée la semaine dernière par un membre de l’administrationObama devant les journalistes israéliens, la proposition de Genève n’étaitqu’une étape. L’objectif étant, a insisté la diplomate, que les Iraniens gèlentleur programme nucléaire pour 6 mois et que ce laps de temps permette auxpuissances occidentales d’obtenir un accord exhaustif.

De fait, lesAméricains comprenant qu’il faudra bien plus que 6 mois pour négocier cetaccord, l’idée est d’empêcher les Iraniens d’utiliser la durée des pourparlerspour se lancer dans une course contre la montre et faire tourner à fond leurscentrifugeuses, histoire d’obtenir la bombe à tout prix. Un gel du programme,en échange d’un allégement partiel des sanctions économiques à l’égard deTéhéran, est donc perçu par la Maison-Blanche comme la meilleure garantiecontre ce scénario.

Une règled’or : la loi du Talion

Israël ne partagepas cette approche et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, Jérusalemcraint qu’un gel de 6 mois permette à Téhéran de gagner une légitimitéinternationale en tant que puissance au seuil nucléaire – statut partagé parIsraël, l’Inde, le Pakistan, l’Afrique du sud, la Corée du Nord et l’Irak – etqu’il sera ensuite difficile de faire marche arrière. « L’Iran est devenu,de fait, un pays de seuil nucléaire il y a 12 ou 18 mois », a déclaréSteinitz la semaine dernière. Et l’élu d’expliquer que, de là, la bombeatomique ne nécessitait plus qu’un an de travail. Ce seuil, a-t-il continué,enfreint clairement la loi internationale, les résolutions du Conseil desécurité de l’ONU et diverses stipulations de l’Agence internationale del’énergie atomique (AIEA).

Mais « aprèsun tel accord intérimaire et partiel, Téhéran obtiendra bien plus facilementl’aval international, et pourra demeurer une puissance de seuilnucléaire », poursuit Steinitz. « Et une fois qu’on obtient cet aval,il est très difficile de revenir en arrière ».

De son côté, leministre de la Défense passive, Guilad Erdan, prend moins de gants :« Ne nous y trompons pas : un accord temporaire, c’est un futuraccord permanent », a-t-il assuré la semaine dernière.

Ensuite, selonSteinitz, Jérusalem s’oppose fermement à cette solution parce qu’elle croit, aucontraire, que « plus la pression est grande, plus les chances de succèsaugmentent ». De là, poursuit ce proche de Netanyahou, « on peut endéduire que l’inverse est également vrai. Et qu’il ne faut surtout pas relâcherla pression sur l’Iran, tant qu’un accord exhaustif et satisfaisant n’est passigné. Relâcher la pression avant, c’est perdre les chances de succès. »Une loi du Talion détaillée à son tour par le ministre de la Défense MoshéYaalon : si les Iraniens ne font que geler leur programme, alors lessanctions doivent elles aussi n’être que gelées. Gel pour gel, démantèlementpour démantèlement, martèle-t-il, mais certainement pas un allégement dessanctions en échange d’un simple gel nucléaire.

Ce dernier pointa trait à la seconde différence d’approche fondamentale entre Israéliens etAméricains. Celle-ci a trait aux sanctions. Mercredi 13 novembre, Washingtondéclarait que ledit allégement resterait « modéré », mais Jérusalemrépliquait qu’il se monterait malgré tout à 40 milliards de dollars. Enréalité, les deux capitales divergent profondément sur l’éventuelle réactioniranienne à un renforcement des sanctions et sur le soutien qu’accordera, oupas, la communauté internationale à un tel déroulé des événements.

Selon laMaison-Blanche, si les sanctions n’étaient pas un tant soit peu adoucies encours de négociations, le soutien de certains pays d’abord difficiles àconvaincre, tels que la Chine, la Russie, l’Inde, la Turquie ou même la Coréedu Sud, pourrait venir à manquer. Et d’insister : avec de nouvellessanctions, comme l’envisage actuellement le Sénat américain, les conséquencesseraient doubles. L’Iran quitterait la table des négociations et avanceraitplus que jamais dans son programme d’une part, et la communauté internationalemontrerait des signes de faiblesse et finirait par abandonner le régime dessanctions dans son ensemble d’autre part.

Là encore,Jérusalem pense exactement le contraire. Des sanctions plus dures, ou tout dumoins l’absence d’un allégement, ne feront que rendre Téhéran plusflexible ; en effet, ce sont elles, et rien qu’elles, qui ont poussé lesIraniens à la table, explique-t-on au gouvernement. Mieux, assure Netanyahou,ce n’est pas un durcissement qui fera fuir la communauté internationale, maisbien un allégement, car, note-t-il, lorsqu’on perce un trou dans un pneu, l’aira tôt fait de s’en échapper et le pneu de s’aplatir complètement.

Les négociationsde Genève devaient reprendre mercredi 20 novembre. Après la série decouacs entre Jérusalem et Washington, et la visite en Israël du présidentFrançois Hollande, qui a surpris par sa fermeté sur le dossier iranien, legroupe P5 + 1 changera-t-il de tactique ? C’est peu dire que ceserait apprécié par le gouvernement israélien.

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