La montée des extrêmes : un choc frontal

Face au radicalisme et au populisme, y-a-t il une crise du libéralisme ?

extreme (photo credit: © Reuters)
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(photo credit: © Reuters)

François Hollande est le nouveau président de la Républiquefrançaise et son gouvernement s’est formé autour de Jean-Marc Ayrault. Mais la Francen’en a pas fini avec les rendez-vous électoraux. En ligne de mire : leslégislatives. Réapparaît alors un aspect préoccupant de la vie politique desdernières années : les extrêmes, à droite comme à gauche, aux idéologies etslogans inquiétants enregistrent des succès croissants.

Avec son score de 17,79 % obtenu au premier tour des présidentielles de 2002,Jean-Marie Le Pen avait fait rentrer le 21 avril de cette année dansl’histoire. En France,on s’était alors promis : plus jamais ça ! Promesse de Gascon visiblement.
Car après le bref affaiblissement des partis d’extrême droite et d’extrêmegauche en 2007, ces derniers ont totalisé près d’un tiers des voix au premiertour des présidentielles de cette année, avec près de 18 % pour Marine Le Penet 11 % pour Jean-Luc Mélenchon. Des scores bien élevés pour des partis qui sevoulaient longtemps antisystèmes.
Désespoir des citoyens, déception envers les partis traditionnels oudédiabolisation des extrêmes ? Comment expliquer ce phénomène de poussée versles bords du spectre politique, en France mais plus largement aussidans toute l’Europe ? Car en dehors de l’hexagone, la situation n’est guèreplus enviable. Les scores français du 21 avril 2002 ne sont que peu de chosesface aux 58 % obtenus aux législatives hongroises de 2010 par le parti deVictor Orban. Ou le score cumulé de 29 % des deux partis populistes autrichiensFPÖ et BZÖ aux législatives de 2008. Et récemment : plus d’un tiers des Grecsont voté pour un parti d’extrême droite ou d’extrême gauche aux législativesfin avril 2012, au point d’assister à l’entrée au sein du gouvernement d’unparti néonazi, l’“Aube dorée” ?

La crise : leterreau des extrêmes

Lundi 7 mai en Israël, s’était tenu le colloqueinternational “Un monde en trans” au Collège académique de Netanya, encoopération avec l’organisation Schibboleth. Au programme : une cinquantaine despécialistes, psychologues, sociologues, politiciens, ou autres journalistes.

Professeur en sciences politiques à l’Université ouverte et politologuespécialiste de l’histoire de la politique, Denis Charbit intervenait lors de lasession “Crise de la Démocratie”. L’occasion de donner quelques éléments cléspour comprendre ce phénomène à double-tranchant : si on reconnaît “tout ledanger” qu’impliquent ces partis des extrêmes, leur force électorale et leurdiscours restent intéressants du point de vue de la théorie politique.
“On retrouve en Franceun schéma presque scolaire : un parti radical avec le Front de gauche deJean-Luc Mélenchon et un parti populiste, le Front National mené par Marine LePen”, expliquait ainsi Charbit.
Après la Seconde Guerre mondiale, il apparaissait évident d’écarter les partisd’extrême droite et souvent aussi extrême gauche dans la plupart des Étatsd’Europe occidentale.
Marquée par les tragédies des régimes totalitaires fascisants ou communisants,l’Europe de l’Ouest semblait immunisée et faisait progressivement le choix dela Démocratie libérale.
Mais progressivement, les slogans de ces partis “antisystèmes” qui prennentsouvent le libéralisme pour cible - qu’il soit d’ordre politique ou économique- ont réussi à remporter l’adhésion d’un nombre croissant de citoyens.
Et posent aujourd’hui un véritable défi, puisqu’ils dissocient le binôme“démocratie” et “libérale”.
Selon Denis Charbit, ces partis regroupaient jusqu’alors principalement les“exclus et les marginaux” : les “laissés pour compte de la société”,généralement peu nombreux quand tout va bien. Mais en temps de crise, leurnombre augmente. Et pour Charbit, en Europe et particulièrement en France,on peut bel et bien parler d’un “vote de crise”.
Alors qu’une part de plus en plus importante de la population semble touchéepar des difficultés économiques, ces partis prônent l’antilibéralisme àtue-tête. Même si leurs moyens d’action restent flous, leur message n’aapparemment pas laissé indifférents plusieurs millions de citoyens auxélections d’avril dernier en Franceet en Grèce. Et ce, alors que les partis traditionnels à gauche comme à droitepeinent à gérer les conséquences de la crise et enchaînent les plans derigueur.
Pour Denis Charbit “il est probable que le discours farouchement antilibéral duFront National sous Sarkozy change radicalement avec la gauche au pouvoir et 5années d’État-providence distribuant ses largesses aux pauvres et aux étrangers”.
Les partis du peuple

Rejetant le système républicain, les représentants de cespartis de l’extrême s’estiment pourtant de vrais démocrates, porteurs devéritables revendications et représentants du “peuple”.

Car rester “proches du peuple” est une idée bien intégrée dans les stratégiespolitiques aussi bien au Front de gauche qu’au Front national, où l’on veutafficher un style décomplexé, franc et antibureaucratique. Sans oublier unebonne maîtrise des médias.
Comme le souligne Dominique Reynié : “Les partis extrémistes surinvestissent leweb”. Et tirent profit de ce qui se veut être l’espace démocratique parexcellence pour amplifier leur présence. Multipliant les pseudos et les espacesd’expression, affichant des slogans chocs, les partis radicaux et populistescompensent leur difficulté à accéder aux médias classiques par une présencedécuplée sur Internet. Et affirment en outre que les médias classiques sontorientés, mentent et sont imprégnés de politiquement correct, tandis que latoile serait le lieu d’expression libre des vraies revendications par lescitoyens. Mais après tout, “démocratie” ne voudrait-ce pas dire “pouvoir aupeuple” ? Message bien reçu auprès des partis populistes, les premiers àrevendiquer le plus de scrutins populaires possibles. Dans certains pays, lesystème de représentation proportionnelle impose un seuil de représentativité àfranchir pour siéger au Parlement, ce qui réduit l’accès à l’hémicycle auxpetites formations. Les partis populistes et radicaux préfèrent donc le vote ausuffrage universel direct pour se garantir une place dans l’espace politique.Mieux encore que les élections présidentielles, les référendums sont les grandsalliés des partis extrémistes, comme on a pu le voir en Suisse pour la loi sur“la déportation des criminels étrangers” en 2010.
À cela s’ajoute la confiance répandue chez les citoyens que le gouvernement estélu pour agir, et qu’il est capable de véritablement changer les choses. Sibien que, d’après Charbit : “voyant l’apparente impuissance des partisclassiques au pouvoir, nombreux sont ceux qui se laissent tenter par l’un oul’autre extrême, pensant ne plus risquer grand-chose”.
Et le politologue de faire remarquer que souvent, l’extrême gauche fait bienmoins peur que l’extrême droite, notamment dans les médias. La raison ? Lesdifférents programmes : selon Charbit, l’extrême gauche communisante porteraitun idéal qui aurait été dénaturé, alors que l’extrême droite afficheraitd’entrée de jeu des slogans plus agressifs et plus dangereux.
Enfin, dernière remarque, réflexion de Jacques Tarnero : les temps de crisesvoient non seulement l’émergence de partis extrémistes, ils voient égalementune vague de xénophobie et surtout d’antisémitisme farouche. Selon lesociologue parisien : “L’antisémitisme est en quelque sorte un indicateur desressentiments de la société : quand tout va bien, on n’embête pas trop lesJuifs, mais en cas de crise, ils sont les premiers accusés, notamment par lespartis extrémistes”.
Tous les regards doivent désormais se braquer sur la communauté juive de Grèce,déjà lourdement frappée par la crise financière, et aujourd’hui menacée par lesfrasques négationnistes du parti “Aube dorée”.