Tiraillés entre deux foyers

Les Israéliens nés en Iran regardent avec inquiétude la tension monter entre leur patrie et leur pays d’adoption.

P22 0512 521 (photo credit: Sharon Wagner)
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(photo credit: Sharon Wagner)

En Israël,parler d’une attaque contre l’Iran est devenu un sport national. Non seulementauprès des experts, journalistes et politiciens, mais aussi auprès de lapopulation. Celle-ci est devenue familière avec l’arsenal du Régime des Mollahs: la taille et le lieu géographique de ses installations nucléaires, et même lenom de code du président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Pour l’heure,l’atmosphère est circonspecte et tendue, et ce, en dépit de l’exception, quiconfirme la règle : la campagne estivale « Israël aime l’Iran ».
Pourtant, il y a au sein de la population israélienne ceux qui connaissent laRépublique islamique bien mieux que tous les experts et élus politiques : lesIsraéliens nés en Iran. Pour eux, le Régime n’est pas uniquement synonyme demenace, il est aussi nostalgie, souvenirs d’enfance et amour.
Selon Menashé Amir, ancien journaliste israélien originaire du pays desMollahs, 50 000 à 60 000 Juifs iraniens vivent aujourd’hui en Israël. Certains,poussés par un idéal sioniste, sont venus au début des années 1950. D’autressont arrivés en Israël immédiatement après la révolution islamique de 1979.Enfin, un petit nombre d’entre eux ont récemment quitté l’Iran à cause de lasituation intolérable. Ils parlent persan, écoutent les programmes en langueperse de la radio israélienne, surfent sur les sites iraniens, lisent ShahyadMagazine et suivent attentivement les nouvelles de leur pays agité.
Mais comment se sent-on lorsque votre patrie adorée et votre terre d’adoptionsont à couteaux tirés ? 
Un Iran aimé mais inconnu 
Chaque soir, tard, quand lamaison est tranquille, Babak Eshaghi surfe sur Internet pour discuter avec sespairs et les écouter, ces Iraniens nés juste avant ou après la révolutionislamique.
Eshaghi, poète, philosophe et journaliste, explique son amour pour l’Iran,spécialement Téhéran, où il est né et a grandi, et le conflit dans lequel ilvit aujourd’hui : « C’est comme si Israël était mon père et l’Iran ma mère. Jeme sens comme un enfant impuissant devant mes parents divorcés en perpétuelledispute.
Que diriez-vous si votre père menaçait votre mère ? » . Eshaghi écrit despoèmes et des chansons en perse, qu’il diffuse sur YouTube et sur des sitespolitiques et culturels iraniens. L’un de ses titres les plus provocantss’intitule Bombe atomique.
Dans le clip que l’on peut voir sur YouTube, des images illustrent la pauvretéen Iran, la répression, les protestations et même, se découper dans le cielbleu, un champignon atomique. Dans les commentaires qui suivent, on peut liredes appels aux meurtres contre les ayatollahs qui contrôlent l’Iran.
Eshaghi explique sans relâche le point de vue d’Israël sur le web : « Je faistout pour montrer aux jeunes Iraniens que leur véritable ennemi n’est pasIsraël, mais leur régime politique.
Le problème est que le gouvernement, avec ses menaces d’attaque, rend mamission impossible. Après tout, Téhéran n’a, jusqu’à présent, jamais déclaré deguerre. Même en 1980, c’est Saddam Hussein qui a déclenché les hostilités entrel’Iran et l’Irak. Israël, en général, ne menace pas, mais agit. Je ne comprendsdonc pas bien où il veut en venir avec toutes ses menaces. » 
« Farah, femmeséduisante d’une quarantaine d’années, est assise dans son salon et regarde latélévision. Elle zappe entre les chaînes officielles iraniennes, où desprésentatrices voilées lisent les nouvelles, et les chaînes iraniennesaméricaines et européennes.
L’une d’elles diffuse un vieux film iranien qui évoque l’Iran des années 1960,bien avant la révolution. La plupart des Iraniens d’aujourd’hui sont plusjeunes que le film et n’ont que de vagues souvenirs de cette époque. C’est doncpar les médias que Farah, comme beaucoup d’autres, découvre cet Iran inconnu.
« Le peuple iranien est gentil et tolérant » 
Plusieurs dizaines d’Iraniensmusulmans vivent en Israël aujourd’hui. Venus avec leurs conjoints juifs, ilsont construit leurs vies loin de leur patrie. Ils ne peuvent revenir en Iran,même pour une visite. Et sont inquiets pour le sort de leurs proches, restéslà-bas.
Farah, qui a accepté de témoigner sous réserve d’anonymat, est l’une d’entreeux.
Elle a rencontré son mari, un Juif iranien, à Téhéran. Il y a 15 ans, le couplea décidé d’immigrer en Israël. Aujourd’hui, ils vivent à Holon, au sud deTel-Aviv. Depuis, Farah ne peut visiter l’Iran. Mais elle explique que,contrairement à la loi islamique, qui interdit le mariage à un non-Musulman, età de nombreux pays arabes où une telle union est accueillie avec animosité etpeut même conduire à une condamnation, l’Iran a toujours été différent et lereste encore de nos jours.
« Le peuple iranien est gentil et tolérant et il n’y avait jamais de problèmesavec la communauté juive. Ils vivaient parmi nous dans une coexistenceharmonieuse.
Bien que mon mariage soit interdit par la religion (musulmane), ma famille n’asoulevé aucune objection.
J’étais juste un bébé quand la révolution a commencé.
Israël était notre ennemi, mais personne ne savait exactement pourquoi.
Comment un pays situé si loin et avec qui nous n’avions même pas de frontièrespouvait être notre ennemi ? Selon les politiciens, tous les problèmesproviennent d’Israël et de l’Ouest, mais la population ne pense pas ainsi. »Farah, qui communique avec sa famille à Téhéran via Internet, explique l’effetdévastateur des sanctions internationales sur la vie quotidienne des Iraniens :« Il y a quelques jours, mon frère est allé au marché, échanger des rialsiraniens contre des dollars.
Le temps qu’il arrive, le taux de change avait augmenté de quelques pour-cent !L’Iran était un pays prospère, mais aujourd’hui, il est en ruine. Personnen’arrive à boucler les fins de mois. Il y a plus d’un million de drogués. Quantà une attaque… Vous n’allez pas me croire, mais je connais beaucoup depersonnes qui disent que si Israël veut attaquer, qu’il le fasse et qu’on enfinisse ! On ne peut vivre avec une tension pareille. » 
Remplacer le Régime 
Chaque dimanche à 18 heures, à radio Israël, Amir, en costume cravate, assisdans son studio décoré par des centaines de caricatures d’Ahmadinejad, bavardeavec ses auditeurs iraniens. Il leur demande ce qu’ils pensent d’Israël et del’Iran, de la vie et de la politique : « Un jour, un homme qui se revendiquaitde l’armée iranienne m’a appelé. Il a déclaré qu’il lancerait, avec plaisir,une bombe sur les installations nucléaires iraniennes à Natanz ou Qom. Justepour être débarrassé de cette menace ».
Quant à la possibilité d’un prochain «Printemps iranien», prédit par AvigdorLiberman, Amir, arrivé en Israël de Téhéran en 1953, n’est pas optimiste : « Etce, malgré les manifestations récentes au marché de Téhéran. Malheureusement,il n’y a personne à l’extérieur de l’Iran, qui rassemble la majorité desIraniens. Dans le pays même, la répression est si brutale qu’elle empêche ledéveloppement d’un vrai pouvoir capable d’un changement », ajoute-t-il.
« Mehdi Karroubi et Mir Hossein Mousavi, à l’origine de la vague deprotestations et de l’opposition de 2009, ont été assignés à résidence, il y aplus d’un an. L’Ayatollah Seyyed Hossein Kazemeyni Boroujerdi, qui a demandé laséparation de la religion et de l’Etat, a été emprisonné pendant trois ans.
Personne n’ose plus parler publiquement car la peur règne dans le pays. » PourAmir, il n’y a qu’une solution au problème iranien : remplacer le régime quimenace non seulement Israël, mais aussi les pays arabes voisins. « Au lieu dese fixer sur le programme nucléaire de l’Iran, Israël et les leaders du mondedoivent se concentrer sur une seule chose : se débarrasser du régime iranien.Il faut aider le peuple. Tout autre solution, même militaire, sera temporaire.» 
Stupides menaces 
Kamal Penhasi, assis dans son petit bureau, décoré d’unephoto du Shah d’Iran et d’un vieux drapeau de l’époque, boucle le derniernuméro du bi-mensuel Shahyad.
Le magazine est lu par les membres des communautés iraniennes en Israël et àl’étranger, principalement aux Etats-Unis.
Mis en ligne, il est consulté en Iran aussi.
Penhasi, qui en est l’éditeur, est aussi le président de l’association pourl’amitié iranoisraélienne, fondée en 2008.
« Notre association a vu le jour quand la situation entre les deux pays acommencé à se détériorer «, raconte Penhasi. « Nous avons été accueillis avecsuspicion et certains s’interrogeaient même sur nos intentions. Notre but consisteà dire que notre ennemi n’est pas le peuple d’Iran, mais son régime oppressifet haineux. L’Iran est ma patrie aussi. Si je pouvais visiter le pays, j’iraisdans mon ancienne maison, ma vieille école et rencontrerais tous mes anciensvoisins. » « Pour Penhasi, les menaces, qui font la une des journaux israélienset de la presse mondiale, sont stupides : « S’il y a une menace extérieure, lesIraniens vont plutôt s’unifier, quelles que soient leurs différences.
Le 22 septembre 1980, quand Saddam Hussein a envahi l’Iran, même les leaders del’armée, pourtant opposés au régime, ont joué la carte de l’unité dans laguerre. La même chose se produit aujourd’hui. » « Pour lui, le changement doitvenir de la société iranienne. Le rôle de l’Ouest est de soutenir le peuplejusqu’à ce qu’un dirigeant puisse renverser le régime.
« L’Ouest pense encore pouvoir endiguer le régime iranien par l’arrêt de sonprogramme nucléaire, ou par l’accession à la présidence d’une personne plusmodérée. C’est totalement faux : l’Iran ne changera que lorsque son régime auradisparu. »