Une Egypte qui verdoie…

Le pays qui fêtait vendredi les deux ans d’une révolution « printanière », est aujourd’hui en passe difficile : le président issu des Frères musulmans prend la pente d’Hosni Moubarak, le dictateur déchu.

Egypt Jan 2013 protests 370 (photo credit: Melanie Lidman)
Egypt Jan 2013 protests 370
(photo credit: Melanie Lidman)

L’explosion attendue vient de se produire en Egypte. Pour comprendre ce qui vient de se passer et ce qui se passe encore, il faut bien savoir qu’il n’y a plus d’opposition parlementaire en Egypte.

La constitution très controversée récemment adoptée par referendum donne au président les pleins pouvoirs dans le domaine exécutif ; c’est lui qui nomme le Premier ministre, les juges de la Cour Suprême et les dirigeants de toutes les institutions d’état. La chambre basse du parlement ayant été dissoute par décision de justice, Morsi, qui s’était attribué le pouvoir législatif, vient de le remettre à la chambre haute qui le détiendra jusqu’à la tenue de nouvelles élections. Frères musulmans et Salafistes disposent de 85 % des sièges dans cette assemblée.
 
Le président concentre maintenant ses efforts sur la mise en place de ses hommes partout où il le peut malgré une résistance opiniâtre des juges, des médias et des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, traditionnellement hostiles à la confrérie.
 
Sur le papier, les élections devaient se tenir deux mois après l’approbation de la constitution, soit courant février. Elles ont pourtant été repoussées sans explication et devraient maintenant avoir lieu en avril, sans qu’une date précise n’ait été spécifiée. Morsi veut d’abord s’assurer qu’il a la situation bien en main et qu’il peut s’attendre à une victoire facile de son parti «Justice et liberté ».
Faute de représentation parlementaire, l’opposition en est réduite à organiser des protestations de rue. Elle peut quand même se féliciter d’un résultat spectaculaire : elle continue à manifester son unité sous la bannière du Front de salut national qui maintient la pression pour faire annuler la constitution en faveur d’un texte nouveau, juste et équilibré.
Les trois grandes forces non islamistes qui le composent – la gauche, les libéraux et les nasséristes – envisagent même de présenter une liste unique aux élections pour battre le parti des Frères. Ils ne se font pourtant guère d’illusions. La confrérie des Frères musulmans ne reculera devant aucun moyen pour s’assurer la victoire ; on l’a vu lors de la campagne du referendum où de nombreuses irrégularités ont été relevées, allant jusqu’à la mise en place de barrages routiers autour des villages coptes pour empêcher les habitants d’aller voter.
Aucun contact entre gouvernement et opposition

Le Front a défini ses positions dans un communiqué daté du 6 janvier. Il rejette en bloc la rédaction hâtive de la constitution par une assemblée constituante non représentative et donc contraire à la loi et son adoption lors d’un processus électoral vicié par la fraude, l’intimidation, la terreur, l’immixtion dans le processus judiciaire et la force brutale. Un abîme sépare désormais les islamistes qui parachèvent leur emprise sur tous les leviers du pouvoir et une opposition laïque qui ne joue plus aucun rôle dans l’administration du pays et qui en est réduite à manifester et à publier des communiqués.

Le Front demande instamment à ses militants de maintenir la pression devant le palais présidentiel et place Tahrir, tout en évitant la violence. L’opposition avait mis tous ses espoirs dans la grande manifestation populaire qu’elle organisait le vendredi 25 janvier, second anniversaire du début de la révolution. Elle menace également de boycotter les élections si elle n’obtient pas de solides garanties ; elle a publié une liste de dix conditions jugées essentielles pour que ces élections soient transparentes et équitables, notamment la formation d’un gouvernent neutre et l’interdiction de toute propagande à l’intérieur des mosquées.
 
Il n’y a aucun contact entre gouvernement et opposition. La chambre haute a voté à la vavite une nouvelle loi électorale qui favorise les partis islamistes et a refusé d’obliger tous les partis à mettre au moins une femme dans la première moitié de leur liste. La loi fait actuellement l’objet d’un recours devant la Haute Cour de la constitution.
 
Pendant ce temps le gouvernement met la dernière main à une loi « réglementant» les manifestations – en clair, limitant le droit de grève et le droit de manifester.
Une « ikwanisation » sans juste mesure

Morsi va de l’avant comme s’il disposait toujours d’un vaste soutien populaire ; il fait mine de ne pas voir les manifestations appelant à la chute du régime des Frères et ne s’émeut pas des menaces de boycott des élections. Il n’a pas commenté la démission de son vice-président et de plusieurs conseillers présidentiels qui protestaient contre ses abus de pouvoir, ni la démission du gouverneur de la banque centrale scandalisé par la politique économique catastrophique du gouvernement.

Il a dû pourtant reculer temporairement quand le procureur général a refusé de démissionner comme il l’exigeait, mais a fini par le démettre pour en nommer un autre à sa place. Un recours contre cette manoeuvre est examiné par la Cour.
 
Bref, si l’Egypte avait été véritablement démocratique, il y a longtemps qu’il aurait dû démissionner.
 
Le président égyptien cible désormais les médias qui lui sont en partie hostiles et qui protestent contre ce qu’ils appellent « l’ikwanisation » de l’Egypte – du mot Ikwan, frères – notamment dans le domaine de l’éducation où de nouveaux manuels scolaires conformes à la doctrine de la Confrérie remplacent les textes traditionnels, mais aussi dans le domaine de la religion où une adhérence stricte aux dogmes des Frères est demandée.
 
Une ONG arabe pour l’information sur les droits de l’homme (ANHRI) a publié des données stupéfiantes rapportées le 20 janvier par News of Egypt : au cours des six premiers mois qui ont suivi son élection, Morsi a engagé plus de poursuites pour « insultes au président » que pendant les trente ans du régime Moubarak ; mieux encore, le président Morsi a engagé plus de poursuites depuis son élection que depuis que la loi a été votée – c’était en 1909 et il s’agissait alors d’insultes à la personne du roi.
 
Reste à voir ce qui va désormais se passer.
 
Malgré l’ampleur des manifestations, Morsi ne semble pas prêt à reculer, à accepter la révision de la constitution et encore moins la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Il a recours aux lois d’urgence que l’on avait tant reprochées à Moubarak.
 
Le Front sera-t-il capable de maintenir la pression ? Il est à craindre que Morsi, jouant le tout pour le tout, durcisse ses positions au risque de plonger l’Egypte dans un chaos proche de l’anarchie. Il n’abandonnera pas facilement son rêve de peindre le pays tout entier aux couleurs vertes de l’Islam.
 
 
Les revers de la révolution égyptienne
 
Amandine Saffar
Après des chants joyeux et des levées de drapeau, les gaz lacrymogènes et les cris ont envahi la place Tahrir. Quelques heures auparavant, les forces armées égyptiennes s’étaient déployées dans la ville de Suez pour séparer des manifestants : 9 d’entre eux avaient été tués avant l’arrivée des troupes, dont un policier, ce qui a précipité l’intervention.
Pro et anti-Morsi se sont affrontés dans tout le pays. Des violences qui ont causé en tout 456 blessés, selon les autorités.
 
Une nouvelle chasse à l’homme. Le président Morsi a promis de poursuivre les «criminels » et de les livrer à la « justice ».
 
Dans la nuit de vendredi, place Tahrir, alors qu’une population pleine d’espoir s’était vue stoppée net en plein cortège, les « ultras », un groupe de hooligans violents, ont pris la place.
 
Le lendemain, samedi matin, nouvelle explosion générale. La cour égyptienne condamnait à mort les 21 supporters du stade de football de Port Saïd, pour avoir déployé une violence sans égale, causant la mort de 74 spectateurs l’an dernier. Suite à cela, de nombreux militants sont descendus dans la rue, la rage au ventre.
 
Nabil, un militant social-démocrate justifie ainsi cette descente : « Cette démonstration de force n’est pas en vain : elle veut montrer aux Frères musulmans qu’ils ne peuvent pas diriger en despotes » et de conclure : « la révolution n’a pas atteint ses buts ».
 
Depuis vendredi, la violence n’a pas cessé dans tout le pays. Le bilan s’élève à 41 morts en à peine 4 jours. Jets de pierre contre bombes lacrymogènes, bâtiments officiels attaqués, jusqu’où ira ce scénario de révolution amorcée ? Un nouveau vote est attendu en avril, qui scellera l’avenir de la démocratie égyptienne.