Conquérants de fortune

La capture de la Vieille ville de Jérusalem ne faisait pas partie des plans israéliens, jusqu’à l’irruption de la Guerre des Six jours en juin 1967. Retour sur les événements inattendus qui ont changé la donne du conflit

Images d’archives (photo credit: ©)
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Si Israël avait eu le dessus au début de la Guerre des SixJours, Jérusalem serait peut-être encore une ville divisée et la Judée-Samariesous contrôle arabe. A la veille de la guerre, Moshé Dayan annonce aucommandant du front jordanien, le général Ouzi Narkis, alors qu’ils passent enrevue les positions jordaniennes à l’extérieur de Jérusalem, que le conflitimminent se concentrera principalement sur l’Egypte. “Evite toute action quinous compromettrait avec les Jordaniens”, demande Dayan, sur le point dedevenir ministre de la Défense. Avec le gros de l’armée déployée à la frontièredu Sinaï, la dernière chose qu’Israël souhaite, c’est un front de combatssupplémentaire à l’est. Si la Jordanie tire, les troupes de Narkis doiventrépondre de façon mesurée - tir pour tir, mortier pour mortier - mais évitertoute escalade. Si un conflit à terre s’engageait néanmoins, tout territoirejordanien capturé devra être rendu après la guerre, avait déclaré le Premierministre Levi Eshkol à son cabinet ministériel, tout comme le Sinaï a été renduà l’Egypte après la Campagne de Sinaï de 1956, sous la pression internationale.

Au lancement de la frappe israélienne préventive contre l’Egypte, au matin du 5juin, le représentant officiel de l’Onu à Jérusalem, le général Odd Bull, estconvoqué au ministère des Affaires étrangères avec un message urgent à délivrerau roi Hussein de Jordanie : si le royaume maintient la paix, Israël en fera demême. Mais si la Jordanie intervient, Israël répondra par la force.
Le roi a déjà fait son choix. Le 30 mai, il était au Caire pour signer un pactede défense avec le président Gamal Abdel Nasser. A son retour, la foule prisede ferveur guerrière, soulève sa voiture à l’aéroport, lui, à l’intérieur n’ajamais semblé si populaire.
Il explique à l’ambassadeur américain que le pacte avec Nasserest “son contrat d’assurance”. Un contrat à la prime élevée : l’obligation pourHussein de faire passer le commandement de son armée aux mains d’un généralégyptien, Abdoul Moneim Riad.
Déclaration d’intention

 Deux heures après le début des affrontements en Egypte, lesarmes jordaniennes ouvrent le feu sur le front est. La mission de Riad,consistant à déloger les forces israéliennes du Sinaï, sert les intérêts duCaire et non d’Amman. Les commandants jordaniens veulent un simple échange defeu, à moins que la victoire égyptienne ne devienne évidente.

Mais Riad ordonne néanmoins à une batterie de chars de Jéricho de sepositionner au sud de la Judée et de la Samarie pour menacer Beersheva,quartier général du Commandement sud israélien, en passant par Hébron.
Pour arriver à la ville, les tanks doivent emprunter une route à la lisière deGovernement House, fief du général Bull au sud de Jérusalem. Amman décide alors d’occuper l’enceinteonusienne jouxtant le territoire israélien, en dépit des probablesrépercussions diplomatiques, afin de protéger la route des attaquesisraéliennes.
L’artillerie pilonne la moitié juive de la ville pendant des heures, mais laréaction israélienne, respectant les ordres de Dayan, est restreinte.
Lorsqu’une compagnie de soldats jordaniens pénètre le territoire israélien,Narkis ordonne pourtant à la Brigade de Jérusalem, composée de réservisteslocaux, de la repousser.
L’escarmouche devient brutalement une guerre tous azimuts lorsque la radio duCaire annonce que la Jordanie a capturé le mont Scopus au nord de Jérusalem. Depuis1948, Israël y maintient une garnison de 120 hommes, dans une enclave au-delàdes lignes jordaniennes, avec rotation mensuelle sous protection de l’Onu. Laradio cairote est en réalité dans l’erreur, Scopus n’a pas été attaqué. MaisIsraël interprète, à juste titre, ce communiqué comme une déclaration deguerre.
Mordechaï (Motta) Gur est envoyé à Jérusalem avec ordre de percer les lignes dedéfense jordaniennes et de rejoindre la garnison de Scopus. Narkis ordonne égalementà une brigade mécanique de pousser ses tanks et semi-remorques sur les hauteursdes collines du nord de la ville et de bloquer les chars jordaniens enprovenance de Jéricho avant qu’ils n’atteignent le mont.
Jérusalem, à Israël ou à la Jordanie ?

 La journée avance et la victoire contre l’Egypte devientévidente. Les esprits s’échauffent. Au Cabinet, des ministres donnent de lavoix pour prendre la Vieille ville, chose encore impensable le matin même. LaVieille ville est, bizarrement, retirée des stratégies du Haut Commandement,comme si sa capture visait trop haut. Il existait des plans de secours pourattaquer virtuellement toute cible d’importance dans les pays voisins, mais paspour la Vielle ville, pourtant littéralement à un lancer de pierre de laJérusalem israélienne.

On n’avait même pas pensé à laquelle des sept portes il fallait s’attaquer enpremier. La seule stratégie existante était finalement l’appel biblique pour larédemption messianique.
Certains ministres s’opposent à la prise de la Vieille ville, craignant que lacommunauté internationale - et en particulier le Vatican - refuse unesouveraineté juive sur l’un des sites les plus sacrés de la chrétienté. Ilssoulignent que si le Premier ministre David Ben Gourion a dû céder aux demandessoviétiques et américaines de se retirer du Sinaï en 1956, il en sera de mêmepour Jérusalem, qui vaut bien d’avantage que les dunes ensablées de lapéninsule désertique.
Etonnamment, la plus forte opposition émane des ministres religieux, dont lespartis mèneront plus tard le mouvement des implantations. Le dirigeant du Partinational religieux, le ministre de l’Intérieur Moshé Haïm Shapira, proposed’internationaliser la Vieille ville. “ Nous ne la rendrons pas à la Jordanie”,dit-il, “ mais au monde”.
Eskol publie alors un communiqué prudent affirmant que la Vieille ville seraprise afin de mettre un terme aux tirs jordaniens - laissant ouverte lapossibilité d’un retrait futur.
Un impératif de l’histoire

 Israël a longtemps considéré la Légion jordanienne comme lameilleure armée du monde arabe. En 1948, la jeune armée israélienne estincapable de la déloger de ses positions.

Depuis, néanmoins, la Légion arabe a revu son nom - c’est maintenant l’Arméejordanienne - et a remplacé ses officiers britanniques par des Jordaniens.
Le gouverneur de la Jérusalem jordanienne, Anwar al- Khatib, est mortifié aucours de sa visite dans un hôpital de la Vieille ville d’apprendre que denombreux soldats blessés maudissent leurs officiers qui ont déserté en plein combat.
Et, de fait, il n’y quasiment aucun officier parmi les blessés dans leshôpitaux jordaniens.
Du côté israélien, les officiers sont, au contraire, postés en première ligneet blessés en conséquence. La moitié des parachutistes combattant sur Givat Hatahmoshet(la colline des munitions), un point stratégique jordanien, sont tués oublessés en quelques heures. Parmi les 14 officiers qui mènent les troupesparachutistes sur la colline le ratio est même plus élevé encore : 4 tués et 6blessés. Dans les hôpitaux du côté israélien, les soldats blessés demandentsouvent que leurs gradés soient soignés avant eux.
Au second soir de la guerre, la prise de la Vielle ville devient inévitable. Lemouvement des combats a conduit les parachutistes à ses portes. Avant l’aube,le commandant jordanien, le brigadier Ata Ali Haza’a, informe le gouverneurKhatib de son retrait. Tous ses officiers, à l’exception de deux, ont déserté.Sans eux, explique-t-il, il ne peut continuer la bataille avec les 500 hommesqui lui restent.
Aux dernières heures de la nuit, le bataillon lève le camp, à pied, traverse laseule porte de l’enceinte demeurée ouverte et prend le chemin du Jourdain.Quelques heures plus tard, les semi-remorques de Gour entrent triomphalementdans la Vielle ville par la portedu Lion.
Israël a finalement décidé, presque au dernier moment, que retourner dansl’ancienne Jérusalem constituait un impératif de l’Histoire qu’un Etat juif nepeut se permettre d’ignorer.