Israël/Union européenne : histoire d’un malentendu

Bruxelles promet des subventions pour inciter Jérusalem à signer un accord de paix. C’est sans compter le prix sécuritaire

P13 JFR 370 (photo credit: REUTERS)
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Cuisante humiliation de l’Union européenne. Suite à l’annonce des subventions extraordinaires que l’Europe se propose d’offrir à l’Etat hébreu s’il consent à ratifier un accord avec les Palestiniens, Israël a gardé le silence. Une réponse qui sonne comme une fin de non-recevoir aux oreilles de l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, vexées que l’Etat juif n’ait même pas daigné répondre. L’ambassadeur de France en Israël, Patrick Maisonnave, s’en est même plaint ouvertement dans un récent éditorial publié dans le journal Haaretz.

Dans la mesure où cette offre qualifiée « d’extraordinaire », est subordonnée à un accord israélo-palestinien sur des bases que les deux parties s’accordent à juger irrecevables, Jérusalem n’a même pas pris la peine de la décliner, conformément à la coutume israélienne de traiter ainsi les propositions irréalistes. Mais des divergences de fond ont aussi motivé le silence de Jérusalem. Elles se sont exprimées le mois dernier par la voix du ministre de la Défense Moshé Yaalon, de façon tout à fait officieuse, au cours d’une réunion avec des chefs d’entreprise, puis par le ministre de l’Economie Naftali Bennett à une autre occasion.
L’Union européenne voulait par ce geste soi-disant généreux, encourager Israël à accepter l’accord-cadre proposé par le secrétaire d’Etat américain John Kerry. Mais Yaalon a mis en garde contre les effets pervers d’un tel accord qui menace de « détruire l’économie israélienne […] Si nous perdons notre liberté d’action militaire, les territoires disputés vont devenir un nouveau Hamastan. Les missiles vont pleuvoir sur Tel-Aviv et notre économie sera ruinée ».

Le souvenir de la seconde Intifada

Emanant de Yaalon, il est évident que ces propos n’étaient pas motivés par une simple spéculation. C’est un homme d’expérience qui parle en connaissance de cause. Le passé récent est riche d’enseignements ; il suffit de se souvenir de la deuxième Intifada et de la vague d’attentats qui a frappé les principales villes israéliennes, suivie par une profonde récession économique, s’ouvrant sur deux années consécutives de chute de la croissance, 11 % de chômage et le ratio de la dette du PIB qui s’est élevé à 103 %. La combinaison de terreur et de récession économique a rendu les marchés internationaux méfiants au point de précipiter le commerce international israélien au bord du gouffre. Avec pour conséquence, l’impossibilité pour l’Etat hébreu d’emprunter à l’étranger pour financer sa dette abyssale, soulevant le spectre d’un défaut de paiement imminent. Ce ne sont que les 9 milliards de prêt américain qui ont permis in extremis de sauver le pays du désastre. Dans les faits, ce prêt consenti sur dix ans n’a été nécessaire que deux ans seulement. Dès 2005, Israël a été à nouveau en mesure de souscrire à des emprunts de façon tout à fait autonome. Ce n’est pas par hasard si l’année 2005 correspond aussi à celle où l’Intifada a été maîtrisée. Grâce à une contre-offensive antiterroriste menée en 2002, et la construction de la barrière de sécurité qui a été entreprise dans la foulée, le nombre de victimes israéliennes du terrorisme palestinien a chuté de 50 % par an entre 2002 et 2005, passant de 450 à 51.
Des réformes économiques majeures ont également accéléré la reprise, mais seules, ces mesures n’auraient pas suffi à la relance. Il est tout simplement impossible d’avoir une économie florissante dans un contexte où les citoyens ont peur de sortir de chez eux, et les touristes aussi bien que les investisseurs craignent de se rendre dans le pays.
Ce phénomène s’est encore vérifié suite au désengagement unilatéral de Gaza. Durant les trois années qui ont suivi le retrait israélien, 6 000 roquettes tirées par les Palestiniens se sont abattues sur le sud d’Israël, plongeant la région dans une crise économique profonde que les aides de l’Etat ne sont pas parvenues à contenir. Mais fin 2008, suite à une intervention militaire d’envergure qui eut pour effet de réduire les tirs de roquettes de manière significative, les prix de l’immobilier ont marqué une forte hausse dans les communautés en bordure de Gaza, avec un bond de 20 % à 50 %, sous la pression d’une demande croissante. La reprise économique était au rendez-vous dès que la sécurité a été rétablie.
A noter, d’ailleurs cet état de fait ne concerne pas exclusivement Israël, et s’est vérifié au cours de l’intervention américaine en Irak. Trois ans après l’invasion, les Etats-Unis ont tenté d’y réduire la violence en investissant dans l’économie irakienne, pensant que si la jeunesse du pays avait du travail, elle déposerait les armes. Mais les effusions de sang sont devenues exponentielles. Le nombre de victimes irakiennes a culminé en 2006 autour des 29 000, et l’économie en berne a accusé une chute de la croissance de 3 % en 2005, suivie d’une croissance de seulement 2,4 % en 2006. Ce n’est qu’en 2007 que Washington est parvenu à inverser cette tendance en annonçant une augmentation de ses troupes au sol pour juguler l’escalade de violences. Les cinq années qui ont suivi ont vu conjointement une diminution du nombre de victimes et une hausse de la croissance de 5,8 % par an.

« C’est trop cher payé »

Croire que le terrorisme palestinien va disparaître comme par enchantement dès la signature d’un accord entre Israéliens et Palestiniens relève de l’utopie. Il est irresponsable que les considérations sécuritaires soient reléguées au second plan. Vingt ans après les retraits territoriaux, les Israéliens ont perdu leurs illusions. Deux ans et demi après les accords d’Oslo, le terrorisme palestinien a tué plus d’Israéliens que durant toute la décennie précédente, principalement au cours d’attaques terroristes perpétrées justement à partir de ces territoires qu’Israël a cessé d’occuper suite à ces accords. Au cours des vingt années qui ont suivi les accords d’Oslo, les Palestiniens ont assassiné 1 200 Israéliens, près des deux tiers exactement de la totalité des victimes israéliennes du terrorisme palestinien depuis les soixante-cinq ans d’existence de l’Etat d’Israël. Le désengagement a eu quant à lui pour conséquence une multiplication par sept des tirs de roquettes, qui sont passés de 424 en 2002 à 2 916 entre 2006 et 2008.

L’expérience permet de présager que le gouvernement de Mahmoud Abbas, le partenaire d’Israël dans ces négociations, ne survivrait pas longtemps à un retrait israélien des territoires disputés. Le Hamas, qui rejette catégoriquement tout accord de paix avec l’Etat juif, a eu vite fait de bouter le Fatah hors de Gaza dans un coup de force sanglant, deux ans à peine après le retrait de l’armée israélienne de Gaza. Et Yaalon insiste sur le fait qu’un scénario similaire ne manquerait pas de se produire en cas de retrait israélien des territoires.
Que Mahmoud Abbas puisse se laisser convaincre de signer un accord avec Israël reste tout à fait illusoire. Mais de toute évidence, quand bien même il y consentirait, ce ne serait pas sans contraindre Israël à se soumettre à des concessions tout à fait intenables pour sa sécurité (un retrait en deçà des lignes d’armistice de 1967, la division de Jérusalem, l’abandon de la vallée du Jourdain…). D’autant plus que les Etats-Unis et l’Union européenne le soutiennent dans ses exigences. Dès lors que cette aide extraordinaire que l’Europe se dit prête à offrir à Israël est subordonnée à des concessions dévastatrices pour sa sécurité et de fait néfastes pour son économie, elle est irrecevable. Comme l’a déclaré Bennett, « un boycott européen est préférable à un accord israélo-palestinien, qui laisserait le champ libre à des tirs de roquettes sur l’aéroport de Ben-Gourion ». Tout boycott de l’économie israélienne, aussi nuisible soit-il, serait préférable à cela et obligerait tout simplement Israël à se tourner vers d’autres partenaires commerciaux. « Qui ferait du commerce avec un pays dont le seul aéroport international ainsi que le centre économique névralgique du pays serait sous la menace constante de tirs de roquettes », a-t-il ajouté. C’est une vérité que l’Europe, dont les centres économiques ne sont pas exposés à de telles menaces, répugne à admettre. Aucune compensation financière au monde ne saurait se substituer à la souveraineté israélienne sur sa sécurité, car la sécurité est la condition sine qua non de la croissance économique. C’est la raison pour laquelle Jérusalem a prudemment gardé le silence après l’annonce en fanfare d’une « extraordinaire » subvention européenne, car la seule réponse possible que le gouvernement puisse donner est : « Non merci, ce serait trop cher payé ».