« J’assiste personnellement à la Résurrection des morts ! »

Rencontre avec Rav Yehouda Ben Ichay, figure de proue du judaïsme francophone à Jérusalem

« La suite de l’Histoire du peuple d’Israël est assurée. Elle est à assumer sur sa Terre, le pays du Retour, comme l’ont prévu les prophètes. »  (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
« La suite de l’Histoire du peuple d’Israël est assurée. Elle est à assumer sur sa Terre, le pays du Retour, comme l’ont prévu les prophètes. »
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Votre communauté (Emouna) se trouve à Bakaa, fief de la communauté francophone de Jérusalem. Pourriez-vous établir un profil type des personnes et de la vie dans ce quartier ?
Les olim qui s’installent à Bakaa sont tout d’abord attirés par leurs confrères qui ont déjà réussi leur aliya. Ils trouvent dans ce quartier une vie de qualité, avec tous les services nécessaires, y compris au niveau éducatif. C’est surtout un quartier ouvert et diversifié qui convient bien à leur mentalité. Tout en ayant un passé riche, Bakaa permet un renouveau et une intégration à la société israélienne sans devoir pour autant renoncer à sa particularité française.
L’aliya francophone est traditionnellement pratiquante : est-ce toujours le cas ?
La communauté juive francophone est profondément ancrée dans son patrimoine spirituel et culturel depuis de très nombreuses générations, avec des degrés plus ou moins élevés de pratique selon l’éducation reçue. Le dénominateur commun est une foi profonde qui peut trouver son plein épanouissement en Israël. Nous essayons d’y contribuer en proposant une étude approfondie des sources, domaine aisément accessible à ceux qui ont l’habitude de l’effort intellectuel.
Comment expliquer l’attachement profond des communautés francophones à l’Etat d’Israël ?
Dans la période d’après-guerre, les communautés juives de France ont été dans un mouvement de perte de vitesse. Ce mouvement a été endigué grâce au « renflouement » des communautés avec l’arrivée des Juifs d’Afrique du Nord. Ces communautés séfarades sont sionistes par tradition rabbinique et, au fur et à mesure, les communautés françaises ont eu le regard tourné vers Sion.
De grandes figures du judaïsme français, telles Manitou ou Benno Gross, ont accompagné et inspiré cet attachement à Eretz Israël. Les rabbins d’aujourd’hui ont été leurs élèves et ils diffusent leurs visions du retour vers Sion en tant que mouvement irréversible, la Torah étant le souffle du retour à l’authenticité d’Israël.
Quel est l’état d’esprit de la communauté juive en France ?
La communauté juive en France passe de nos jours par une phase de transition historique. Pendant pratiquement soixante ans, elle a connu un essor immense après s’être remise des conséquences de la Shoah et avec l’intégration du judaïsme séfarade. Cette réussite s’est trouvé être la source même du danger qui la guette, lui causant des préjudices peu négligeables : le sentiment erroné que la France n’était pas un pays d’accueil provisoire, mais définitif ou, du moins, établi pour de longs siècles. Avec le temps, sont apparus des maux comme l’assimilation et une perte du dynamisme que nous avons connu, jadis, dans les mouvements de jeunesse par exemple.
Il y a eu une tentative de remédier à l’assimilation comme résultat de la non-réalisation des valeurs d’Israël, en mettant l’accent sur le retour à la Torah et la pratique des mitsvot. Cela constitue un tremplin pour l’aboutissement final du retour des exilés. Il est important de ne jamais définir l’exil par un non-exil : quand on n’a pas d’autre issue que l’exil, alors on parle de l’exil comme tel. Mais maintenant qu’il existe une autre solution avec l’Etat d’Israël, alors il faut parler de l’exil à proprement parler.
Peut-on être sioniste en restant en France ?
On peut comprendre quelqu’un qui se languit de Sion et vive dans l’espoir du retour. Mais quand on a un idéal, il doit être réalisé et non pas rester au stade du virtuel. Cela peut prendre du temps, mais se dire sioniste sans le concrétiser serait prendre le risque de vider le sionisme de sa substance même. Chacun doit prendre part au passage de la diaspora à la nation collective.
Que représente la vague actuelle d’aliya de France ?
L’aliya, de plus en plus massive, de cette communauté est le résultat de deux facteurs qui se rejoignent : la prise de conscience que la France n’est pas une demeure sûre et paisible comme elle avait été ressentie pendant des dizaines d’années ; et le sentiment profond que, désormais, la suite de l’Histoire du peuple d’Israël est assurée. Elle est à assumer sur sa Terre, le pays du Retour, comme l’ont prévu les prophètes.
Quelles sont d’après vous les motivations des olim de France ?
Il y a trois niveaux d’aliya qui parfois se rejoignent.
Tout d’abord, par idéal : on a intégré que le temps du retour est arrivé et c’est en Israël que l’on peut réaliser sa dimension collective vis-à-vis de la Terre de Dieu.
Ensuite, par intérêt : en faisant le calcul de ce qui aujourd’hui est préférable – famille, éducation des enfants ou le sentiment de vouloir appartenir à quelque chose de collectif.
Enfin, par peur : la personne voit que le peuple d’Israël, en dehors de sa Terre, est menacé. Ici, apparaissent les personnes préoccupées par l’antisémitisme ou l’assimilation, avec la pensée que si l’on ne veut pas de nous où l’on se trouve alors autant adhérer à la Vérité.
Fuir l’antisémitisme qui sévit en Europe pour se réfugier en Israël ne trouve-t-il pas une limite quand, même ici en Israël, nos enfants peuvent être en danger et se faire enlever et assassinés ?
On vient en Israël pour se joindre au peuple, à ses réussites, à ses épreuves et à ses luttes. Ceci est inconditionnel et cet idéal ne s’accorde pas avec le faux calcul de vérifier où nos enfants courent le moindre danger. Un homme averti se pose la question de savoir où l’avenir de ses arrière-petits-enfants est assuré et non pas quels sacrifices il a fallu faire pour cela.
C’est le problème qui se pose lorsque l’on réfléchit à l’aliya sous forme de bilan, avec ses aspects positifs et négatifs (assurance médicale, éducation des enfants…). On ne travaille pas ainsi avec Dieu ! Quand on fait son aliya, il faut aller jusqu’au bout, aucune n’a jamais réussi lorsqu’elle est faite à « capital limité ».
Nous venons de sortir d’une opération militaire à Gaza. Le gouvernement israélien veut répartir le fardeau de la guerre parmi toutes les communautés. Qu’en pensez-vous ? Cela peut-il mettre en péril les yeshivot ?
La responsabilité de l’avenir du pays et de l’Etat d’Israël incombe à tous et a toutes. Cet engagement réclame de toujours agir en faveur de la collectivité, en sachant que chacun a son rôle à jouer et sa part de sacrifice à faire. Personne ne peut dénigrer le rôle de l’autre, car l’éducation est aussi importante qu’assumer la sécurité, et sans maintenir notre identité, qu’aurons-nous à défendre ? !
Mettre en danger les yeshivot revient à mettre en danger l’âme du peuple, tout comme ne pas prier pour la réussite de nos soldats ou laisser entendre que leur rôle est superflu. Cela les affaiblit évidemment et menace l’existence même du corps de la nation.
Vous êtes professeur à la yeshiva Mahon Meir, mais aussi le directeur de la section francophone du séminaire pour jeunes femmes Mahon Ora. Qu’est-ce qui vous a amené à endosser ce rôle ?
La section francophone du Mahon Ora a été fermée pendant une vingtaine d’années avant d’être rouverte il y a deux ans. Il y avait une réelle demande des jeunes femmes qui avaient dépassé l’âge traditionnel des séminaires (18-20 ans) de pouvoir étudier la Torah. De plus, j’avais été profondément blessé par le sentiment de déception émanant des jeunes filles montant en Israël sans aucun cadre. Elles arrivaient en Israël, mais pas par la bonne porte. C’était comme placer un enfant dans une glacière au lieu de le mettre dans un incubateur ! Cette réouverture était devenue essentielle.
Le Mahon Ora offre de déplacer le centre d’équilibre de la vie de l’homme – et de ces jeunes femmes – de l’utilitaire vers l’existentiel. A ces jeunes filles, on apprend qu’il est important de faire des études, puis d’avoir une carrière, mais pas qu’il faut exister. On leur apprend les petits moyens de l’existence et non pas le goût de la vie. C’est une sorte d’esclavagisme ! En tant le directeur de cette midrasha (séminaire), j’assiste personnellement à la Triyat Hamétim, la Résurrection des morts ! 
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