La question des droits de l’homme : territoire exclusif de la gauche ?

Un nouvel acteur vient d’entrer dans l’arène de la surveillance du respect des droits des Palestiniens : le groupe de droite Blue & White Human Rights.

A 5 heures du matin, on ne trouve guère de lieux plus animésque Kalandiya… Ni plus sinistres, d’ailleurs… Kalandiya, point de passage entreRamallah, capitale de l’Autorité palestinienne dans les Territoires, etJérusalem. Au mieux, on peut le décrire comme un dédale intimidant de barrièresmétalliques et de haut-parleurs qui rappelle en permanence l’intensité duconflit. Au pire, c’est une expérience douloureuse, tant pour les Palestinienscontraints de traverser ce cauchemar sécuritaire souvent abusif et humiliant,que pour les soldats de Tsahal présents, dont le rôle est d’empêcher depotentiels auteurs d’attentats suicides de pénétrer en Israël.

Pour les premiers, une visite qui se déroule mal au point de passage peutsignifier coups et peine de prison. Pour les seconds, un simple momentd’inattention peut entraîner un attentat contre les soldats en poste sur place,ou encore la mort de dizaines de civils dans un bus à Tel-Aviv ou à Jérusalem.
Au coeur de cette tension extrême, il n’est pas rare de voir des groupes decivils surgir à l’heure de pointe : ce sont des militants pour les droits del’homme venus d’Israël ou d’ailleurs. Ils font partie du paysage depuis plus dedix ans et se donnent pour mission de noter les abus de Tsahal à l’encontre desmilliers d’habitants palestiniens des Territoires qui travaillent à Jérusalem.Et ils ne se privent pas d’inciter les jeunes soldats israéliens à désobéir auxordres.
Des militants pas comme les autres 

En ce matin de juin, un groupe de cesmilitants paraît se distinguer nettement des autres. Il est clair qu’ilsn’appartiennent pas aux organisations bien connues, tel le Machsom Watch, parexemple, surtout composé de femmes laïques de gauche âgées de 50 à 70 ans. Non,ceux-là portent la kippa tricotée du mouvement national religieux et ont entre20 et 30 ans. Non seulement ils ne contestent pas l’idée qu’Israël occupe lesTerritoires, mais ils soutiennent ouvertement l’installation de communautés juivessur la terre biblique de Judée-Samarie.

Matan Asher dirige le projet Bleu & Blanc pour les droits de l’homme (Blue& White Human Rights) à l’Institut de stratégie sioniste (Institute forZionist Strategy : IZS) basé à Jérusalem. Agé de 24 ans, il étudie le droit àl’université de Bar-Ilan. La différence entre son organisation et les groupesplus anciens, comme Machsom Watch, Breaking the Silence ou B’Tselem,explique-t-il, réside dans ce soutien.
« Il n’y a aucune contradiction entre ma croyance en un grand Israël et mavolonté de protéger les droits de tous les habitants de ce pays »,précise-t-il. « Pendant des années, la droite israélienne a cédé à la gaucheradicale tous les discours en faveur des droits de l’homme, et les militantspour les droits de l’homme étaient presque tous anti-sionistes. Or c’est là unedescription terriblement biaisée de la réalité.
Pour des gens de droite qui se voient comme les héritiers de Zeev Jabotinsky etde Menachem Begin, le respect des droits des Palestiniens devrait être unepartie centrale de notre identité israélienne. Il n’y a donc aucune raison quedes partisans d’Israël comme Etat juif soient automatiquement bannis du camptraditionnel des défenseurs des droits de l’homme. »

Si grave que ça ? 

Asher aservi dans la brigade Guivati de Tsahal. Il a passé 4 mois à surveiller lepoint de passage d’Hawara, près de Naplouse. Il sait que ces barragesconstituent l’un des grands points de frictions entre Palestiniens et soldatsisraéliens, mais, contrairement aux groupes de gauche, il reconnaît qu’ils sontessentiels à la sécurité du pays. Il adopte donc une démarche préventivepositive avec les Palestiniens et les soldats pour réduire les conflits etfluidifier au maximum le processus de contrôle. « Quelle que soit la façon donton voit les choses, il va y avoir des tensions », affirme-t-il.

« Personne n’aime ces points de passage, mais on n’a pas le choix, ils sontindispensables si l’on veut assurer la sécurité et permettre aux Palestiniensd’aller travailler en Israël.
« Avant de commencer à venir ici, je suis allé rencontrer les commandants deplusieurs points de passage de Judée et de Samarie pour me présenter etexpliquer ce que voulait faire notre groupe. Quand ils ont compris que nous nevenions pas pour insulter les soldats ou délégitimiser Israël, ils sont devenusplus réceptifs et la plupart d’entre eux ont accepté de travailler avec nous. »Pour illustrer cette coopération, Asher cite un incident qui s’est déroulé aumois de mai dernier. Un soudain chahut a éclaté à l’intérieur du point depassage ; un instant plus tard, deux soldats sont sortis, tenant un jeunePalestinien qu’ils malmenaient en le reconduisant du côté palestinien dubarrage. Asher est alors allé voir le jeune homme et a écouté sa version des faits: le Palestinien ne comprenait pas pourquoi on lui avait confisqué son permisde passage en Israël.
« Le jeune homme avait percuté la porte métallique tellement fort que le soldata cru qu’il allait la casser, alors ce dernier s’est mis en colère et lui apris sa carte », raconte Asher. « Je suis ensuite allé voir ce soldat, je luiai demandé si c’était vraiment si grave que ça, je lui ai expliqué que legarçon s’était à présent calmé et qu’il pouvait passer sans autre incident. Lecommandant est alors arrivé et il a escorté le Palestinien à travers le pointde passage, et il lui a rendu son permis. »

Une opération de relationspubliques 

Les habitués des points de passage considèrent les nouveaux venusavec une bonne dose de scepticisme. Ce fameux matin de juin, à Kalandiya, lesmilitants du Machsom Watch présents ne se sont pas privés de critiquer ladélégation de quatre membres de Matan Asher au journaliste que j’étais : « Onne les voit pas souvent », m’ont-ils affirmé, « et quand ils font l’effort dese lever de bonne heure, c’est presque toujours lorsqu’il y a des journalistes.»

Jessica Montell, présidente de B’Tselem, estime pour sa part que les membresdu nouveau groupe sont sincères dans leur démarche. Seulement, ajoute-t-elle,leur engagement en faveur de la construction d’implantations et pourl’exploitation des ressources naturelles des Palestiniens au profitd’Israéliens, et surtout leur conviction qu’un régime sécuritaire estnécessaire dans les Territoires, prouvent qu’ils ne comprennent pas bien lasituation. Parce que les points de passage ne constituent que la partie visiblede l’iceberg ; les autres problèmes représentent des atteintes aux droits del’homme qui sont encore bien plus graves.

La fondatrice de l’organisation Physicians for Human Rights Israel (Médecinspour les droits de l’homme en Israël), Rouchama Marton se montre moinsindulgente à l’égard de Matan Asher et de ses amis. Au cours d’une attaquevirulente contre l’Institut de stratégie sioniste à l’occasion de l’assemblée généraleannuelle des Médecins pour les droits de l’homme , elle a dénoncé ce nouveaugroupe, qualifiant d’« orwellienne » cette tentative de désolidariser lapolitique et les droits de l’homme ; ce qu’ils font, a-telle ajouté, n’est riend’autre qu’une opération de relations publiques de la « droite avide de pouvoir», en vue de légitimer l’assujettissement permanent des Palestiniens deJudée-Samarie.
Pour elle, la question des droits de l’homme en Judée-Samarie est indissociablede « l’occupation par Israël du territoire palestinien, qui est en elle-mêmeune gigantesque violation des droits de l’homme ». Marton a personnellementaccusé le président de l’Institut de stratégie sioniste Yoaz Hendel demanipuler cyniquement la cause des droits de l’homme au service de ce qu’elleappelle « l’entreprise criminelle d’implantation dans les territoires occupés». « S’ils étaient bel et bien attachés aux droits de l’homme, croyez bien queje les accueillerais sur place à bras ouverts ! », s’exclame-telle. « S’ils étaient prêts à abandonner leur message et leur programme ethnocentrés,il n’y aurait pas de problème.  Mais ce n’est pas du tout le cas. Les droits de l’homme les intéressent,certes, mais seulement pour les Juifs ! »

Récupérer le terrain laissé auxassociations de gauche

Bien entendu, les militants de droite rejettent en blocces accusations. Pour eux, le monopole qu’exerce la gauche sur la question desdroits de l’homme dessert ces mêmes droits, dans la mesure où il véhiculel’idée qu’il faut être anti-israélien pour s’en préoccuper. De fait, denombreux Israéliens refusent de s’associer au mouvement alors qu’ils estimenteux aussi qu’il faut protéger les droits des Palestiniens autant que ceux desIsraéliens.

On s’étonnera davantage d’entendre Yoaz Hendel reconnaître que certainescritiques de la gauche sont justifiées. Hendel et Montell se sont rencontréspour discuter des droits de l’homme avant le lancement par l’IZS de Blue &White Human Rights et tous deux s’accordent à décrire leur conversation commecourtoise.
Le premier approuve certaines remarques de Montell, notamment sur le fait queles points de passage ne constituent qu’un des nombreux problèmes qui attisentle conflit entre Israël et les Palestiniens. Son organisation projette enconséquence d’étendre ses activités et d’y inclure des programmes éducatifspour les lycéens israéliens et les soldats de Tsahal sur l’éthique militaire.Autre idée à l’étude : un groupe de médecins originaires de Judée ou de Samariequi lanceraient un programme visant à assurer à tous les habitants de la Terred’Israël l’accès aux soins médicaux.
Hendel fait cependant remarquer que des groupes comme B’Tselem, Human RightsWatch, Machsom Rights et d’autres organisations de gauche possèdent deux atoutsde taille par rapport à l’IZS : leur histoire et leur financement. Voilà desdécennies qu’ils perfectionnent leurs activités (et leur messageanti-israélien, ajoutent les militants de droite), et ils sont subventionnéspar un large cercle de donateurs, comme la Commission européenne et certainsgouvernements étrangers, dont la Grande-Bretagne et la Norvège, ou par desgroupes chrétiens dont le Catholic Relief Services. Hendel refuse de livrer leschiffres, mais révèle que l’IZS fonctionne avec moins de 20 % du budget annuelde B’Tselem, qui s’élève à 9 millions de shekels.
La seule critique que Hendel, Asher et leurs collègues ont à adresser à ladroite israélienne, c’est d’avoir laissé le terrain des droits de l’homme auxorganisations mentionnées cidessus.
« Depuis la création du parti révisionniste par Zeev Jabotinsky, il y a 90 ans», explique Hendel, « les droits de l’homme ont constitué une part nonnégligeable du programme de la droite. Et aucun homme politique israélien n’aparlé avec plus de fougue et de conviction des droits des Palestiniens queMenachem Begin, à la fois avant d’être Premier ministre et une fois qu’il l’estdevenu. Il est temps de se réapproprier ce terrain et de faire du problème desdroits de l’homme un sujet d’intérêt national en Israël. »