Le Mavi Marmara ? Une métaphore

Le rapport du contrôleur d’Etat, publié cette semaine, critique vertement la gestion de la flottille turque en mai 2010. Réactions et analyse

Mavi Marmara le 26 décembre 2010 (photo credit: Reuters)
Mavi Marmara le 26 décembre 2010
(photo credit: Reuters)

Le rapport ducontrôleur d’Etat Micha Lindenstrauss a été rendu public mercredi 14 juin. Ilrevient sur une chronique de décisions prises à la va-vite au bureau du Premierministre, en particulier lors de la crise du Mavi Marmara, alors que denombreux élus avaient pourtant compris le sérieux de la situation.

Rappel des faits : une flotte de 6 navires tente de rallier Gaza, le 31 mai2010, pour briser l’embargo imposé par Israël sur la bande côtière contrôlée parle Hamas. A bord, près de 600 passagers. Derrière l’initiative se trouve ungroupe affilié au Hamas qui se fait passer pour humanitaire, le IHH. Alors quela flottille s’approche de la côte, l’armée israélienne lance l’assaut. Bilan :de sévères violences, 9 morts et 55 blessés parmi les passagers. L’incidentendommage gravement les relations entre Jérusalem et Ankara et entraîne unevague de condamnations internationales à l’encontre de l’Etat juif. A n’en pasdouter, un échec.
Pourtant, dans sa réaction officielle, le Premier ministre Binyamin Netanyahousemble rejeter les conclusions du rapport. “Les citoyens israéliens bénéficientd’un niveau de sécurité qu’ils n’ont pas connu depuis des années”, peut-on liresur le communiqué. En d’autres termes, oubliez les nombreuses critiques deLindenstrauss : les préparations boîteuses, le manque de coordination, lesprises de décisions dominées par l’establishment militaire, l’absence decontribution du Conseil national de sécurité, dont c’est pourtant le rôle, surdes questionsclés...
Les résultats, voilà ce qui compte. Et le communiqué de continuer : le calmesécuritaire n’est pas arrivé de lui-même. Il est “la conséquence directe d’unegestion et d’une politique responsables et déterminées”.
Une ligne de défense reprise en boucle par le Premier ministre et son ministrede la Défense, Ehoud Barak, à chaque fois qu’ils sont attaqués sur leur modeopératoire - que ce soit par le contrôleur de l’Etat, ou les anciens directeursdu Mossad et du Shin Bet.
Mais le rapport Lindenstrauss est explicite : les participants aux réunions ducabinet restreint de sécurité n’étaient pas tous satisfaits de leur teneur.Concernant le Mavi Marmara, certains, comme le ministre des Affairesstratégiques Moshé Yaalon, s’étaient même plaints de leur caractère nonexhaustif.
Le rapport publié mercredi traite en particulier de la mise en oeuvre (ou non)de la loi de 2008 créant un Conseil national de sécurité, des décisions qui ontmené à l’abordage du Mavi Marmara et de la gestion en matière de communicationofficielle de l’incident. Une lecture difficile, et pas seulement parce qu’ils’agit de 153 pages d’une prose sèche, bureaucratique et répétitive.
Alors que la nation devra bientôt prendre des décisions cruciales concernantl’Iran, la sécurité nationale et la politique étrangère sont en effet dépeintescomme dominées par l’establishment militaire, le travail de préparation enamont, bâclé, et les informations compartimentées et centralisées par l’armée.
Centralisation et désorganisation

Connaissez-vousYonathan Locker ? Vous devriez, car si le rapport dit vrai, l’homme, attachémilitaire du Premier ministre, est parmi les plus influents du pays. Normalement, c’est le directeur du Conseil national de sécurité qui doit servirde conseiller à la sécurité pour le chef du gouvernement. Or, c’est bien Lockerqui a joué ce rôle auprès de Netanyahou. Deux problèmes posés par cetteirrégularité : primo, l’attaché militaire ne dispose pas du personnelnécessaire, ni de l’expertise pour coordonner les réunions du Premier ministreen matière de sécurité et deuzio, il fait lui-même partie de l’establishment.

Ainsi, de préparations en réunions, d’informations classées en hiérarchisationdes priorités, seul le point de vue de l’armée est représenté. Lindenstraussconclut donc à juste titre que ce dispositif n’est pas sain et même contraire àla loi, ce que Netanyahou a laissé faire.
Au menu des défaillances, notamment : le Premier ministre a surtout évoqué laquestion du Mavi Marmara avec un groupe de sept ministres, appelé le “septete”,qui ne comporte pourtant pas tous les élus concernés par le sujet, comme lesministres de la Justice ou de la Sécurité publique. Le Conseil national desécurité, bien que conscient de la gravité du problème, n’a pas étéofficiellement chargé par Netanyahou de travailler sur le sujet. Enfin, etprobablement pire que tout, il apparaît que Tsahal n’avait pas élaboré destratégie à suivre en cas de riposte violente de la part de la flottille.
On l’a vu, Netanyahou répond à ces critiques en faisant valoir son bilan. Saufque dans le cas du Mavi Marmara, il est loin d’être irréprochable. Ce à quoi lePremier ministre a rétorqué que la flottille posait un problème particulier etque même le contrôleur d’Etat s’est dit peu convaincu d’une issue différente encas de meilleure préparation. En clair, Netanyahou ne fait pas grand cas duprotocole. Or, ce dernier est vital. Une bonne procédure ne garantit certes pasle succès, mais elle limite les probabilités d’un échec. Ce qui n’a pas été respecté en ce jour de mai 2010.
Le rapport de mercredi est à restituer dans son contexte. Celui d’un grand nombre de commissions et de rapports enquêtant sur desévénements passés. Ce qui rend la lecture de celui-ci d’autant plus frustrante,car il fait de nombreuses fois écho aux conclusions de la Commission deWinograd en 2008 qui avait critiqué l’organisation en amont et durant laseconde guerre du Liban en 2006, puis du rapport Lipkin-Shahak, quirecommandait essentiellement de renforcer le Conseil national de sécurité, cequi a été fait, légalement du moins, en 2008.
Ne pas renouveler les erreurs du passé

Dire que rien n’achangé serait injuste. Ce n’est pas le cas. Le Conseil est malgré tout bienplus actif qu’au moment de la guerre du Liban, ou encore lorsque Netanyahou etson conseiller à la politique étrangère de l’époque, Ouzi Arad, en proposentl’idée, en 1999. Arad, qui a été renvoyé de ses fonctions de directeur duConseil en 2011, a tenté de se mesurer à l’attaché militaire du Premierministre durant ses deux années de mandat.

Le Contrôleur d’Etat lui donne raison, affirmant sans équivoque que c’est leConseil national à la sécurité qui doit coordonner, préparer et assister auxréunions principales sur les questions de sécurité. Les choses se sont passéesautrement depuis des années, et on peut comprendre que l’armée n’ait pas envied’abandonner ses prérogatives. Mais Lindenstrauss de conclure que le changements’avère nécessaire et doit, le cas échéant, être mené de force par le Premierministre. Autrement, le drame du Mavi Marmara restera “une métaphore” del’organisation au sommet de l’Etat. Et pas des plus flatteuses.