L’olive, une huile juteuse ?

A l’occasion de Hanouka, zoom sur la bataille des petits producteurs d’huile d’olive contre les importations à bas prix.

Olive orchad 521 (photo credit: Ariel Zilber)
Olive orchad 521
(photo credit: Ariel Zilber)

Ilan Gour est en homme en croisade. Editeur du populaire magazine de cuisine AlHashoulhan (Sur la table), il évoque avec passion le sort des petits et moyensproducteurs d’huile d’olive en Israël.
Ancien journaliste et correspondant pour la radio militaire, il reçoit dans sonbureau d’un paisible quartier du nord de Tel-Aviv. Son message auxconsommateurs qui cherchent à acheter l’huile la moins chère dans les chaînesde supermarchés est simple : sans y mettre le prix, pas de qualité. «L’huileest l’un des produits les plus contrefaits au monde», explique Gour. « Lemarché est inondé au niveau mondial par la mauvaise qualité, et la plupart dutemps, ce que les gens achètent n’est pas vraiment de l’huile d’olive ».
Le spécialiste ne mâche pas ses mots. Il accuse les grands producteurs detromper les consommateurs en prétendant que les produits alignés dans lessupermarchés sont de facture locale, alors que, dans sa majorité, la matièrepremière est importée de l’étranger. Acheter une bouteille d’huile «israélienne » revient donc à acquérir une contrefaçon dont la mise en bouteilleet l’acheminement n’ont été supervisés en aucune façon.
« Lorsque les Américains font leurs courses et trouvent de ‘l’huile d’oliveitalienne’, le produit qu’ils achètent n’est pas fabriqué en Italie »,continue-t-il. « Le même phénomène a lieu ici, avec cette supposée huile israélienne.
L’envahissement du marché par des huiles qui sont de pauvre qualité, voireconstituent une parfaite duperie en l’absence totale d’une supervision, mène àune double situation : d’un côté, les prix de l’huile d’olive baissent, du faitde la compétition, et de l’autre la demande augmente. Du coup, les petitsproducteurs sont coincés et sont obligés de détruire leurs vergers. Parfois,ils sont même obligés de vendre leur huile à un prix inférieur aux coûts deproduction ».
Contrefaçon et falsification
Selon les enquêtes menées par les ministères del’Agriculture et de la Santé, la moitié de l’huile d’olive consommée par lesIsraéliens est contrefaite, et le reste est de moindre de qualité, attendu queses composants perdent de leur valeur en étant acheminés sur de longuesdistances maritimes par hautes températures.
Pour Gour, la falsification de l’huile d’olive, considérée comme un problèmemondial, a également atteint l’Etat hébreu, touchant les petits et moyensproducteurs de plein fouet. Ce qui l’a poussé à fonder l’Association de l’huiled’olive, un consortium de 20 agriculteurs indépendants, qui n’ont pas lesmoyens financiers de défendre leurs produits auprès d’un grand public avide debas prix.
« Le plus grand problème des petits producteurs, c’est le marketing »,pointe-t-il. « Les grandes chaînes alimentaires ne vendent pas d’huile dequalité parce qu’elles peuvent importer une marchandise moins chère et lavendre à profit ».
Le journaliste souhaite que sa nouvelle organisation serve de pont entre lespetits producteurs et le consommateur. « La plupart des petits producteurs nefont pas parvenir leurs produits jusqu’aux étagères des supermarchés »,déploret- il. « Le producteur moyen qui fait pousser ses oliviers en Galiléedispose d’un super produit, mais personne n’en entend parler. C’est très dur degagner de l’argent dans cette industrie. Je ne comprends pas pourquoi lesmédias n’en parlent pas ; l’agriculture n’intéresse plus personne aujourd’hui.Les producteurs d’huile d’olive ont les mêmes problèmes que tous lesagriculteurs : ils luttent pour joindre les deux bouts et ils sont désespérés».
« Si je ne finis pas l’année dans le rouge, je suis content » 
Shimon Pazconfirme les propos de Gour. Ses grandsparents, des pionniers survivants de laShoah, sont arrivés de Hongrie pour fonder le moshav de Kfar Shmouel. Pazfabrique de l’huile d’olive depuis 12 ans, après 30 ans de bons et loyauxservices dans la police des frontières.
« Une fois à la retraite, je cherchais une activité et je me suis donc lancédans la production d’huile d’olive », explique-t-il. « Mon premier objectifétait de préserver le terrain que je possédais dans le moshav, et il fallaitque j’investisse dans la propriété. J’ai donc décidé de planter une oliveraie.Nous n’avions pas prévu de fabriquer de l’huile, mais c’est lentement devenuune entreprise de taille moyenne. Nous nous sommes pris au jeu et avons investibeaucoup d’argent dans les équipements nécessaires », continue Paz.
« Cela nous a demandé des centaines de milliers de shekels, et je n’amortiraijamais l’investissement. Je vais vous dire : je me contente de couvrir lesfrais annuels. Chaque année, les frais de production reviennent à 200 000,voire 250 000 shekels ».
Selon Gour, l’histoire de Paz est typiquement celle de l’agriculteur israélienmoyen qui ne peut tout simplement pas concurrencer les prix de la marchandiseimportée de l’étranger. « En dehors de l’investissement initial, il y a desdépenses inévitables », continue Paz. « Je me considère chanceux de pouvoirpayer les factures d’eau. Si je ne finis pas l’année dans le rouge, je suiscontent. Les coûts de production sont très élevés. L’eau est chère, le travailaussi, tout. Cela me coûte entre 16 et 20 shekels de produire un litre d’huile,avant même la mise en bouteille et la taxe sur la valeur ajoutée. Comparez celaaux 20 shekels que coûte une huile importée au supermarché », lance-t-il.
« Si je vends mon huile à moins de 35 à 30 shekels, je perds de l’argent.Maintenant, lorsque le consommateur moyen va au supermarché et voit labouteille à 20, ou 25 shekels, il se dit : ‘Shimon est fou ? Qu’est-ce qu’il meveut ? Pourquoi devrais-je payer 40 shekels pour une bouteille d’huile, quandje peux en avoir une pour bien moins cher ?’ C’est notre problème »,conclut-il.
Les producteurs se voient donc obligés de vendre leurs huiles de haute qualitéaux grandes chaînes telles que Yad Mordechaï ou Zeta, qui procèdent ensuite àun mélange. Un procédé qui, selon Gour, compromet l’intégrité et la qualité duproduit original. « Je ne fabriquerai jamais une huile contrefaite ou demauvaise qualité », jure Paz. « Je préfère mettre la clef sous la porte que deme résoudre à ce que font 80 % des producteurs ».
Concurrence étrangère 
Parmi les cibles privilégiées de Gour : Zeta, une pressed’olive établie en Galilée, filiale de la compagnie de thé Wissotzy. Zeta asaisi la Cour suprême, en vain, afin que l’Etat augmente les quotas autorisésd’huile importée dans le produit final, en raison de la pénurie d’huile d’olivelocale Et d’avancer que le manque de matières premières et les mesuresprotectionnistes du gouvernement font que le consommateur israélien payedavantage sa bouteille d’huile que ses homologues des autres pays avancés.
Pressé de répondre aux accusations de Gour, Bentsi Elisha, directeur de Zeta,se déclare outré. Et accuse le puissant lobby agricole et le protectionnismegouvernemental du coût élevé de la mise en bouteille en Israël, ce qui forceZeta à avoir recours aux matières premières venues de l’étranger.
« Gour ne fait que colporter de fausses informations », dit-il depuis sesbureaux en Galilée. « Il se contente de répéter les allégations du ministère del’Agriculture. Le ministère a présenté sa propre version dans la pétition quenous avons déposée à la Cour, mais personne n’en a vérifié la véracité, et lemagistrat ne l’a pas validée ».
Elisha a envisagé de poursuivre Gour pour diffamation, car un droit de réponsedans les colonnes d’Al Hashoulhan ne lui a pas été offert. Il repoussefermement les accusations qui le considèrent notamment responsable del’appauvrissement de l’agriculture israélienne. Même s’il reconnaît que Zetaimporte bien des composants de l’étranger pour sa production d’huile d’olive.
« Zeta fabrique l’une des meilleures huiles d’olive en Israël depuis 20 ans »,note-t-il. « Nous nous battons depuis longtemps contre l’industrie agricolelocale car, à nos yeux, les producteurs manipulent les prix et imposent leurstarifs au marché, en exploitant les consommateurs. Notre situation estdifficile : les chaînes de supermarchés importent des bouteilles d’huile à basprix, et nous avons du mal à suivre.
C’est pourquoi nous avons saisi la Cour suprême : l’industrie agricole refusede baisser ses prix. Je suis le deuxième plus grand acheteur d’huile du pays »,rappelle le dirigeant, dont la société se trouve juste derrière Yad Mordechaï.
« Nous achetons l’huile de nombreux producteurs, ici en Israël. Mettons quenous les mélangions. Pourquoi est-ce important ? Que suis-je censé faire ?Donner un rapport détaillé de lieux de provenance de mes huiles ? Cela n’a pasde sens. Je ne veux pas tomber dans ce piège de ‘l’huile d’olive israélienne’», poursuit-il.
« Tout ce que je dirai ne satisfera pas ceux qui s’empressent d’écouter Ilan Gour.Ce sont les chaînes alimentaires qui importent l’huile étrangère. Il y abeaucoup de marques, et cela nous force à baisser les prix pour que nouspuissions survivre. En conséquence, nous perdons de l’argent. Je ne voisvraiment pas de quoi il parle », lance Elisha. Avant de conclure : « En tantque grande entreprise, nous avons bien d’autres soucis que les petits et moyensproducteurs. On ne joue pas dans la même cour, vous savez ».