Prophète, mode d’emploi

Tel-Aviv, ville laïque par excellence ? Et pourtant… Au coeur du quartier Florentine, un cours propose d’apprendre à devenir prophète en quatre séances.

0901JFR22 521 (photo credit: Sam Sokol)
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(photo credit: Sam Sokol)
« Dites à voslecteurs que nous croyons au messianisme du Rabbi », lance le Hassid. « Sinon,votre article ne servira à rien ». Grand et mince, une épaisse barbe noires’étale sur son costume noir épinglé du petit drapeau jaune qui signifie sonallégeance au courant messianique du mouvement Habad. Il répond aux questionstout en finissant d’ôter ses tefilines. « Oui », explique-t-il, « c’est ici quese tiendra le premier cours de l’Ecole des Prophètes, plus tard dans la soirée». Il tend une petite brochure ornée d’une photo de feu le Rabbi de Loubavitch,Menahem Mendel Schneerson. Le dépliant annonce la couleur : « Que notre Maître,professeur et rabbin, le Roi messianique, vive éternellement ». Telle est doncla devise du mouvement Habad messianique, « meshihiste » en hébreu. En dépit decertains articles, Shmouel Portman Hapartzi n’est pas un rabbin. Petit, visageblafard, barbe fournie et couvre-chef russe sur la tête, Hapartzi est lefondateur de cette nouvelle école, qu’il a dédiée à « Caïn et Abel ». Soncours, divisé en quatre séances, couvrira les bases nécessaires, selon lui,pour être digne de l’idéologie religieuse. Pour 200 shekels, les participantsapprendront à déduire le caractère d’une personne à partir de son apparencephysique, à interpréter les rêves et à comprendre les fondements de laprophétie et de l’inspiration divine. Le derniers cours, promet la brochure,enseignera aux participants à se connecter aux anges et communiquer avec eux.Une formation qui diffère assez largement des études de Kabbale habituellementenseignées aux hassidim. Entrer dans n’importe quelle yeshiva, même celles oùl’on croit au messianisme du Rebbe, et demander à se voir enseigner laprophétie, c’est prendre le risque de provoquer l’hilarité générale.
Lire lesémotions profondes
 Le début du cours approche, et une curieuse assemblée passele pas de la porte. Deux des participants portent la longue barbe et les kippotnoires qui trahissent leur appartenance au hassidisme Habad. Le reste a desallures plus excentriques, certains vivent visiblement dans la rue. 15personnes en tout, dont la plupart sont des journalistes en quête dereportages. Les uns et les autres se réunissent autour d’une table dans uncoin, le « rabbin » en tête et la presse à l’arrière, carnets de notes en main.Une équipe de télévision installe sa caméra, d’autres sortent leursenregistreurs. Hapartzi se met à parler, tout en distribuant des feuillesdactylographiées avec le contenu du cours. Toutes portent l’entête de son «école », un oeil surmonté d’une couronne. Il pleut à torrent à l’extérieur.Hapartzi s’arrête souvent, comme intimidé par le public, mais prend confiancepetit à petit. On peut comprendre, dit-il, tout ce que les autres ressentent enobservant simplement leurs visages. Comment est-ce possible ?, objecte unparticipant. Et de répondre calmement que, tout comme il est possible en regardantune pomme d’en déduire son goût d’après la couleur de sa peau, il est possibled’apprendre à déchiffrer les signes pour lire les plus profondes émotions desgens sur leurs visages. Même chose, souligne-t-il, « par le son de la voix ». «Même aujourd’hui, à ce moment précis, la prophétie peut être révélée à tous.Selon les paroles du Rabbi, le monde est prêt et nous n’avons plus qu’à ouvrirles yeux », note Hapartzi. « Etudier la sagesse des expressions faciales peutnous enseigner cela ». Pourquoi appeler le cours « Caïn et Abel » ? demande unautre participant. « Tout d’abord, pour inciter les gens à poser cette questionet bénéficier de cette opportunité pour révéler l’histoire des deux frères »,répond l’homme qui se lance dans une explication kabbalistique des plusdécousues sur la réincarnation et d’autres concepts ésotériques. 
Divineinspiration
 Le cours prend fin. Hapartzi accepte de répondre à quelquesquestions sur la genèse du projet. La lourde averse n’est plus qu’un filet depluie, la rue s’anime de nouveau et l’on peut apercevoir une foule entrer etressortir des cafés à la mode du trottoir d’en face. Florentine avec sa classedéfavorisée et sa bohème semble être bien mal choisie pour prophétiser, maisHapartzi n’est pas de cet avis. L’homme n’a pas reçu l’ordination rabbinique etn’étudie pas non plus les textes sacrés à plein temps. La journée, dit-il, iltravaille pour une entreprise de Tel-Aviv et le soir, il fait partager savision. « Je suis un simple Juif qui étudie la Torah, observe les commandementset essaye d’encourager les autres à faire de même », affirme-t-il en guised’explication. Originaire de Russie, il se dit religieux depuis 20 ans : « Ceque j’enseigne ici m’intéresse énormément à titre personnel et il est difficilede trouver des rabbins qui vous professent un tel enseignement ». Lesparticipants qui iront jusqu’au bout du cours et recevront des certificats,seront-ils pour autant considérés comme des prophètes ? Hapartzi reprend : « Ondevient prophète si on reçoit le don d’En-Haut, mais tous les Juifs sont desprophètes en puissance à condition de faire un travail sur soi. Si lesparticipants du cours observent la Torah et travaillent sur eux-mêmes, alorsles outils qu’ils recevront ici pourront les aider à atteindre le niveau de laDivine inspiration ». Yigal se présente comme le codirecteur de cette maisonHabad. Le jeune homme n’est pas non plus rabbin, ce qui rend très improbableune reconnaissance officielle de la part de la grande institution. Il estégalement messianiste, c’est-à-dire qu’il appartient au courant de pensée quiveut que le dernier rabbin du mouvement Habad Loubavitch, Menahem MendelSchneerson, était le Messie et qu’il va revenir sur terre pour initier l’âgemessianique comme il est décrit par les prophètes bibliques. 
Ils ne sont pasfous
Selon le professeur Yoram Bilou, en dépit de certains cas extrêmes commecelui-là, le courant Habad a en général les deux pieds sur terre. Chercheur etexpert en la matière, Bilou enseigne au département de Sociologie etAnthropologie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il explique : le courantcherche à répandre le savoir de la Kabbale et de la tradition mystique, maisrejette l’idée que ces étudiants en ésotérisme puissent devenir des prophètespar eux-mêmes. Le mouvement Loubavitch dirige des milliers de missions dans lemonde, destinées à renforcer l’identité juive et à rapprocher les laïcs durespect des mitsvot, y compris de la tradition kabbalistique. Plaisanterie derigueur dans les cercles religieux : « Là où on trouve du Coca, on trouve lemouvement Habad ». Bilou rappelle néanmoins que les cas marginaux tels quecelui d’Hapartzi ne sont pas représentatifs du mouvement. Une chose est sûre,le cours d’Hapartzi suscite un certain scepticisme, même parmi les Loubavitch.« Devenir prophète ? » ironise cette femme. « Oui, bien sûr, je m’inscris desuite ! ». Tout comme la plupart des Juifs dati-leoumi(religieux-nationalistes) ne s’engagent pas dans le mouvement du Prix à payerou dans des heurts avec les Arabes, quasiment aucun Habadnik n’ajoute foi àl’enseignement de marginaux tels que Hapartzi, affirme un autre. Alors laquestion se pose : pourquoi tant d’attention médiatique ? Shahar Ilan,vice-président de la recherche et de l’information pour l’association Hiddoush,a longtemps travaillé comme correspondant religieux. Selon lui, « par certainsaspects, le journalisme est destiné à divertir. L’importance est un critère dechoix, et le divertissement en est un autre. Les histoires bizarres relèvent dela seconde catégorie ». Des propos approuvés par le professeur Bilou. Mais ilrappelle que les manifestations extrêmes du type de ces écoles de prophétiedemeurent marginales et ne doivent pas être prises pour un phénomène courant.Si la croyance dans le Rabbi en tant que messie paraît certainement étrange àbeaucoup de laïcs, et même aux orthodoxes israéliens, Bilou se veut rassurant :« La plupart des meshichistim de ma connaissance ne sont pas fous ».