Talents en exil

Pour contacter les lauréats israéliens du prix Nobel, il faudra sans doute à l’avenir composer des numéros aux Etats-Unis.

P9 JFR 370 (photo credit: Lucy Nicholson Reuters)
P9 JFR 370
(photo credit: Lucy Nicholson Reuters)

Le débat public,déjà houleux, sur la façon de considérer les Israéliens qui vont vivre àl’étranger s’est intensifié la semaine dernière après le commentaire de Yaïr Lapidsur ces habitants de Terre promise qui vivent et travaillent en Allemagne. Aquoi sont venus s’ajouter les mots très durs d’Ouzi Dayan, président de laloterie nationale Mifal Hapaïs, qui a déclaré : « Les Israéliens qui vont vivreen Allemagne me dégoûtent ».

Yael Dayan, conseillère municipale de Tel-Aviv et cousine d’Ouzi, estime quantà elle qu’il ne faut pas critiquer les Israéliens qui quittent le pays, et quevivre à l’étranger ne constitue pas une trahison par rapport au sionisme.
Cette question était déjà au cœur du débat à l’époque où Itzhak Rabin étaitPremier ministre. On a même entendu celui-ci traiter ceux qui ont choisi devivre hors des frontières d’Israël de « mauviettes ».
Certains sont d’accord avec Rabin, alors que d’autres sont simplement jaloux etse joindraient volontiers à eux s’ils le pouvaient.
Cependant, un troisième groupe est totalement indifférent au discours publicsur cette question.
Une étude réalisée par le centre Taub d’études en politique sociale en Israëldresse un tableau extrêmement sombre de l’enseignement supérieur dans le pays.
« L’Etat d’Israël investit actuellement 26 000 shekels pour chaque étudiant,contre 82 000 shekels dans les années 1970. En quarante ans, le montant payépar Israël par étudiant a été divisé par plus que 3. » « Ces dernières années,le phénomène de “fuite des cerveaux” a pris une ampleur phénoménale, et lasituation en Israël est aujourd’hui pire que dans n’importe quel autre paysoccidental. Les universités israéliennes se désintéressent systématiquement dela recherche », indique le rapport.
Un économiste sur 7

L’étude affirme qu’en 1973 on comptait 131 cadresuniversitaires pour 100 000 habitants au sein de la population du pays. Un tauxqui a fléchi en 2011 pour passer à 62 cadres universitaires pour 100 000habitants, « soit 53 % de moins, même si le nombre d’étudiants inscrits dansles établissements d’enseignement supérieur (y compris les collèges privés) aaugmenté de 428 %. » Un certain nombre d’universités israéliennes ont en effetformé des centres d’excellence et embauché des chercheurs israéliens etétrangers de premier plan. D’importantes sommes d’argent ont été consacrées aufinancement de ces programmes.

La question demeure, cependant, de savoir pourquoi existe-t-il seulement unpetit nombre de tels centres et pourquoi toutes les universités israéliennes nesuivent-elles pas ce principe ? En outre, les salaires des maîtres deconférences ont diminué de façon drastique. De plus en plus de chercheurs sontclassés comme professeurs débutants et ne sont donc pas éligibles pourd’importantes subventions de recherche. Conséquence : de nombreux chercheursabandonnent les universités pour des emplois dans le secteur privé ou dans descentres de recherche étrangers qui offrent des salaires nettement plusattractifs.
L’étude du centre Taub révèle également que le tiers des chercheurs de niveauuniversitaire israéliens est employé par des institutions américaines, unnombre en progression constante.
Et le professeur Dan Ben David, via l’étude Taub poursuit : « Dans lesuniversités américaines, au regard des postes menant à la titularisation, dansles dix premiers départements d’économie, un économiste sur sept est israélien.C’est une perte énorme pour Israël. Aussi cela vaut-il la peine d’encouragerles Israéliens à l’étranger à revenir au pays par des mesures incitatives. » Unarticle cite notamment le Bureau central des statistiques : « En 2011, 14 % descitoyens israéliens dotés d’un doctorat scientifique ou d’un diplôme d’ingénieurvivent à l’étranger pendant une longue période, et n’ont pas l’intention deretourner en Israël. Entre 1985 et 2005, seulement 10,5 % des Israéliens quiont obtenu un doctorat vivent à l’étranger et n’ont pas l’intention deretourner en Israël. »

Un monde universitaire inadapté

Une autre enquêteréalisée par le ministère de la Stratégie économique et le Bureau central desstatistiques montre que près de 6 000 scientifiques israéliens qui vivent àl’étranger n’ont pas l’intention de revenir vivre en Israël.

Mais pour autant, le nombre de « cerveaux » qui quittent Israël diminuelentement mais sûrement. Cependant, ceux qui partent maintenant ne reviendronttrès probablement jamais.
Les institutions universitaires et de recherche aux Etats-Unis offrent aux chercheursisraéliens davantage de postes menant à la titularisation, des budgets plusimportants, de meilleures opportunités quant à la qualité des programmes derecherche, des salaires plus élevés et des avantages plus nombreux. Il n’estdonc pas étonnant que les cerveaux juifs continuent à inventer des brevets etgagner des prix Nobel, en Amérique et non en Israël.
Le problème principal réside dans le fait que le monde universitaire israélienne s’est pas adapté à l’époque contemporaine. Nous n’avons pas accordésuffisamment d’importance au maintien des scientifiques à domicile. Lesméthodes d’enseignement dans les universités israéliennes demeurent archaïques,alors que le reste du monde s’est modernisé et est plus accessible à des coûtstrès bas « même pour ceux qui vivent dans la jungle en Afrique.
En revanche, ici, en Israël, le monde académique s’est changé en entreprise. Sil’on peut payer, on peut obtenir un diplôme. Sinon, cela devient impossible. Etcela coûte très cher », en particulier dans les collèges privés, là où laplupart des Israéliens finissent par étudier, car les universités ne peuventaccepter qu’un petit nombre de candidats.
Les universités anciennes reçoivent un énorme budget de l’Etat et offrent desprogrammes d’études limités, avec des cours enseignés par des professeurs qui,dans bien des cas, ne sont plus de toute première jeunesse.
Les instituts privés (en particulier technologiques) offrent, pour leur part,une variété de filières d’étude et de recherche. Cependant, comme ils nereçoivent pas de subventions gouvernementales comme les universités, ilsexigent des frais d’inscription extrêmement élevés et ne donnent guèred’opportunités de recherche.
Le triste résultat est que beaucoup d’Israéliens de valeur vivent et travaillentà l’étranger. Il y a fort à parier qu’à l’avenir, pour contacter les Israélienslauréats du prix Nobel, il faudra encore appeler des numéros de téléphone auxEtats-Unis.
L’auteur est un ancien brigadier-général qui a servi comme chef de division auShin Beth (l’Agence israélienne de sécurité).