« Tsahal sait très bien s’occuper de ses soldats »

Rencontre avec Gil Taïeb, personnalité emblématique de la communauté juive française. L’occasion de revenir sur l’aide aux soldats, aux civils et le sort des Juifs de France

Distribution de nourriture en faveur des soldat (photo credit: DR)
Distribution de nourriture en faveur des soldat
(photo credit: DR)
Agnès Lichten
C’est en 1990, pendant la guerre du Golfe, que l’ABSI (Association pour le bien-être du soldat israélien) voit le jour, sous la houlette de Gil Taïeb. A l’époque, ce chirurgien-dentiste de profession et dévoué depuis toujours à Israël dirige déjà l’ASI (Association de soutien à Israël) forte d’un réseau de bénévoles dans plusieurs villes d’Israël qui a su attirer l’attention des autorités israéliennes. Le général Dotan contacte alors le siège de la structure, et propose d’étoffer leurs actions en prenant également en charge le bien-être du soldat israélien.
L’association accepte de relever le défi, mais à condition de se voir confier un projet sur le mode de ce que font les Américains, et non pas une simple collecte de fonds. L’idée sera vite trouvée : la construction d’un Beit Hahayal à Kyriat Shmona. « Il n’y a avait pas de Maison du soldat pour les militaires qui revenaient du front Nord, et dormaient alors dans les gares routières, ou là où ils pouvaient », rapporte Taïeb. Quelques mois après la signature du projet, un établissement hôtelier désaffecté de Kyriat Shmona sera alors racheté pour 1,7 million de dollars et entièrement retapé. L’aventure ABSI était lancée.
En 2000, l’ABSI fusionnera avec le Keren Or, créé quelque 3 décennies et plusieurs conflits plus tôt par Henri Boret, pendant la guerre des Six Jours, pour devenir, alors, la première association française à soutenir les soldats d’Israël. « Nous avions les mêmes objectifs, la même manière de fonctionner, les mêmes exigences et les mêmes relations avec les autorités israéliennes », explique Gil Taïeb, « et les présidents du Keren Or ont eu l’intelligence de vouloir passer le relais à une relève plus jeune ».
Un hôtel 3 étoiles
Inaugurée en 1993, la Maison de Kyriat Shmona compte aujourd’hui 90 chambres, accueille 400 soldats, distribue 2 000 repas par jour et héberge parfois le QG de campagne de Tsahal en temps de conflit dans le Nord du pays. « Il s’agit vraiment d’un hôtel 3 étoiles, voire plus », s’enthousiasme Taïeb, « il permet non seulement aux soldats de pouvoir décompresser, mais dessert aussi les habitants de la ville, avec sa bibliothèque, sa piscine couverte ou sa synagogue. »
A l’instar de toutes les Maisons du soldat du pays, adossées à une communauté de dons, l’ABSI-Keren Or est propriétaire du bâtiment avec le ministère de la Défense et l’Association pour le bien du soldat (Agouda Lemaan Hahayal). En 20 ans, près de 10 millions de dollars ont été investis pour la remise en état du lieu et l’association continue d’assumer l’entretien du bâtiment (ascenseurs, télévisions, etc.) à hauteur de 250 000 dollars annuels. Les repas sont quant à eux financés par le ministère de la Défense et l’Association pour le bien du soldat.
Depuis, la collaboration entre l’ABSI-Keren Or et Tsahal s’est intensifiée. De nombreuses autres demandes sont régulièrement adressées par l’armée pour améliorer le confort de ses bases : créations de clubs de repos, synagogues, salles de réunion. Mais aussi vacances offertes, financements de voyages pour permettre aux soldats français isolés de rentrer voir leurs proches, ou au contraire, faire venir leurs familles, bourses d’études à la fin de l’armée selon une liste de noms soumise par le ministère de la Défense. Et depuis cette année, l’ABSI-Keren Or assure également l’amélioration et l’entretien de la Maison du soldat d’Eilat.
Pas besoin de demander
Alors, si depuis des décennies, la philanthropie à l’américaine a bel et bien fait ses preuves, la communauté française semble lui avoir emboîté le pas. Car, si tout cela est possible, note Taïeb, c’est grâce à la générosité des Juifs de France. Certes, « les Américains sont plus nombreux et ont plus de moyens, mais la communauté française fait preuve d’une véritable sincérité et d’un solide engagement », poursuit le président de l’ABSI-Keren Or. Seul hic, sa difficulté à se fédérer. « Elle donne autant que les Américains, mais d’une manière moins organisée, ce qui fait que c’est moins visible quant à son efficacité. C’est d’ailleurs caractéristique de la culture française que de s’éparpiller dans plusieurs directions. Etre Juifs, français et en grande partie séfarade, c’est sans doute aussi plus compliqué à gérer », plaisante Gil Taïeb.
Brouillons, bruyants, mais aussi présents, les Juifs de l’Hexagone, qui une fois de plus n’ont pas caché leur solidarité envers l’Etat juif lors du récent conflit. « On a pu le constater, ce sont eux qui se déplacent, ils n’ont pas peur de venir », poursuit Taïeb. « La communauté française vibre avec ses tripes, et montre par son action son attachement à Israël. Elle est d’ailleurs reconnue comme exemplaire par les autorités israéliennes. »
En temps de guerre, les « dons affluent, pas besoin de demander », explique le président de l’association, « chaque jour, des gens arrivent avec des chèques ». Au total, ce sont près de 300 000 dollars qui ont été collectés au cours de l’opération Bordure protectrice.
Les sept semaines de conflit avec Gaza de l’été dernier ont donné lieu à moult initiatives caritatives et autres actions d’entraide à l’égard des soldats de Tsahal. Si la majorité a réellement contribué au confort des militaires, le bien-fondé de certaines restait à prouver. A tel point que certains commandants de base ont dû rappeler les donateurs à l’ordre pour demander de mettre un frein à ces élans de solidarité. « Ce n’est pas nous qui décidions des biens à collecter », se défend Taïeb, « nous répondions aux demandes directes des commandants des unités. » D’où la distribution d’accessoires auxquels l’association n’aurait jamais pensé : douches mobiles, générateurs pour recharger les téléphones portables, murs entiers de chargeurs de toutes les marques possibles et imaginables, rallonges électriques, etc. « Nous étions en contact quotidien avec les unités. Nous recevions leurs demandes le soir, le matin nous allions acheter, et l’après-midi, c’était livré. »
La cerise sur le gâteau
Fort de plus de 20 ans de vie associative, Gil Taïeb connaît la valeur du don. Mais se refuse à tout misérabilisme. Si on lui demande pourquoi une organisation française se doit d’être présente sur le front de l’entraide en Israël, il fait la part des choses. « Tsahal s’occupe très bien de ces soldats », appuie-t-il, « elle donne tout ce qu’elle doit donner en tant qu‘armée, mais cette armée est l’armée d’un peuple, ses soldats sont nos enfants. On peut se passer d’un générateur, ou d’un téléphone mobile comme cela a été le cas pendant des années, mais quand un jeune ressort de Gaza et reçoit une lingette ou un tee-shirt propre, il se sent aimé. Nous lui apportons un peu de confort, mais encore une fois, ce n’est pas indispensable pour faire la guerre. Israël fait ce qu’il a à faire pour les choses essentielles. L’armée n’attend personne pour s’armer ou s’entraîner. Nous, nous sommes la cerise sur le gâteau. »
Quant aux critiques qui lui ont été adressées pour son omniprésence médiatique pendant le conflit, Gil Taïeb les balaye d’un revers de main : « On ne critique que ceux qui font, donc je vais continuer à être critiqué. Je vais régler un certain nombre de problèmes, mais je ne peux pas les régler tous et j’invite les autres à prendre le relais et se mettre au travail, pour être critiqués aussi ».
« L’essentiel, c’est ce qu’on fait, pas ce qu’on dit », note celui qui se targue, avec ses équipes, d’avoir été le premier sur le terrain. « Le constat ne vient pas de moi, mais il a été fait par les officiers, par la population. Dans les premiers temps les plus chauds, nous étions les seuls, ensuite d’autres s’y sont mis. Et tant mieux. »
L’antisémitisme nouveau
Aucun regret parlementaire pour le candidat malheureux des premières élections à la députation de la 8e circonscription des Français de l’étranger. Gil Taïeb est de ceux qui regardent de l’avant. Il a essuyé les plâtres, explique-t-il. De quoi tirer des conclusions pour lui et ceux qui lui ont succédé dans la course, comme Meyer Habib, le député actuel, avec qui il a partagé son expérience. Pour l’heure, il n’a aucune idée de savoir s’il se représentera ou pas, « ce n’est pas d’actualité », dit-il. Quant à ses relations avec Meyer Habib, « elles sont très bonnes », pointe Taïeb, « nous nous connaissons depuis très longtemps, je lui ai fait part des erreurs que j’ai commises, j’espère que cela l’a aidé. » « Quand on occupe ces postes-là, il ne faut pas changer, rester le même et ne pas oublier ceux qui vous ont fait roi », se contentera-t-il de préciser.
Son franc-parler ne plaît pas à tout le monde. On lui a parfois reproché son « langage grossier ». Mais Taïeb fait fi de ses détracteurs et se compare à ces généraux israéliens, qui se lancent dans l’arène avec fougue et panache. Il n’a pas peur de dénoncer cette France « qui est en danger ». Et de pointer une accélération dans la libération de la parole qui conduit à la libération des actes. « On n’aurait jamais imaginé entendre crier “mort aux Juifs” dans les rues de Paris », déplore-t-il. Il condamne Dieudonné et l’intégrisme d’une certaine extrême-gauche et Soral qui distille l’antisémitisme traditionnel de l’extrême-droite. « Ils ont trouvé comme seul point de convergence, à travers leur antisionisme, de faire un antisémitisme nouveau. Et c’est devenu toléré. »
De fait, les manifestations se multiplient et la population juive de France se sent de côté, montrée du doigt, insultée dans sa citoyenneté, déclare-t-il. « On est en train de remettre en cause les valeurs de la France dans laquelle nous avons grandi, et qu’on ne peut que remercier. Mais aujourd’hui, la République française est en danger. »
Des centaines de Mohammed Merah
Conséquence : « Les Juifs de France regardent leur maison, Israël, avec amour. Ceux qui ne pensaient pas à partir commencent à y penser, et ceux qui y pensaient accélèrent le processus », affirme-t-il.
Oui, les pouvoirs publics sont très sensibilisés, estime le président de l’ABSI-Keren Or, « ils font ce qu’ils peuvent, mais ils ne peuvent mettre un policier derrière chaque Juif. Il y a des centaines de Mohammed Merah en circulation, il y a aussi ceux qui ne vont pas tuer, mais frapper, ou proférer des paroles antisémites. Ceux-là sont nombreux, et contre eux, on ne peut malheureusement rien faire. Les pouvoirs publics sont conscients de la situation, mais n’ont pas la solution. Ils sont désarmés, et c’est cela qui est inquiétant, car nous ne sommes pas sûrs de pouvoir faire marche arrière. »
« L’aliya doit être choisie », poursuit-il, « c’est d’ailleurs un excellent choix qu’on doit soutenir et encourager, mais on ne doit pas fuir la France, on doit partir la tête sereine et préparer son installation en Israël pour qu’elle soit réussie. »
A titre personnel, l’aliya est à l’ordre du jour pour Gil Taïeb. « Cela fait partie de ce à quoi je pense pour moi ou mes enfants, d’un programme établi. C’est la voie logique, un aboutissement, mais là encore, il ne s’agit pas de se sauver de cette France, dont je continuerai d’aimer la culture, ce qu’elle a été en tout cas, et à combattre et détester ce qu’elle est en train de devenir. » 
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