Un sheikh ami

La tribu du sheikh de Rahma prévoit de déménager dans la nouvelle commune d’Ariha, voisine de Yeroham, qui devrait sortir de terre d’ici 2 à 4 ans.

P14 JFR 370 (photo credit: Yohav OREMIATZKI)
P14 JFR 370
(photo credit: Yohav OREMIATZKI)

Vous êtes assis en tailleur sur des tapis de prière, à moitié adossé surquelques coussins rectangulaires. A vos pieds, une théière et une cafetièrerongée par les cendres chauffent lentement sur un foyer cerclé dans le sol. Latente spacieuse, à l’intérieur de laquelle le sheikh Ode Zanoun reçoit, laissepasser une lumière aveuglante dans son dos. Chaque fois que vous finirez unegorgée de café au goût acidulé et concentré, il vous resservira.
Pour arriver au village de Rahma, il aura fallu traverser la ville juive deYeroham et continuer pendant 2 ou 3 kilomètres au nord-est jusqu’à une zoneindustrielle en plein désert rocailleux, où la sortie de route pourrait êtrefatale à un conducteur inexpérimenté. Entre deux baraquements, des amas de tôlefroissée et des arrivées d’eau pas beaucoup plus épaisses que des filsélectriques, Ami Tesler doit demander son chemin pour retrouver l’emplacementdu sheikh qu’il côtoie depuis un an.
Le responsable du développement local des Bédouins du Néguev claque la bise àson khouya (ami) avec lequel il s’exprime en arabe. Ce dernier commence par seprésenter selon l’usage. « Je suis le sheikh de Rahma qui compte 300 familleset environ 1 200 personnes. Le village appartient à la très grande tribu Azazmequi s’étendait dans l’ancien temps de Mitzpe Ramon à Beersheva. Ici, toutes lestribus me soutiennent et acceptent mon autorité. »
L’autorité dont Ode Zanoun parle résulte de 30 ans de service à Tsahal, de 1974à 2004. « Dans chaque famille, il y a au moins un soldat. Certains ont étéblessés pendant les guerres israélo-arabes. Ce sont eux qui m’ont apporté leursoutien », révèle le sage de 58 ans. Or, si les officiels répètent à l’envi queles Bédouins sont pour la plupart « des gens très bien qui ont défendu Israël», Ami Tesler admet à demi-mot qu’ils ne sont plus qu’une centaine par an às’inscrire à l’armée.
Ode Zanoun semble, pour sa part, être tout sauf un homme partisan ou rancunier.« Nous ne sommes liés à aucune organisation », assure-t-il. Ainsi, après lapetite contribution d’un mouvement islamique à la construction d’une écolematernelle financée par la mairie, le sheikh fait retirer une inscription que lemouvement avait apposée pour faire croire qu’il avait largement contribué àl’édification du bâtiment.
« Nous avons toujours eu de bonnes relations avec les citoyens et les mairessuccessifs de Yeroham. Mais il n’y avait rien eu d’effectif avant la venue deDoron Almog et Benny Begin », affirme celui dont tribu avait refusé de partirvivre à Segev Shalom en 1977 et Bir Hadadj en 1992, à cause de dissonancesinternes et d’inadéquation avec les politiques de l’époque. « Quand Doron Almoget le maire de Yeruham Michael Bitton (Kadima) ont compris que les tribusconsentiraient à vivre ensemble autre part si les Bédouins étaient consultés,j’ai dit “asseyons-nous et parlons”. »
« Je vivrai dans une maison, mais dansle jardin on fera une tente »
Rahma fait partie des villages dits « nonreconnus ». L’absence de revendications territoriales n’a pas toujours été larègle, « mais quand nous avons vu les problèmes qu’elles engendraient »,poursuit Ode Zanoun, « nous nous sommes résignés. Ainsi, lorsque nous aurons unendroit où habiter, personne ne nous dira plus : “ne vivez pas ici” ».
OdeZanoun est la preuve vivante qu’un Bédouin n’a pas besoin d’être jeune pouremménager en ville. « Dans le passé, on se déplaçait avec tentes et moutons.Mais là, comme on est sédentaire depuis longtemps, on veut changer de mode devie. Le tableau sera bien meilleur dans le futur. Vous n’aurez plus à urinern’importe où en venant nous voir, et nos enfants n’auront plus à faire 15kilomètres pour aller à l’école. La hamoula (regroupement de familles)partagera un endroit dédié en dehors du village pour les animaux… »
L’idée quela structure des villages bédouins puisse se dissoudre dans la modernité netraverse pas l’esprit du sheikh Zanoun. « Nous voulons à la fois la modernité etconserver nos traditions. A Ariha, je vivrai dans une maison, mais dans lejardin on fera une tente pour que mes enfants voient comment on vivait avant. »