Une rebelle dans sa communauté

Une femme musulmane, dont les enfants font l’armée, appelle les Arabes israéliens à s’enrôler

Tsahal (photo credit: illustrative/Porte-parole de Tsahal)
Tsahal
(photo credit: illustrative/Porte-parole de Tsahal)

‘Toute cette attention des médias est fatigante’’. Anet Haskia ressembledavantage à une diva de la pop qu’à une coiffeuse musulmane divorcée, originairede Saint-Jean d’Acre.

Il y a quelques semaines, Haskia enflammait la scène médiatique et gagnaitl’adulation de milliers d’Israéliens lors d’un rallye organisé par des soldatsréservistes. Le but : exiger l’enrôlement universel.

“Je suis fière d’être une Arabe israélienne”, lançait-elle à la foule descenduesur l’esplanade du musée de Tel-Aviv, samedi 14 juillet, qui applaudissait àtout rompre chacune de ses phrases. Il faut dire qu’Haskia est charismatiqueavec ses cheveux blonds et son large sourire.

Et de vanter à la foule les mérites de ses trois enfants qui se sont portésbénévoles. Sa fille s’est même lancée dans l’entraînement d’officier et sonplus jeune fils, après un an de service civil, s’est engagé dans laprestigieuse brigade de combattants d’infanterie Golani.

Ces quinze minutes de gloire ont valu à cette mère de quarante ans de multiplesapparitions à la télévision et à la radio. L’hebdomadaire féminin Lai’sha lui amême consacré un article.

Mais du côté de la communauté arabe, les réactions moins bienveillantes ne sesont pas non plus fait attendre. “Je mène ce combat pour l’enrôlement universeldepuis voilà trois mois”, s’indigne-t-elle. “Jusqu’à la manifestation, aucunmédia arabophone ne m’avait approché. Aucun journal, ni station de radio. Etpuis, deux jours plus tard, un journaliste de Koul el-Arab (l’un des journauxhebdomadaires arabophones les plus lus du pays) m’a contactée”.

“On m’a posé toutes sortes de questions”, continue-t-elle. “Si je m’étaisconvertie au judaïsme, si mes enfants savaient seulement que la langue arabeexiste, si nous célébrions les fêtes islamiques... Ils m’ont prise pour unefolle. Et m’ont même demandé si mes enfants savaient qu’ils étaient musulmans.

Ils n’arrivaient pas à comprendre que je puisse me planter là, au milieu deTel-Aviv, et que j’appelle les Arabes à s’enrôler dans l’armée. Commentavais-je pu ?!” 

Née rebelle

La notoriété sied à Haskia, habituée depuis toutepetite à faire fi des coutumes et du qu’en-dira-t’on. Elle se souvient de sonenfance à Saint-Jean d’Acre, passée dans la Vieille ville. Jouer avec lesenfants des autres quartiers était interdit, tout comme sortir de la maison enjupe. Mais peu importait à la jeune fille.

“J’étais très rebelle, dans tous les sens imaginables du terme”, seremémore-t-elle. “Je faisais tout ce qu’il m’était interdit selon lesmentalités arabes : je me promenais avec un piercing au nez et des tatouages.Plus tard, j’ai divorcé de mon mari pour vivre toute seule, j’ai décidé dedéménager et faire vivre ma famille au loin, c’est à moi seule de choisir sij’ai envie de me remarier ou non...”

“Comme je l’ai dit aux autres journalistes, les Juifs ne se mêlent pas desavoir si je suis une putain ou juste une femme libre. Je suis la seule àdécider de mon style de vie. Toutes ces années, j’ai prouvé aux Arabes que cequ’on leur a enseigné depuis leur naissance est un mensonge”.

Et de continuer : “Le journaliste m’a demandé : ‘Pourquoi choisissez-vous devivre parmi les Juifs ?’ ‘Pourquoi vous êtes-vous enfuie ?’Alors je lui airépondu : Pensez-vous vraiment que si je vivais encore au sein de la sociétéarabe, on me laisserait tranquille ? Vous connaissez cette société. Nesavez-vous pas ce que les Arabes pensent d’une divorcée ? Est-ce qu’ils melaisseraient travailler en indépendante ? Estce qu’ils me laisseraient élevermes enfants de la façon dont je l’entends ? Non. On m’aurait immédiatementtraitée de ‘putain divorcée’ et on ne m’aurait pas laissée vivre”.

“Je suis venue m’installer parmi les Juifs (dans la banlieue chic de KfarVradim), je vis dans un lieu où je suis acceptée et aimée, je gagne ma vie etles gens se fichent de savoir avec qui je sors.”

“Au contraire, on m’encourage à sortir, faire des rencontres, et trouver uncompagnon. Lorsque j’ai besoin de me confier ou d’une épaule pour pleurer, jen’appelle pas ma mère ou mes soeurs. J’appelle mes clientes”.

Israélienne avant tout

Haskia s’est entièrement intégrée à la société juive.Elle délivre de nombreuses allocutions dans les universités, les think-tanks etles mairies. Son message ? Réconciliation. Ce qui ne va pas sans heurtercertains auditeurs arabes. “Je tiens ces discours parce qu’il est important defaire passer le message. Il faut sensibiliser à la question du service nationalet au partage du fardeau”, dit-elle. “Il faut que les Arabes israéliens prennentleurs responsabilités”.

Et l’énergique quarantenaire de rejeter l’idée ancrée dans le secteur arabe,selon laquelle faire le service civil est une forme de capitulation de facto àla domination juive sur la population palestinienne. Au contraire,martèle-t-elle : que les jeunes Arabes se mobilisent au sein de leur communautéserait leur ouvrir la voie à la mobilisation sociale.

“Mon objectif”, lance l’optimiste, “c’est que chaque Arabe et Musulman s’enrôledans l’armée et serve le pays. Je veux voir la communauté se développer,briller. Et pour cela, il faut qu’elle change d’attitude afin de faire partiede la société. Les Musulmans sont mal perçus. On les voit comme desterroristes, et cela me fait mal au coeur, parce qu’ils ne sont pas tous commecela. Certains sont de braves citoyens qui aspirent à vivre dans le calme etsont contre les attentats-suicides. Le secteur arabe doit pouvoir s’intégrer aupays”.
Interrogée si elle se définit comme une sioniste, Haskia réplique : “Je medéfinis comme une Arabo-musulmane israélienne et fière de l’être. Je ne cherchepas à être juive”.
Si certains ont du mal à suivre sa pensée, cela n’a pas l’air de la déranger.“Laissezles penser ce qu’ils veulent”, reprend-elle. “Cela m’est égal de savoirce que les autres pensent. Je suis en paix avec mes opinions et avec lesdécisions que j’ai prises”.
Des droits, mais pas de devoirs

Ayman Odeh n’est pas de cet avis. Avocat de métier, cet habitant deNazareth est le secrétaire-général du parti judéo-arabe Hadash (nouveau). Ilsiège également au Haut comité arabe de vigilance, dans l’équipe chargée deréagir sur le service national pour les Arabes israéliens.

“Bien entendu, je m’oppose à l’enrôlement des Arabes, et pour plusieursraisons”, s’enflamme-t-il. “L’armée est une armée d’occupation sur desterritoires envahis depuis la guerre des Six-Jours de 1967. Ce sont des forcessusceptibles de combattre nos propres frères, mais pas seulement : c’est unearmée qui occupe le sol d’un autre peuple”.

Selon Odeh, moins de 4 % des Bédouins du Sud s’enrôlent dans Tsahal, tandis quele chiffre est légèrement plus élevé dans le Nord. A l’heure actuelle, quelque350 Arabes seulement, musulmans ou chrétiens, font leur service, selon lesdonnées officielles. Un chiffre à revoir à la hausse, selon lui : il s’agiraitplutôt de 2 400 Arabes israéliens, dont plusieurs centaines supplémentaires quise portent bénévoles auprès des forces locales de police.
Et de rejeter l’idée que les Arabes israéliens obtiendraient davantage dedroits en s’enrôlant. Les Druzes et les Bédouins qui font l’armée sont souventdiscriminés dans le civil, pointe-t-il. De plus, poursuit-il, les autoritésisraéliennes insistent pour rejoindre progressivement le service civil et descorps de défense tels que l’armée ou la police.
En 2005, le gouvernement a formé un panel dirigé par l’ancien chef de l’arméede l’air et ambassadeur aux Etats-Unis, David Ivry. Ses recommandations ? Laformation d’une administration pour le service national civil, destiné àproposer une alternative non militaire aux Israéliens exemptés du service parvoie légale. Une mesure adoptée par le gouvernement en 2007.

Puis au mois de juillet, la commission dirigée par le député Kadima YohananPlesner, cherchant à augmenter le nombre d’enrôlés haredim dans l’armée, aégalement recommandé de continuer à encourager les Arabes israéliens à seporter volontaires pour le service national. Et Plesner de suggérer que l’Etatatteigne un quota final de 600 bénévoles par an, ce qui ferait passer le nombrede recrutés arabes israéliens à 6 000 fin 2017.

“En dix ans, il y a eu trois commissions gouvernementales pour plancher sur leservice national : la commission Lapid, la commission Ivry et aujourd’hui lacommission Plesner”, continue Odeh. “Tous ces panels étaient formés par desJuifs uniquement. Pas un seul Arabe à bord. Cette attitude où d’autrespersonnes décident en notre nom ce qui sera le mieux pour nous estinacceptable. Nous exigeons une pleine participation aux décisions nousregardant”.

Pour Odeh, en tant que citoyens comme les autres, les droits des Arabes nedevraient pas être conditionnés au service civil. “Je suis favorable à ce quequiconque sert dans l’armée obtienne des avantages, mais pas des droits”,explique-t-il. “Si l’armée veut accorder des bourses d’enseignement ou éleverles gages des soldats, pas de problème. Mais en faire une condition pour obtenirnos droits est absurde. Nous sommes discriminés dans l’Etat d’Israël et cen’est pas parce que nous ne faisons pas l’armée”.

En route vers le changement ?

Haskia, elle, cherche à rallier l’opinion arabe à la sienne. Et remplacerles députés arabes qu’elle juge néfastes à leur propre cause. “Beaucoup fontdes démonstrations de force en public. Mais pour ce qui est de refuser dereconnaître l’Etat, de nombreux Arabes m’ont dit en avoir assez de ces membresde la Knesset, qui ne les représentent pas comme ils le voudraient et devraientêtre remplacés. Tout le monde me le répète”, affirme-t-elle. “Il y a unsentiment dans l’air qui se développe : lançons notre propre mouvement etremplaçons-les. Après tout, ils ont été élus par le pouvoir du peuple, toutcomme le Premier ministre.”

Va-t-elle alors entrer en politique et former un parti ? Un scénario facile àimaginer, vu son amour pour la scène publique et sa capacité à captiverl’audience.

Mais Haskia semble moins sûre d’elle. “Formons un mouvement”, lance-t-elle àses concitoyens arabes. “Créons un changement. Nous pouvons faire évoluerbeaucoup de choses et gagner encore davantage de droits. Mais à la conditiond’être loyaux envers l’Etat, de lui appartenir réellement, et de laisser tomberl’attitude de victime : “Je suis un Arabe et l’on me persécute”. Pour l’heure,“personne n’a osé me rejoindre. Tous m’ont tous dit : Vas-y, quand tu aurasd’autres membres avec toi, je m’inscrirais”.

La loi Tal, une controverse qui divise les Israéliens 

Depuis mardi 31 juillet minuit, la législation dispensant les haredimd’effectuer leur service militaire a prisfin. Selon la loi, ils doivent s’engagerà partir du 1er août. Sera-t-elle respectée ?

Par Marie Proix

La question est épineuse. Lorsque l’on interroge les israéliens sur la loiTal, les avis sont partagés. “Tout le monde doit participer à l’effort deguerre, c’est essentiel pour Israël”, confie Pini, 35 ans, originaire deJérusalem. La majorité des Israéliens semblent favorable à l’enrôlement pour tous,y compris certains haredim.

Ramoutal, 21 ans, originaire de la Vallée du Jourdain, confirme “bien sûr ilsdoivent s’engager”, avant de tempérer : “toutefois l’armée n’est pas prête àles recevoir. Les ultra-orthodoxes sont très nombreux, Tsahal n’est pas encoreadaptée”.

Mais des unités spécifiques pour les religieux existent. Le célèbrebataillon Netzah Yehouda, plus communément appelé Nahal Haredi, en est une. Seshommes peuvent ainsi servir dans les forces de défense israéliennes au seind’un environnement en accord avec leurs convictions religieuses.

Jusqu’à mardi 31 juillet, quelque 54 000 ultra-orthodoxes en âge de servir sousles drapeaux se plaçaient sous la loi Tal. “Tsahal n’a pas la place pouraccueillir tout le monde, les étudiants des yeshivot sont très nombreux”,précise Yaël, 35 ans, vivant à Jérusalem, originaire de Casablanca. “Israël abesoin des deux, de ceux qui se battent et de ceux qui prient, chacun satâche”, ajoute la mère de famille, hostile à l’enrôlement général.

Un jeune soldat en train d’effectuer son service militaire s’exprime : “Lesharedim doivent s’engager, mais certains peuvent rester pour prier”. Un parfaitexemple de la complexité de la situation. Selon plusieurs religieux, il estpossible que d’ici quelques années les ultra-orthodoxes intègrent le servicemilitaire, de manière plus ou moins volontaire.
“ Ce sera une autre génération”, indique Yaël. Plus sceptique, Yoshoua, 56 ans,religieux originaire d’Ashdod, clame qu’il n’y aura jamais de haredim dansl’armée. “Pourquoi envoyer nos enfants se faire tuer si l’objectif n’est mêmepas de récupérer les territoires... dans le cas inverse peut-être.”

La suppression de la loi Tal entraîne une division politique en Israël. En 2002était adoptée la législation permettant aux haredim arrivés à leur majorité (18ans) de faire un choix : effectuer le service militaire ou rester étudier dansles yeshivot.

Nombreux sont ceux qui ont adopté la seconde solution. Mais en février 2012, laCour suprême israélienne déclarait la loi anticonstitutionnelle. Commence alorsun casse-tête politique. La coalition Likoud-Kadima à la Knesset n’y survitpas. Le parti centriste désire être ferme face à l’enrôlement obligatoire. Leparti de Binyamin Netanyahou est moins résolu, souhaitant conserver l’appui despartis ultraorthodoxes, comme le parti Shas. Le divorce est consommé.

Sarah, 30 ans, affirme que ces débats sont une perte de temps et d’argent. “Lesdiscussions ne sont pas dans l’intérêt du peuple. La question de la loi Tal aété accaparée par les politiques dans un but électoral”, assure Merora, 42 ans,habitante de Jérusalem, originaire de Marseille. Point de concorde entre tousles Israéliens, laïcs ou religieux, la question du statut des haredim estpolitisée et détournée de son sens premier.

Le 1er août, aucune nouvelle législation n’était entrée en vigueur. Un videjuridique qui signe le retour à la loi précédente, prévoyant la conscriptionpour tous. Pour l’instant.