De Maxime Hauchard à Abou Abdallah Al-Faransi, itinéraire d’un Français parti faire le Djihad

La radicalisation de ce jeune homme bien sous tous rapports, connu des services de renseignements, interroge sur le profil des recrues du Djihad et les moyens mis en oeuvre pour empêcher leur départ

itinéraire d’un Français parti faire le Djihad (photo credit: screenshot)
itinéraire d’un Français parti faire le Djihad
(photo credit: screenshot)
Le ministère de l’Intérieur français a confirmé, lundi 17 novembre, l’identification d’un de ses ressortissants parmi les bourreaux présents dans la dernière vidéo de Daesh. Il s’agirait selon « une très forte probabilité » de Maxime Hauchard, jeune homme de 22 ans originaire de Normandie et suivi par la DGSI depuis 2011 pour ses liens avec le milieu salafiste rouennais.
Dans le village de Bosc-Roger-en-Roumois, la commune d’à peine 3000 habitants où il est né, c’est l’incompréhension qui domine. Ses proches, ses voisins l’ont vu se convertir sans jamais penser qu’il irait aussi loin. René et Jeannine, qui habitent la maison d’à côté, parlent d’un « garçon gentil, courageux, serviable » : il coupe le bois et tond le gazon. Ils l’ont vu grandir et refusent de croire aux images : « ça paraît impossible, il a dû être drogué » confie René, très ému, aux caméras de France 3 Haute-Normandie.
Ses amis ne comprennent pas non plus : au micro de RTL, l’un se dit « très choqué, abasourdi », l’autre décrit Maxime comme « quelqu’un de très joyeux ». Son oncle ne le croit pas capable d’une telle barbarie : « il ne ferait pas de mal à une mouche », affirme-t-il aux journalistes du Parisien.
Objectif personnel : mourir en martyr
Le jeune homme grandit dans une famille catholique, fait sa communion. C’est à l’âge de 17 ans qu’il se convertit à l’Islam. En 2011, il commence à se radicaliser seul, sur internet, et adopte peu à peu la vision rigoriste de la religion prônée par les vidéos qu’il trouve sur YouTube. Maxime se laisse pousser la barbe, fait moins, puis plus du tout la fête, porte la djellaba et refuse de faire la bise aux filles. Le changement est remarqué, mais on ne s’en inquiète pas outre mesure : après tout, comme le rappelle justement une voisine de la famille, « les musulmans ne sont pas tous des criminels ». Il part en Mauritanie fin 2012, étudie dans une école coranique à Nouakchott. Il veut rejoindre le Mali mais renonce devant les difficultés. Rentré en France, il se dit déçu par l’enseignement dispensé, « pas assez rigoriste » à son goût selon les informations recueillies par le procureur de Paris. En 2013, c’est le départ en Syrie sous prétexte d’aide humanitaire. La suite, il la raconte dans une interview accordée à BFM cet été : l’arrivée en Turquie, la participation aux entraînements, la vie à la caserne avec ses « frères ». Et son objectif personnel : mourir en martyr.
Le Parquet a confirmé le 19 novembre la présence dans la vidéo d’un autre Français de l’âge de Maxime Hauchard, Michael Dos Santos, jeune converti parti grossir les rangs de l’Etat Islamique en août 2013. C’est sa grand-mère qui l’a reconnu à la télé. Au journal Le Monde, elle déclare bouleversée : « il était si gentil, si gentil, ils ont dû le droguer pour qu’il devienne comme ça. Il était catholique, il a fait le catéchisme, je ne sais pas comment ils lui ont tourné la tête. ». Des mots qui rappellent ceux des proches de Maxime. Certains experts (des sources au sein de Daech leur ayant affirmé que l’homme sur la vidéo était d’origine syrienne) et la mère de Maxime (qui a lui-même démenti sur Twitter) mettent en doute l’identification du Normand. Malgré ces réserves, les deux noms sont cités dans l’enquête préliminaire pour « assassinats en bande organisée en lien avec une entreprise terroriste » ouverte mi-novembre.
Un endoctrinement personnalisé
D’après la sociologue Doura Bouzar, directrice du Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’Islam (CPDSI) et anthropologue, « n’importe quel jeune peut aujourd’hui basculer vers le Djihad ». Dans un rapport rendu public la semaine dernière le CPDSI met à mal les idées reçues sur ce phénomène. En se basant sur les données des 160 familles qui ont utilisé la plateforme d’aide mise en place en février, l’organisme dresse un portrait type du djihadiste potentiel : jeune (entre 14 et 21 ans), fragile psychologiquement, sans casier judiciaire, issu de la classe moyenne, élevé dans une famille athée, Français « de souche ». Toutefois, les auteurs de l’étude reconnaissent volontiers que l’échantillon n’est pas représentatif. Pour David Thomson, reporter chez RFI et auteur du livre Les Français djihadistes, « il n’y a plus vraiment de profil type, mais des particularités communes ». Notamment une conversion récente ou un retour à l’Islam. D’après les chiffres du CPDSI, l’endoctrinement se fait par internet dans 91% des cas. Les rabatteurs du Djihad ont bien assimilé les codes du monde moderne, de l’esthétique des jeux vidéo façon Call Of Duty au partage de vidéos sur les théories du complot international (allant des illuminati au mythe du juif tout-puissant) sur les réseaux sociaux. Selon le Centre, ils adaptent même leur rhétorique à la cible, choisissant parmi 5 types de discours identifiés : « départ humanitaire » pour séduire les jeunes filles, mythe du « chevalier héroïque » pour les garçons ou encore celui du « porteur d’eau » pour ceux en quête d’un leader. La plupart de ces jeunes ne passent plus par la mosquée qui est presque totalement évacuée de l’équation par cet « endoctrinement en chambre ».
Maxime Hauchard et Michael Dos Santos sont loin d’être des cas isolés. Sur les 1 132 français impliqués dans des filières djihadistes, le ministère de l’Intérieur estime que 376 combattent actuellement en Syrie et en Irak. La majorité d’entre eux sont partis en 2012-2013, quand les autorités françaises laissaient faire dans l’idée d’évacuer les éléments les plus dangereux, quitte à les poursuivre à leur retour. Aujourd’hui, la stratégie est plus proactive. La nouvelle loi antiterroriste du 13 novembre prévoit des dispositions inédites pour lutter contre ce phénomène, qualifié de « contentieux de masse » par le procureur de Paris François Molins : interdiction administrative de sortie du territoire et interdiction d’entrée administrative sur le territoire (y compris pour les ressortissants de pays membres de l’espace Schengen) renouvelables si ces déplacements semblent avoir pour but des activités terroristes, création d’un « délit d'entreprise individuelle à caractère terroriste », répression de l’apologie du terrorisme et de la provocation à des actes de terrorisme (particulièrement sur internet). Un nouvel arsenal législatif qui devrait permettre, espérons-le, d’endiguer le flot des départs vers le califat.
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