Bennett, l’homme aux multiples casquettes

Naftali Bennett est bien décidé à diminuer le coût de la vie et encourager l’emploi des ultraorthodoxes.

P12 JFR 370 (photo credit: Marc Israël Sellem/The Jerusalem Post)
P12 JFR 370
(photo credit: Marc Israël Sellem/The Jerusalem Post)

Difficile d’apprécier quel est le succès le plusmarquant du ministre de l’Économie et du Commerce Naftali Bennett. La vente deson entreprise de sécurité en ligne pour 145 millions de dollars en décembre2005 ? L’obtention des suffrages de laïques telaviviens pour faire gagner 12sièges au parti sioniste religieux HaBayit HaYehoudi qui, sans lui, n’auraitpas dépassé le seuil électoral en janvier 2013 ? Sans doute sa démarchepolitique ingénieuse, qui lui a permis de devenir un ministre de haut rang dansle gouvernement Netanyahou. Pourtant, ce dernier ne cachait pas son aversionpour son ancien chef de cabinet et aurait certainement préféré le voir exclu dugouvernement.
Mais la meilleure performance de Bennett est peut-être encore à venir. Dans legouvernement de Netanyahou, il détient trois portefeuilles, sans liens apparentsles uns avec les autres, qui traitent de questions qui lui tiennent toutesautant à coeur. L’homme à la kippa crochetée a maintenant plusieurs casquettes.
Il est déterminé à utiliser l’ex-ministère de l’Industrie, du Commerce et duTravail qu’il dirige pour réduire le coût de la vie, le ministère des Affairesreligieuses pour rendre le judaïsme plus attrayant aux yeux des Israélienslaïcs et le ministère des Affaires de la diaspora pour lutter contrel’assimilation dans le monde entier. Des objectifs fort ambitieux pour un seulhomme. Mais Bennett est résolu, confiant, énergique et influent. Le premierministre ne pouvait pas construire une coalition sans lui, et à moins d’unrevirement de la part d’un ou deux chefs de parti, le gouvernement de Netanyahous’effondrerait sans lui.
Dans une interview depuis son bureau à la Knesset, Naftali Bennett aborde unefoule de sujets. Et c’est peut-être sa performance la plus remarquable entretoutes.
Quel est votre regard sur l’année qui vient de s’écouler ? 
Cela a été uneannée passionnante. Mon idée de créer une passerelle entre tous les membres dela société israélienne se met en place. En partie du fait de la structure dugouvernement, je suis très optimiste quant à son aboutissement. 70 % desIsraéliens sont d’accord sur 70 % des problèmes. Mais le pays a trop longtempsinsisté sur les 30 % qui nous divisent, comme les conflits religieux et laquestion palestinienne. Nous avons levé l’accent mis sur ces questions et noussommes concentrés sur les points qui rassemblent : le souhait de devenir unEtat plus juif, l’ouverture de l’économie et la nécessité de réduire lesclivages de la société.
Par exemple, le compromis proposé par [le président de l’Agence juive Natan]Sharansky avec les Femmes du mur aurait fait l’objet d’une lutte sans fin dansun autre gouvernement. Mais j’estime que c’est un compromis raisonnable :personne n’est totalement satisfait, mais tout le monde peut vivre avec. Cegouvernement prône la résolution des conflits et la diminution des sentimentsde haine. C’est un bon gouvernement et je suis heureux d’en faire partie.
Pensez-vous que, si des solutions ont été trouvées, c’est parce que vous aveztenu les ultraorthodoxes à l’écart du gouvernement ? 
Ma contribution a été deparvenir à un compromis entre Netanyahou et [le leader de Yesh Atid Yaïr] Lapidafin d’établir un programme qui a permis la formation du gouvernement.
Je n’ai jamais mis mon veto à aucun parti légitime, et ne suis pas prêt à lefaire. Les efforts que j’entreprends pour permettre l’accès d’un plus grandnombre de harédim sur le marché du travail ne sont possibles qu’en raison de lacomposition du gouvernement. De même la révolution dans les affairesreligieuses à laquelle je me suis attelé. Des années de monopole religieuxultraorthodoxe ont éloigné les laïcs du judaïsme. Nous allons changer cela.Nous allons laisser les gens choisir les rabbins qu’ils souhaitent pour lesmarier et accueillerons les convertis à bras ouverts. Sur tous les fronts,c’est un gouvernement révolutionnaire.
Vous avez déclaré, au cours d’une conférence économique la semaine dernière,que vous aviez seulement deux ans pour atteindre vos objectifs. Qu’entendez-vouspar là ? 
La politique israélienne fonctionne de telle sorte que les changementsne peuvent intervenir que durant la première moitié du mandat gouvernemental.La seconde moitié est trop souvent consacrée à la préparation des prochainesélections, qui peuvent intervenir à tout moment.

Il y a eu des rapports conflictuels entre vous et Lapid sur des questionsclés. Êtes-vous déçu de ces relations de quelque façon que ce soit ? 

Yaïr etmoi sommes en désaccord sur beaucoup de choses : la terre d’Israël, lesnégociations avec les Palestiniens, la religion et l’État, etc. Mais il y a unerelation de confiance entre nous. Notre parole est ce qui nous lie. Il y aurades déceptions. Aucun de nous n’obtiendra tout ce qu’il veut, mais, enattendant, nous sommes en train de changer la société israélienne. Nous amenonsles Israéliens à réaliser qu’il nous faut faire des compromis pour pouvoir nousentendre ici. La lutte n’est plus de mise dans notre pays.

Êtes-vous déçu par le budget de Lapid ? 
La réalité est que nous avons héritéd’un déficit budgétaire important. Il nous faut pourtant bien faire tourner laboutique.
Nous pouvons réduire le budget de la Défense, car il n’existe actuellementaucune menace militaire conventionnelle.
Aucun char ne menace nos frontières, nous n’avons pas besoin de tant dedivisions de blindés. Le problème d’Israël, c’est que le revenu de l’Etat estproportionnel à la taille du pays, mais le budget de la Défense estproportionnel à la taille des menaces qui pèsent sur le pays.
Quelles ont été vos priorités en matière budgétaire ? 
Encourager l’emploi desharédim est très important pour moi, et c’est dans le budget. Je considère quec’est une urgence nationale qui n’est pas sans rappeler l’arrivée d’un milliond’immigrants en provenance de Russie dans les années 1990. 30 % des élèves deCP sont issus de familles ultraorthodoxes, ce qui est bien, mais s’ils netravaillent pas, c’est un problème. Je me suis fait descendre dans la presseultraorthodoxe, mais quand j’ai effectué une visite surprise à Bnei Brak, j’aiconstaté que c’est une population qui veut travailler. J’ai un plan audacieuxqui devrait permettre à 30 000 harédim d’entrer dans la vie active, avec uneformation continue en anglais et en maths pour les mettre au niveau desépreuves de fin d’études secondaires. Les réactions des entreprises quiemploient des harédim sont excellentes. Tout cela doit se faire sans haine,mais au contraire avec chaleur.
Nous ne devons pas être leurs ennemis. De mon point de vue, les amener àtravailler est bien plus important que de les amener à servir dans l’armée.
Qu’allez-vous faire pour améliorer la situation économique ? 
La vie est tropchère en Israël. Les entreprises étranglent les consommateurs. Mon comitéministériel sur le coût de la vie a les pleins pouvoirs pour travailler àchanger cela. Seul le Premier ministre peut faire appel de ses décisions. Toutne doit pas reposer sur le fait qu’il faut avoir des relations pour pouvoirs’en sortir. Par exemple, les travailleurs du port d’Ashdod gagnent jusqu’à 60000 ou 70 000 shekels par mois, et, si quelqu’un essaye de changer à leursprivilèges, ils déclenchent une grève et l’on cède. Nous allons ouvrir lesports comme nous l’avons fait avec la réforme « ciel ouvert », qui va réduirele coût des billets d’avion de 30 à 40 % et permettre à des millions detouristes de visiter le pays à un prix désormais abordable. Vous me connaissez.Je ne suis pas contre les hommes d’affaires qui réussissent. La différenceentre un entrepreneur et un magnat est qu’un entrepreneur crée des emplois. Lesmagnats sont des manipulateurs qui se remplissent les poches et font obstacleau progrès. Nous allons faire tomber ces barrières.
Je vais aussi m’employer à réduire la bureaucratie. Il faut 212 jours en Israëlpour faire approuver un plan de construction contre seulement 140 en Syrie. Monéquipe tente d’identifier les freins et d’y mettre un terme. Par exemple, lestaxes d’importation sur les détergents, les lunettes de soleil, les chaussures.C’est peut-être une goutte d’eau, mais ma théorie est qu’il n’y a rien de troppetit qui ne vaille la peine de lutter pour. Cela me dérange qu’il soit plusfacile de vivre en Amérique et que certains de mes amis du high-tech soientrestés là-bas. Cela va à l’encontre de l’idée du sionisme que de rendre la vietrop difficile en Israël.
Vous gérez également le ministre des Affaires de la diaspora et celui desAffaires religieuses. Comment appréhendez-vous la question du Mur occidental sichère aux yeux des juifs de la diaspora ? 
À l’heure où je vous parle, jetravaille sur un compromis.
Jusqu’à la décision du tribunal le mois dernier, les Femmes du Mur n’étaientpas autorisées à faire quatre choses qui commencent par la lettre T : Tefilabekol ram [prier à haute voix], lire la Torah (dans un Sefer), porter un Talith(châle de prière) et mettre les Tefiline (phylactères). J’ai proposé qu’ellesen aient deux pour l’instant, Tefila et Talith, jusqu’à ce que la troisièmesection du Kotel prévue dans l’accord de Sharansky soit prête. Sans cet accordconclu avec elles, il y aurait eu des émeutes vendredi [Roch Hodech Sivan].J’ai dit aux Femmes du Mur que je ne cherchais pas à me battre, que je faisaispreuve de bonne volonté énorme. Les gens en Israël ne comprennent passuffisamment l’impact négatif sur notre image qu’a le fait d’empêcher lesfemmes de prier. Ces incidents reçoivent une abondante couverture médiatique etnuisent à notre image auprès des juifs du monde entier.
On va jusqu’à nous comparer à l’Iran.
Quels sont vos objectifs en tant que ministre des Affaires de la diaspora ?
Nous sommes juste en train d’obtenir l’approbation du gouvernement sur laquestion des salaires, afin de permettre au ministère de se mettre au travail.Je pense que c’est une catastrophe que nous perdions tant de juifs par le biaisd’une assimilation sans précédent. Israël est en passe de devenir la plusgrande communauté juive dans le monde, pour la première fois depuis l’exil deBabylone. Je vois cela comme une mission nationale pour Israël de sauver lepeuple juif de l’assimilation. Jusqu’à une période récente, Israël considéraitles juifs de la diaspora comme une source de revenus ou comme des candidats àl’aliya. Ça suffit ! Nous n’avons plus besoin qu’on nous fasse la charité.C’est à notre tour d’aider les juifs à travers le monde.
Tout d’abord, je vais m’assurer qu’il n’y aura pas de coupes budgétaires pourBirthright Israël et Masa. Leurs budgets seront même revus légèrement à lahausse, ce qui constitue un miracle en ce moment. Des études ont montré qu’il ya 40 % de moins d’assimilation parmi ceux venus en Israël avec Birthright. Onpeut tout à fait être juif à Saint-Louis, Buenos Aires ou en Lettonie. Tous lesjuifs ne doivent pas forcément faire leur aliya, mais nous voulons qu’ilsrestent juifs.
Qu’en est-il de l’inégalité des courants religieux et de l’absence de mariagecivil qui dissuadent de nombreux juifs de la diaspora de rejoindre Israël ?
Nous allons traiter toutes ces questions une par une et entamer desdiscussions, afin de trouver un équilibre entre l’identité juive d’Israël etles besoins de la diaspora. Israël est le pays des juifs du monde entier. Ilsont aussi leur mot à dire, mais ce sont des questions compliquées.
Est-ce que votre partenariat avec le parti sioniste religieux Tekouma,contrôlé par des rabbins de droite, rend de telles choses plus difficiles ? 
Jepense au contraire que c’est un groupe fantastique. C’est le plus harmonieux etle plus dévoué de la Knesset. Nous sommes d’accord sur les questions relativesà la Terre d’Israël et sommes parvenus à un consensus au sujet du Grand Rabbinat.Nous avons été élus pour prendre des décisions à la Knesset. Nous allonsconsulter pour cela des rabbins, des hommes d’affaires et des experts de lasécurité. J’écoute les rabbins et je les respecte, mais c’est à nous de prendreles décisions.
On a parlé d’un gel officieux des implantations. Votre collègue de Tekouma,le ministre de la Construction et du Logement Ouri Ariel, aurait soumiscertains appels d’offres à Netanyahou qu’il aurait refusé de signer. Parailleurs, il n’y a pas eu de réunions des conseils de planification deJérusalem. Y a-t-il un gel à Jérusalem également ? 
Nous ne laisserons pas cegouvernement bloquer les constructions pour les juifs dans n’importe quellepartie d’Israël. L’ancien président américain Teddy Roosevelt disait qu’ilfallait parler doucement en tenant un gros bâton. Nous avons un gros bâton etnous nous en servons tout en parlant doucement. Comment un gouvernementisraélien peut-il geler les constructions à Jérusalem ? Nous allons construireà Jérusalem. Le plan saoudien et le plan Clinton proposent de diviserJérusalem. Ceux qui soutiennent ces plans doivent prendre en considération leKotel, le mont des Oliviers, et la ville de David. Où se situera la capitalepalestinienne ? 
Comment cela a-t-il été reçu quand vous avez tenté de dire àdes personnalités internationales qu’un Etat palestinien n’est pas inévitable ?
Au cours de ces derniers mois, j’ai rencontré de nombreux ministres etdiplomates étrangers. J’ai été surpris de constater que personne n’ose plaiderà l’encontre d’un Etat palestinien. Et après on s’étonne quand le monde veutintroduire un Etat palestinien en plein coeur d’Israël. J’ai un long chemin àparcourir pour convaincre l’opinion publique israélienne de chercher desalternatives. Et il existe de nombreuses alternatives. Si vous vous cognez latête contre les murs pendant 20 ans et que tout ce que vous obtenez ce sont desmilliers de morts, n’est-il pas logique d’essayer autre chose ? Le ministère del’Économie et du Commerce est l’ambassadeur économique d’Israël, avec desbureaux commerciaux dans le monde entier. Ceux que rencontrent nosreprésentants dans ces bureaux commerciaux se moquent complètement du conflit.Cela ne fait pas partie de leurs priorités. La véritable histoire du conflit,c’est que c’est une non-histoire.
Yesh Atid n’a pas cautionné vos efforts pour initier une loi fondamentale envue d’un référendum sur l’abandon des terres. Cela vous a porté un coup. Ya-t-il cependant encore un espoir de voir passer cette loi ? 
J’espère que nousréussirons à la faire passer. La nécessité d’un référendum s’inscrit dans notreobjectif de minimiser les conflits à l’intérieur de la société israélienne etdu gouvernement. On peut ne pas être d’accord mais aussi vivre avec. Pour moi,ce serait une catastrophe d’avoir un état palestinien en plein coeur d’Israël,tandis que d’autres partis de la coalition y sont favorables. Un référendumpermettrait de régler ce problème.
La situation sécuritaire semble s’aggraver en Judée- Samarie. Commentcomptez-vous faire face à cela ? 
On assiste à une dégradation significative dela sécurité pour les juifs de Judée-Samarie, notamment avec les jets de pierressur les voitures. J’ai conçu un plan soumis au ministère de la Défense et àTsahal. Je veux modifier les règles qui permettent d’ouvrir le feu en casd’attaque. À l’heure actuelle, les gens ne peuvent pas se défendre. Je veux quetoute personne en danger soit en mesure de se défendre. Les jets de pierrespeuvent être meurtriers. Dans les zones de conflit, il devrait y avoir plus deforces de sécurité, plus de points de contrôle et de plus nombreuses opérationsmenées dans les villes arabes. Ce qui se passe n’est pas simplement uneviolation de la sécurité. C’est du terrorisme.
Comment gérez-vous la situation avec les Bédouins ? 
C’est une bombe àretardement que nous pouvons neutraliser.
C’est une question difficile qui appelle à un compromis. Ils sont répartisillégalement dans tout le Néguev. Mais ce sont des êtres humains. Ils nepeuvent pas vivre sur une autre planète. Ils vivront dans les communautésconstruites pour eux. Ceux qui ont des revendications légitimes recevront leurpart de terre. Mais nous ne laisserons pas le Néguev devenir un territoirehors-la-loi. On ne peut plus laisser de voiture une heure dans le Néguevaujourd’hui [sans crainte de se la faire voler]. Il faut conclure un accordpour veiller à ce que la loi soit appliquée.
Quelle est pour vous la limite à ne pas franchir à propos de l’Iran ? Israëlaurait-il déjà dû bombarder la République islamique ? 
Netanyahou a réalisé desavancées sans précédent pour persuader le monde d’imposer des sanctions. Lessanctions progressent. Mais l’Iran va de l’avant. Téhéran a accéléré le rythmede l’enrichissement d’uranium et déplacé les centrifugeuses vers desinstallations souterraines. On ne fait pas ça si on n’est pas en train defabriquer une arme nucléaire. En aucun cas nous ne pouvons accepter la bombeiranienne. En aucun cas nous ne pouvons confier notre sécurité à d’autres. Ceserait bien si [l’Amérique] s’occupait de la situation. Mais nous ne sommes pasvenus ici fonder un Etat juif pour compter sur les autres. Je soutiensNetanyahou et sa « ligne rouge ».