Quid des logements sociaux ?

Depuis les années 1990, il est devenu impossible d’obtenir un logement social.La pénurie d’appartements dits à loyers modérés (HLM) touche un nombre croissant de familles dont les deux piliers sont pourtant actifs. Retour sur une situation endémique

Logements sociaux (photo credit: Marc Israel Sellem)
Logements sociaux
(photo credit: Marc Israel Sellem)
Pour Yafit Dahan, c’est le froid qui a été le plus dur à supporter. En février, les températures nocturnes à Jérusalem étaient inférieures à 4°C et l’hiver, exceptionnellement pluvieux. “C’est difficile à croire, je sais, mais on s’y habitue”, soupire-t-elle.
“Même les enfants ne disent plus rien. Ils n’ont pas le choix.”
Yafit, 36 ans, ne ressemble pas à l’image que l’on se fait des sans-abris. Son mari et elle travaillent dur pour élever leurs cinq enfants. Elle est technicienne de surface et son mari est employé à la mairie. En juillet, la famille s’était installée dans une cabane de fortune dans le parc Sacher, au pied de la Knesset. Après les campements de protestation de l’été - en particulier sur le boulevard Rothschild, à Tel-Aviv - et leur atmosphère résolument festive - voilà bien longtemps que la plupart des tentes ont été démontées. Dès que le vent d’automne s’est mis à souffler, leurs occupants sont rentrés chez eux.
La famille Dahan, elle, n’avait nulle part où aller : elle venait d’être expulsée de son appartement de Guilo, dans le sud de Jérusalem, pour défaut de paiement du loyer. Avec l’aide de Community Advocacy, une association d’avocats bénévoles, elle a tenté de tenir tête à la municipalité qui voulait l’obliger à partir. La mairie de Jérusalem leur avait dans un premier temps proposé une allocation mensuelle de 2 200 shekels pendant six mois, si les familles partaient de leur plein gré. Une offre rejetée par tous les habitants du campement, qui estimaient cette durée trop courte.
Mais dans un communiqué, Nir Barkat avait déclaré qu’il ne pouvait laisser les choses en l’état, car le campement “affecte de façon négative la sphère publique et pose un risque pour la santé et la sécurité.”
Début mars, quelques jours avant la tenue du marathon, les derniers occupants illégaux ont pourtant bel et bien délaissé l’herbe verte du parc Sacher pour être relogés dans des habitations en dur.
Des années de négligence
Le secteur du logement social est dans un piètre état en Israël. A en croire le porte-parole du ministère du Logement Ariel Rosenberg, rien n’aurait été construit depuis vingt ans. Et depuis l’an 2000, le nombre d’appartements détenus par l’Etat et destinés à ceux qui y auraient droit a chuté de 40 %, passant de 107 000 à 64 000. Ainsi a-t-on vu la liste des demandeurs s’allonger.
Plus de 2 400 familles sont aujourd’hui en liste d’attente, tandis que le nombre d’appartements disponibles immédiatement s’élève à 313 à peine. Voilà comment une famille déclarée éligible pour un logement social peut être contrainte de patienter sept années entières avant d’obtenir satisfaction.
En réalité, la situation est encore plus dramatique qu’en témoignent les chiffres officiels, affirme Barbara Epstein, présidente de Community Advocacy. “On n’a construit pratiquement aucun logement social depuis les années 1970”, déplore-t-elle. “A la fin des années 1980 et au début des années 1990, pendant la grande vague d’immigration russe, on a paré au plus pressé en édifiant des sortes de caravanes améliorées, mais ce n’étaient pas des bâtiments dignes de ce nom.”
Barbara Epstein souligne en passant que le nombre de familles attendant d’être relogées ne se limite pas aux 2 400 qui figurent sur la liste. Celle-ci ne comptabilise en effet que les demandes adressées au ministère du Logement. Les nouveaux immigrants, eux, sont de la responsabilité du ministère de l’Intégration, dont la liste d’attente compte aujourd’hui 40 000 noms. Il convient d’y ajouter 450 personnes âgées défavorisées sans toit.
“Au lieu de construire de nouveaux logements sociaux, on a cherché à réduire le nombre de demandeurs en ajoutant des conditions de plus en plus restrictives à leur obtention. Selon la politique du ministère du Logement, seules les familles de plus de trois enfants de moins de 21 ans qui bénéficient de l’aide sociale depuis plus de 24 mois sont éligibles pour un logement social. Les familles inscrites sur liste d’attente ont droit, entretemps, à une aide au logement allant de 1 250 à 1 550 shekels par mois.
Selon Emily Silverman, spécialiste en politique du logement au Technion de Haïfa, ces règles d’éligibilité trop strictes faussent les statistiques : “Les gens ne prennent même plus la peine de déposer des demandes”, explique-telle.
“Certaines familles en liste d’attente depuis des années apprennent tout à coup qu’elles n’ont plus droit au logement social parce que leurs enfants sont devenus adultes.”
Même quand les deux parents travaillent, une famille peut très vite sombrer dans une spirale financière qui la mène à la rue. “Quand on n’arrive plus à régler les mensualités de son prêt, on peut se voir confisquer son logement tout en continuant à être débiteur de l’organisme de financement”, explique Emily Silverman. “On se retrouve alors à rembourser la dette tout en louant de surcroît un appartement en ville, parce qu’on est obligé d’habiter près de son lieu de travail. Mais un studio en ville peut coûter 2 500 shekels par mois. Même avec une allocation-logement, une personne qui gagne le SMIG, soit 4 500 shekels, finit donc par consacrer la majeure partie de son revenu au loyer.”
(In)justice historique
Autrefois, Israël avait une politique de logements sociaux généreuse. Avec l’afflux considérable d’immigrants dans les années qui ont suivi la naissance de l’Etat, il fallait concentrer la majeure partie des ressources à procurer des solutions-logement immédiates. En 1959, 23 % des logements du pays étaient possédés et administrés par Amidar, une entreprise nationale qui logeait les habitants à faibles revenus. Aujourd’hui, les logements sociaux représentent moins de 2 % du parc de logements du pays.
L’une des principales raisons de ce déclin constaté depuis 2000 tient à la mauvaise application d’une loi de 1998 sur le logement social menée par le député Meretz Ran Cohen et considérée comme très progressiste à l’époque. “Je me suis démenée pour faire voter cette loi en 1998”, raconte Barbara Epstein. “Elle partait de très bonnes intentions et était censée instaurer une justice historique.”
La loi donnait aux locataires de logements sociaux installés depuis longtemps dans le même appartement, le droit d’en devenir propriétaires. Selon une politique gouvernementale qui remontait aux années 1950, les résidents de logements sociaux devaient auparavant rester des locataires perpétuels. Mais dans les années 1990, les partisans d’une justice sociale ont fait remarquer que c’était là la meilleure façon de perpétuer le cycle de la pauvreté d’une génération à l’autre.
Les immigrants des années 1950 et 1960 qui ont réussi à gagner suffisamment bien leur vie pour quitter leur logement social et accéder à la propriété ont pu léguer leur bien à leurs enfants, donnant à la génération suivante un élan économique. Les autres, restés embourbés dans la pauvreté, ne pouvaient en revanche pas transmettre à leurs enfants l’appartement dans lequel ils avaient vécu pendant des décennies.
La loi de 1998 entendait corriger cette injustice. Les termes du contrat d’achat accordaient une réduction de 3 % par année d’occupation continue, offrant aux locataires de longue durée un accès à la propriété qui n’aurait jamais été possible autrement. Cependant, sachant que chaque appartement vendu réduisait le parc de logements sociaux, la loi Cohen stipulait que l’argent ainsi récolté par l’Etat devrait être réinvesti dans la construction de nouveaux immeubles d’habitation à loyers modérés.
Alors où sont allés les fonds récoltés ?
Depuis 1999 toutefois, les gouvernements successifs ont gelé l’application complète de la loi dans leurs budgets annuels, hostiles au principe d’attribution des revenus de l’Etat à un domaine particulier comme le logement social.
La vente des appartements à leurs locataires étant une idée trop populaire pour être abandonnée, 33 400 appartements ont ainsi été vendus à bas prix à leurs habitants, tandis que 4 100 autres étaient cédés sans réduction particulière.
Selon une enquête publiée par le centre de recherches de la Knesset en octobre 2011, l’Etat aurait engrangé, en tout, 2,75 milliards de shekels de la vente de logements sociaux. Sur cette somme, seuls 1,54 milliard sont allés au ministère du Logement. 1,081 milliard, soit 40 %, se sont retrouvés dans les caisses de l’Agence juive, un transfert âprement critiqué par le Contrôleur de l’Etat en 2008.
Sur l’argent conservé par le ministère du Logement, 680 millions de shekels étaient destinés à des projets immobiliers : il s’agissait d’acheter de nouveaux immeubles pour en faire des HLM, mais aussi de pratiquer des réparations et des rénovations sur le parc de logements existant. Mais les fonds ont également été dépensés en construction de routes et de bâtiments non résidentiels ou consacrés au développement rural.
187 autres millions de shekels ont été versés à des entreprises nationales et 438 ont été réquisitionnés par le Trésor. Les 237,5 millions de shekels restants dorment toujours dans les coffres du ministère du Logement.
Résultat de ces politiques : les logements sociaux disponibles se sont réduits comme peau de chagrin, bien que la population concernée, elle, ait augmenté et que les prix de l’immobilier, tant à la location qu’à l’achat, aient fait un bond. “Quand les gens sont expulsés de chez eux parce qu’ils n’arrivent pas à s’acquitter de leurs remboursements mensuels, où sont-ils censés aller ?”, interroge Barbara Epstein.
Depuis 2000, le prix du logement a augmenté de 40 %, tandis que les salaires, eux, ont stagné, en particulier pour les bas revenus.
Une aide au logement qui laisse à désirer...
Pour remédier à cette situation, Emily Silverman recommande de commencer par déterminer avec précision le nombre de personnes nécessitant bel et bien une aide au logement. “Ce n’est pas en comptant ceux qui ont rempli le formulaire de demande que l’on peut l’estimer”, affirme-t-elle. “Ce qu’il faut savoir, c’est combien de familles nécessiteuses consacrent plus de 50 % de leurs revenus au paiement de leur logement. C’est à ce niveau qu’il faut apporter une aide, car cela laisse peu d’argent pour la nourriture, la santé et l’éducation des enfants.”
Le problème, c’est qu’il n’existe à ce jour aucune statistique de ce genre. “Personne ne connaît la réponse à cette question, pour la bonne raison que personne n’a jugé bon d’aller vérifier”, déplore Emily Silverman. “Et quand on ne sait pas, on n’a aucune raison d’intervenir !” Une fois que l’on aura une image claire des besoins, soutient-elle, il faudra mettre en chantier de grands projets de HLM, afin de combler le déficit qui s’est creusé ces dix dernières années. Elle cite alors une proposition de loi soumise par David Azoulay, du Shas, qui préconise que chaque promoteur ayant obtenu un permis de construire réserve au moins 5 % des appartements prévus au logement social.
Silverman prône en outre la construction ou l’achat immédiat de 10 000 appartements, à ajouter au parc de logements sociaux pour réduire les listes d’attente. “Nous avons besoin de construire de nouveaux immeubles et de rénover les anciens dès que possible”, proclame-t-elle.
Elle estime par ailleurs qu’il faut accroître l’aide au logement pour les personnes en liste d’attente, afin de faire en sorte que la part des dépenses familiales consacrée au logement soit équivalente à celle des familles bénéficiant déjà d’une HLM.
Community Advocacy a fait pression sur les députés de la Knesset pour instaurer une nouvelle autorité gouvernementale qui serait chargée de superviser tous les aspects du problème du logement social. L’association réclame une législation qui étendrait les critères d’éligibilité pour une assistance au logement à toute famille dont le revenu par personne se situe au-dessous du seuil de pauvreté et qui établirait de nouvelles règles d’attribution de l’aide au logement pour les familles en liste d’attente.
Selon Rosenberg, porte-parole du ministère du Logement, le ministre Ariel Atias serait lui-même favorable à une nouvelle législation dans ce domaine. “Le ministre entend tout faire pour que l’Etat prenne ses responsabilités en procurant un logement à tous ceux qui y ont droit. Et en attendant qu’il y parvienne, les personnes dans le besoin doivent recevoir une aide au logement qui soit réaliste.”