Une gauche en perte de repères

Le militant nouveau est arrivé ? Dans les rangs du Meretz ou d’Avoda, l’heure est au changement

Une gauche en perte de repères (photo credit: REUTERS)
Une gauche en perte de repères
(photo credit: REUTERS)
Si certains tendent à mettre sur le même plan la gauche israélienne et européenne, persuadés qu’« il n’y a pas plus anti-israéliens que les Israéliens eux-mêmes » ou que « l’identité juive est en voie de disparition », ils se trompent lourdement. Car les rassemblements pacifiques organisés sur la place Rabin à Tel-Aviv, pendant le récent conflit, n’ont affiché aucun des signes de violence enregistrés à Paris : ni voitures brûlées, ni drapeaux Israéliens déchirés, et ni foules hystériques qui dansent la haine.
Quand le parti socialiste français « craint une réaction militaire disproportionnée » le parti travailliste israélien, lui, « soutient une incursion terrestre » comme la majorité de la Knesset. Quand Europe Ecologie Les Verts « condamne les massacres israéliens » et qu’un de ses élus « dénonce les synagogues de France qui se comportent comme des ambassades », Meretz, parti d’extrême gauche israélien appelle, certes, à un cessez-le-feu, mais assiste aux funérailles des soldats.
Globalement, lors de la récente opération militaire de Tsahal contre le Hamas, le statu quo était de rigueur au sein des principaux partis israéliens. Même le quotidien Haaretz, considéré comme le flambeau de la gauche a mis en avant les soldats tombés à Gaza et l’efficacité du Dôme de fer. En cause : une solidarité nationale exacerbée en temps de guerre, et un regain d’intérêt pour la sécurité d’Israël qui était en sérieuse perte de vitesse parmi la gauche israélienne.
Haro sur le gouvernement, pas sur les soldats
Depuis quelque temps, la gauche (Avoda et Meretz confondus) a perdu le peuple. La menace sécuritaire et le ras-le-bol de l’immigration clandestine ont repris le dessus.
Alors bien sûr, les idéologies restent. Dans un entretien au quotidien en ligne Al Monitor, spécialiste des questions du Proche-Orient, Zehava Gal-On, présidente du parti Meretz, ne cache pas ses ambitions électorales : « Lorsque nous avons soutenu les opérations militaires dans le passé, nos militants nous ont accusés de suivre les autres partis. Cela a été néfaste électoralement, par conséquent, Meretz doit être cohérent avec ses idées. » Et sa réponse aux tunnels ou sa résolution du conflit avec le Hamas n’a pas bougé d’un iota : « Négocier avec Mahmoud Abbas et l’Egypte afin que le Hamas perçoive une compensation financière. » Mais pour autant, Meretz s’est désolidarisé des groupuscules extrémistes qui manifestaient contre l’armée. « Ma position est claire », déclarait ainsi Gal-On, nous appelons à un cessez-le-feu mais en aucun cas nous ne critiquerons notre armée. Je viens tout juste de sortir de l’enterrement d’un soldat dont les parents sont militants au Meretz et nous rendons régulièrement visite aux blessés. Nous critiquons uniquement les options du gouvernement. »
Dans le camp des philosophes et des porte-étendards de la gauche et de son aile pacifiste, le célèbre poète israélien, Amos Oz, fondateur du mouvement « La Paix maintenant », a lui aussi tenu à faire la part des choses. Et d’estimer sur la radio allemande Deutsche Welle, que « l’offensive terrestre d’Israël est excessive », tout en condamnant « la stratégie du Hamas, ciblant les Israéliens comme les Palestiniens, renforçant ainsi le pouvoir à Gaza ».
Inquiétudes chez les bobos de Tel-Aviv
A ces réactions officielles, s’ajoutent celles des citoyens engagés à gauche. Petit détour par Sheinkin, le cœur artistique de Tel-Aviv, qui a été la cible de roquettes à longue portée du Hamas. Cette rue, avec son atmosphère unique, truffée de cafés et restaurants, est réputée pour être le QG des acteurs, musiciens et autres hommes et femmes d’arts ou de lettres.
Curieusement, malgré quelques divergences d’opinions, les réactions n’ont rien à voir avec celles des manifestations « pour la paix » de la place Rabin durant tout l’été, et surmédiatisées par la presse européenne.
Talia et Noam, un couple à l’allure parfaite des hippies chics assumés racontent en « avoir eu marre des tirs incessants de roquettes sur leur ville ». « Au tout début, c’était impressionnant, mais par la force des choses on s’habitue, et cela devient surtout pénible », lâche Noam étudiant en architecture. « Nous reconnaissons le droit des Palestiniens à être souverains dans leur propre Etat, mais attention à ne pas faire d’amalgame entre citoyen palestinien et activiste du Hamas qui est une organisation terroriste, nuisible pour les deux camps », renchérit Talia.
Comme le veut la coutume en Israël, le débat gagne très vite du terrain et fait réagir Ruthy, militante du Meretz. A la question « Faites-vous toujours confiance à votre parti pour résoudre le problème sécuritaire ? », cette enseignante en école maternelle estime : « Les priorités ont changé. Une grande partie du monde arabe est prête à faire la paix avec Israël, et les Palestiniens lambda ne sont plus une menace. Le vrai défi actuellement est d’assurer l’équilibre social et économique de notre pays. Au niveau sécuritaire, les vrais ennemis à combattre sont le Hamas, le Hezbollah et le régime des Mollah en Iran. Des mouvements qu’il faudra combattre avec nos voisins, et pas seuls », lance-t-elle.
De manière globale, on note que les Israéliens sont confortés dans un pessimisme ambiant et désormais, ils prennent de plus en plus conscience que le conflit vécu depuis leur naissance ne se terminera probablement jamais. Car pour beaucoup d’entre eux, issus des rangs de gauche, lorsque ce ne sont pas les Etats arabes, ce sont des mouvements surarmés et très bien organisés qui ont décidé d’en finir avec Israël.
Le cas Haaretz
Lors de la dernière opération Bordure protectrice, Haaretz, connu pour être le pilier de la gauche israélienne, a curieusement recentré ses informations et surtout ses commentaires « en direct » du conflit. Faits inhabituels pour le troisième quotidien israélien, il a fait montre d’une réelle sympathie pour les familles des soldats tués, et largement mis en avant (images et texte) les tirs de roquettes sur les grandes villes israéliennes, au lieu de se concentrer sur la seule souffrance palestinienne.
Pour autant, le journal s’est conformé à son traditionnel positionnement politique très clairement orienté à gauche. Par l’intermédiaire de son directeur de la publication Gideon Levy, et d’autres chroniqueurs, le journal n’a pas caché être en faveur d’un cessez-le-feu – tançant Israël et rarement le camp adverse –, hostile à Benjamin Netanyahou et pour la défense des habitants de Gaza.
On pouvait ainsi lire dans l’édition du 13 juillet 2014 un article teinté d’ironie : « Tuer les Arabes pour retrouver le calme ». Sous la plume de Gideon Levy, on apprenait donc que « depuis la première guerre du Liban, il y a 30 ans, la principale stratégie d’Israël a été de tuer des Arabes » et que « l’actuelle guerre à Gaza correspond à cette stratégie ». Et d’accuser « la société israélienne de se préoccuper de son propre sort et d’être insensible aux populations palestiniennes ». « C’est facile d’être Israélien : votre conscience est transparente et vous avez les mains propres. Tout est de la faute du Hamas. Les roquettes proviennent du Hamas. Le Hamas a commencé la guerre gratuitement sans raison aucune. Le Hamas est une organisation terroriste », écrivait-il encore.
Mais cette fois, Levy est allé trop loin. Plusieurs abonnés, dont des écrivains de gauche comme A.B. Yehoshua ou Irit Dinur ont pris le parti d’annuler leurs abonnements à Haaretz pour dénoncer ses tribunes « anti-israéliennes et malhonnêtes ». 
La gauche ne serait donc plus ce qu’elle était.
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