Arithmétique politique

Le scrutin approche et deux principaux scénarios se profilent. Au jeu des alliances, qui a le plus de chance de former une coalition stable ? Sachant qu’en politique israélienne, rien n’est vraiment prévisible…

Un israélien dans l'intimité de l'urne (photo credit: REUTERS)
Un israélien dans l'intimité de l'urne
(photo credit: REUTERS)
Le système politique israélien est dynamique et imprévisible. On a vu des partis qui bénéficiaient d’un large soutien dans l’opinion publique le temps d’une campagne, totalement disparaître du paysage politique à la suivante. On a vu des personnalités qui ont fait carrière à droite de l’échiquier, se retrouver à gauche, dans un battement de cil. On a vu des formations brisées par un scandale, quand d’autres étaient au contraire portées par des bouleversements géopolitiques. C’est un pays où le cottage peut inverser les sondages… Pour toutes ces raisons, la politique israélienne reste une énigme.
Les résultats de ces élections sont plus incertains encore que ceux des scrutins précédents. Cette fois, le bloc de gauche pose un réel défi à la droite au pouvoir. Mais surtout, il y a tous ces petits partis qui n’ont pas encore choisi leur camp et pourraient être tentés de rejoindre l’une ou l’autre des deux principales formations pour former une coalition.
On peut cependant imaginer deux principaux scénarios. Celui d’une coalition menée par le Likoud, que rejoindraient HaBayit HaYehoudi, Israël Beiteinou, Koulanou, Shas et Yahadout Hatorah, ce qui représenterait un total de 66 sièges à la Knesset, selon les derniers sondages. Ou celui d’une coalition menée par la liste unifiée du parti travailliste et de Hatnoua, rejoints par Yesh Atid, Koulanou, Meretz, le Shas et Israël Beiteinou. Soit un total de 63 sièges. Sauf que le parti russophone vient de jeter un doute supplémentaire sur la plausibilité d’une telle union.
Le jeu des alliances
La première coalition, celle dirigée par le Likoud, naîtrait d’une alliance naturelle. Le parti actuellement au pouvoir et HaBayit Hayehoudi ont prouvé ces deux dernières années qu’ils sont capables de travailler ensemble. Le chef de file de Koulanou, Moshé Kakhlon, est un ancien « likoudnik ». Il était l’un des ministres les plus populaires du parti avant de le quitter et de former son propre mouvement. Israël Beiteinou était allié au Likoud lors de la précédente campagne et les deux partis sont restés en bons termes après leur scission. Enfin le Shas et Yahadout Hatorah, les deux partis orthodoxes, ont toujours été des alliés naturels de Netanyahou. Ils ont été laissés sur la touche du précédent gouvernement uniquement à cause de l’insistance de Yaïr Lapid, dont la plateforme de campagne s’opposait à l’agenda harédi.
Le second scénario envisageable est celui d’une victoire du Camp sioniste. Le parti travailliste et Hatnoua pourraient alors être rejoints par Meretz et Yesh Atid pour former une alliance de la gauche laïque. Un rapprochement tout à fait légitime, mais qui risque bien de ne pas suffire. Itzhak Herzog devra alors chercher des partenaires au-delà de ses affiliations naturelles, et c’est là que la situation se corse.
Il devra dans un premier temps convaincre Moshé Kahlon de se joindre à lui. Cela peut paraître facile : le parti travailliste et Koulanou centrent tous deux leur campagne sur les questions socio-économiques et la réduction du coût de la vie. Mais leurs stratégies sont en réalité opposées. Le parti travailliste a pour tradition de soutenir une hausse de l’aide sociale, alors que le cheval de bataille de Kahlon est de briser les monopoles et d’encourager la compétition. En outre, Kahlon n’a pas caché son ambition de se voir confier le ministère des Finances. Mais ce portefeuille tant convoité risque de ne pas être libre dans un gouvernement dirigé par le Camp sioniste, Herzog l’ayant déjà promis à Manuel Trachtenberg.
Meilleurs ennemis ou pires amis
Le chef de file du parti travailliste devra ensuite convaincre Yaïr Lapid, laïc invétéré, de s’asseoir aux côtés du faiseur de rois du système politique israélien : le parti orthodoxe Shas. Au premier coup d’œil, cette association semble impossible. Et pourtant. La victoire d’Aryé Déri sur son rival Eli Yishaï à la tête du parti orthodoxe séfarade est aussi une victoire pour le bloc de gauche. Car à l’inverse de Yishaï, très à droite sur les questions diplomatiques, Déri a déjà prouvé qu’il était à gauche de l’échiquier. Même sur le plan socio-économique, l’actuel chef du Shas est plus proche de l’agenda du parti travailliste que de celui du Likoud. Personne ne sera donc surpris s’il achemine sa base électorale, plutôt ancrée à droite, vers une coalition de gauche. Quant à l’incompatibilité entre le Shas et Yesh Atid, les deux leaders pourraient trouver un compromis. Lapid, conscient des enjeux en cours, a déjà déclaré plus tôt ce mois-ci que, si l’égalité des citoyens devant le devoir civique était respectée, « nous n’aurons aucun problème à nous asseoir ensemble ».
Le troisième obstacle, et certainement le plus insurmontable, qui se dresse sur le chemin d’une coalition de gauche est Avigdor Liberman. Même si son parti est en chute nette dans les sondages, le chef de la diplomatie israélienne continue de souffler le chaud et le froid sur la scène politique. Après avoir volontairement fait planer le doute sur ses intentions, Liberman semble avoir pris sa décision : « Nous n’avons jamais zigzagué, nous n’avons pas voté pour le désengagement, nous n’avons pas cédé Hébron. Une chose doit être claire : jamais Israël Beiteinou ne siégera au sein d’un gouvernement de gauche », a-t-il clamé ce lundi, scellant ainsi le sort d’une éventuelle coalition de gauche. Même avant ces déclarations, il semblait improbable que le parti russophone accepte de s’allier au parti d’extrême gauche Meretz, qui défend haut et fort les concessions aux Palestiniens. « Hors de question », avait répondu Liberman il y a quelques semaines, interrogé sur la possibilité de siéger aux côtés de Zehava Gal-On.
Une troisième possibilité doit donc être envisagée : celle d’un gouvernement d’union nationale, dirigé par le Camp sioniste ou par le Likoud. Après une campagne agressive, basée sur des accusations mutuelles, il est difficile d’imaginer Herzog ou Netanyahou inviter leur principal adversaire au sein même de leur coalition. Mais ces derniers pourraient n’avoir d’autre choix au lendemain des résultats. Liberman a d’ailleurs fait allusion à un tel scénario : « Quand je vois Bibi et Bouji déclarer publiquement qu’ils n’envisagent pas l’option d’un gouvernement d’union, j’en déduis qu’ils sont sûrs et certains qu’ils formeront un gouvernement d’union. » Comme nous l’avons dit précédemment, la politique israélienne est imprévisible et ne répond à aucune règle.
Enfin dernière donnée à prendre en considération : le nouveau parti d’Eli Yishaï, Haam Yahad Itanou qui vient de s’allier avec l’extrême-droite de Baroukh Marzel et sa formation Otzma Leisrael. Si ce nouveau parti hybride parvient à dépasser les 3,25 % nécessaires – ce qui semble être le cas –, ce sera une victoire pour le bloc de droite, puisque Yishaï comme Marzel sont des partenaires naturels de Netanyahou.
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