Bataille autour des conversions

Faciliter les démarches de conversion : telle est l’ambition de la loi Stern. Retour sur une réforme très controversée qui a bien failli briser la coalition gouvernementale

Bataille autour des conversions (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Bataille autour des conversions
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
D’après la loi rabbinique, Caitlin Brockett est juive ; tout ce qui lui manque encore pour le prouver est un bout de papier. Née chrétienne, Caitlin a grandi dans une ville située à trois heures de route d’Auckland en Nouvelle-Zélande. Sans rien connaître au judaïsme, la jeune femme a compris qu’elle était destinée à devenir juive dès le moment où elle a mis les pieds en Israël. « C’était un sentiment très étrange : j’avais grandi dans un endroit que j’avais considéré toute ma vie comme ma maison, mais lorsque je suis arrivée en Israël, où tout était pourtant à l’opposé de ce que j’avais connu, je ne me suis jamais sentie autant chez moi », affirme-t-elle.
Après un processus de conversion de trois ans, la seule chose qui s’oppose désormais au couple Brockett, devenu Baruch, pour être pleinement considéré comme juif, est la bureaucratie du pays : leurs certificats de conversion doivent leur parvenir, mais personne ne sait vraiment quand. Et sans ces certificats, l’Etat leur interdit de travailler et de toucher un salaire.
Après des années de bataille politique autour de la question des conversions qui allait jusqu’à menacer l’actuelle coalition, le Cabinet a finalement décidé le 3 novembre de desserrer le nœud qui étrangle des milliers de convertis.
Les discussions autour de la nouvelle loi ont agité la Knesset pendant des mois. Le sujet tenait particulièrement au cœur des députés ultraorthodoxes (18 sièges sur 120 au Parlement) et des autres élus tel le parlementaire Elazar Stern, à l’origine de la réforme. Lui-même orthodoxe, Stern, issu du parti de centre gauche Hatnoua, s’est souvent heurté, en raison de ses positions, à l’establishment religieux, à la fois durant sa longue carrière militaire et depuis qu’il siège à la Knesset.
La manière dont ce nouveau mode de conversion plus libéral doit fonctionner reste encore à voir. Les hautes autorités rabbiniques, quant à elles, ont déjà menacé de ne pas reconnaître les nouvelles conversions. Car le problème de fond est là : la nouvelle directive du gouvernement vient briser le monopole actuel du Beth din sur la validation des conversions. Jusqu’à présent, seules 30 personnes désignées par le Grand Rabbinat étaient habilitées à délivrer les conversions. Alors qu’avec le nouveau système, les rabbins de chaque ville pourront statuer sur de telles décisions.
Les pour et les contre
Selon les partisans de la loi, cette évolution va faciliter la vie des convertis.
« Pour résumer les choses, on peut dire que dans le temps, la conversion était une démarche personnelle entreprise par un individu dans le cadre d’une communauté locale, mais elle est progressivement devenue une démarche administrative », affirme le rabbin Seth Farber. Le centre d’aide juridique qu’il dirige a déjà assisté des milliers de personnes en difficulté avec le Grand Rabbinat. « Par le passé, vous connaissiez le nom du rabbin qui vous convertissait. Aujourd’hui, les convertis ont affaire à un rabbin issu d’une autorité centralisée ; ils ne connaissent pas son identité, ils ne savent pas où il se trouve ni sa fonction exacte. Résultat : ils ne savent jamais où ils en sont », ajoute le rabbin Farber.
Du côté des opposants au changement, on affirme que lorsque les conversions étaient gérées au niveau local, c’est-à-dire avant 1995, les tribunaux mis en place étaient trop conciliants et corrompus. C’est du moins l’argument brandi par les Grands Rabbins Itzhak Yossef et David Lau face à Benjamin Netanyahou. Et ces derniers affirment également que ces conversions accordées « au petit bonheur la chance » par des rabbins non qualifiés pour cette tâche ne seront pas reconnues partout, et que cela pénalisera les personnes converties.
Mais l’opposition la plus virulente à la réforme est venue des harédim, qui clament haut et fort que cette libéralisation du système de conversion permettra à des non-juifs de se croire juifs, et d’être considérés comme tels. Selon eux, le processus de conversion se doit d’être ardu.
Caitlin Brockett sait mieux que personne que la conversion en Israël n’est pas faite pour les faibles. Durant la majeure partie du processus, cette famille de six personnes a vécu dans un mobile-home sans électricité. Dans l’incapacité de travailler, leur budget était plus que serré. Durant les 9 mois requis pour leur instruction religieuse, Caitlin et les siens faisaient 3 heures de voyage aller-retour dans des bus blindés, depuis l’implantation où ils vivaient, jusqu’à la yeshiva réputée du Machon Meir et son séminaire pour femmes.
Mais malgré toutes les difficultés rencontrées, la Néo-Zélandaise estime que c’est au Grand Rabbinat de continuer à s’occuper des conversions : « Bien sûr, le fait de pouvoir s’adresser au rabbin de la ville facilitera le processus. Mais cela permettra aussi à plus de gens de devenir juifs, y compris des personnes qui ne sont pas forcément sincères. Et c’est tout l’acte de conversion qui perdra de sa valeur. C’est un parcours difficile, mais le seul moyen d’obtenir une conversion valable est de passer par le Grand Rabbinat. »
Juive, un point c’est tout
Tout le monde ne va pas au bout du processus de conversion. Selon un rabbin de Tel-Aviv, qui prépare les candidats, le pourcentage de personnes qui deviennent effectivement juives se situe aux alentours des 30 %.
Mais la réforme vise essentiellement ceux qui n’ont jamais entamé de démarches pour se convertir.
Actuellement, 350 000 personnes, soit 4 % de la population, ont un statut religieux flou. Beaucoup ont obtenu la nationalité israélienne a la faveur de la loi du Retour, qui permet à ceux qui se réclament d’au moins un grand-parent juif d’immigrer en Israël ; cependant, ces citoyens se trouvent privés de tout droit religieux au regard du Grand Rabbinat, qui ne reconnaît comme juifs, que ceux nés d’une mère juive ou convertis suivant le processus requis. Sont donc exclus à la fois les immigrants bénéficiant de la loi du Retour, et les citoyens nés en Israël, dont la mère n’est pas juive, qui se considèrent pourtant souvent comme tels et servent dans l’armée. Ils ne reçoivent donc pas l’approbation du Grand Rabbinat pour se marier. C’est d’ailleurs de façon généralement brutale qu’ils se rendent compte tôt ou tard qu’une grande partie du gouvernement ne les considère pas du tout comme juifs.
Sara Ezra Torf-Fulton, adoptée par des parents juifs, a grandi en tant que juive aux Etas-Unis. C’est seulement lorsqu’elle a voulu se marier avec son fiancé israélien qu’elle a appris qu’elle n’était pas considérée comme juive par le rabbinat. Elle affirme alors avoir été profondément « choquée », et s’être sentie « insultée ». Refusant d’entamer un processus de conversion qui l’aurait contrainte à une pratique religieuse stricte, elle a préféré se marier à Chypre. Reconnaissance du rabbinat ou non, Sara se considère comme juive.
Un écran de fumée ?
D’ailleurs, une grande partie de la population lui donne raison : selon un récent sondage, 26 % des juifs israéliens considèrent comme juifs toute personne qui se définit comme telle ; tandis que 30 % des personnes interrogées affirment que ceux qui ont servi dans l’armée, qui vivent en Israël et parlent hébreu doivent être considérés comme juifs.
Ceux qui prônent la réforme y voient un moyen de faire amende honorable envers des personnes comme Sara, qui sont soit découragées par la lourdeur du processus de conversion actuel, soit rebutées par l’idée même d’avoir à se convertir. On reproche au système en vigueur son fonctionnement kafkaïen, avec ses lourdeurs administratives qui amènent les candidats à la conversion à s’enliser dans un processus interminable. Et qui empêche des personnes juives de plein droit d’être reconnues formellement comme telles.
« Cette réforme constitue un argument solide pour approcher ces gens, en leur disant : “Nous sommes avec vous, nous voulons vous accepter parmi nous” », explique Benjamin Ish Shalom qui dirige l’institut de conversion du Joint, et qui a longuement travaillé aux côtés du gouvernement israélien pour contrôler et finalement réformer le système de conversion.
D’autres se montrent moins tolérants : « Les progressistes comme Ish Shalom font tout pour étouffer le vote harédi en amenant des non-juifs au sein de notre peuple », affirme par exemple un ultraorthodoxe.
D’après le rabbin Farber, l’idée selon laquelle la réforme des conversions provoquerait la dissolution du peuple juif est « totalement irrecevable » : « Ce n’est qu’un “écran de fumée” permettant au grand rabbinat de s’arroger de façon arbitraire le pouvoir de décision face aux conversions. N’importe qui peut se rendre compte que les responsables actuels de la procédure ont été désignés pour des motifs politiques. La plupart d’entre eux n’ont pas de plus grandes connaissances en matière de halakha (loi juive) que les rabbins locaux. Les gens sacralisent ces 33 rabbins sans même considérer vraiment leurs compétences. Les dangers d’une telle centralisation des pouvoirs sont grands », affirme-t-il. Chaque année, 3 500 personnes font appel à son organisation pour recevoir une aide face au rabbinat et à sa bureaucratie. L’une d’entre elles raconte : « La conversion est un processus très invasif ». Cette jeune femme redoute de ne pas pouvoir satisfaire à tous les critères du Grand Rabbinat, notamment en matière de fréquentations et d’environnement : « Je ne peux pas garantir que mon environnement sera complètement religieux et cachère durant ma conversion. Je ne peux pas faire de lavage de cerveau sur mes colocataires, ni changer la vie des personnes autour de moi. »
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