Dans la cour des grands

Certains encouragent sa démarche. D’autres l’accusent de cultiver le communautarisme à des fins personnelles. L’entrée en politique d’Avraham Azoulay divise. Entretien.

Dans la cour des grands (photo credit: HADAS PARUSH)
Dans la cour des grands
(photo credit: HADAS PARUSH)

La décision a été prise dans l’urgence. Les deux hommes se connaissaient pourtant depuis longtemps. Avraham Azoulay s’était immédiatement pris d’amitié pour Naftali Bennett, débarqué dans ses bureaux il y a presque trois ans, avec la promesse de ressusciter le clan vieillissant du sionisme religieux. Il lui avait alors ouvert les pages de son hebdomadaire. L’avait aidé à conquérir le cœur des francophones avant le scrutin de 2012. C’est donc naturellement vers lui que le chef du parti se tourne, quand Yoni Chetboun, président du lobby francophone à la Knesset, quitte la formation. Pour HaBayit HaYehoudi, le risque est réel : perdre une partie de son électorat français. Bennett appelle Azoulay dès le lendemain, et le propriétaire du Plus Hebdo accepte. La politique le démangeait depuis un moment. Les valeurs de HaBayit HaYehoudi sont les siennes, sionisme et judaïsme ; défendre la cause des francophones est déjà son pain quotidien. Alors il se lance sans hésiter.

La cause des nouveaux immigrants ne lui est pas nouvelle. Il était largement impliqué dans les coulisses du lobby francophone. Ce dernier, même s’il n’enregistre pas de réelle victoire – mise à part la reconnaissance des diplômes, un acquis récent que tout le monde revendique –, a éveillé l’intérêt de la classe politique pour une communauté francophone de plus en plus présente. Une force électorale, qui a aussi des attentes, précise Azoulay. Le premier chapitre de son programme sera donc consacré à l’intégration. D’abord, il faut prolonger l’oulpan. Fini ces olim qui ne possèdent pas la langue. Et puis, Israël est un nouveau départ, qui fait souvent naître de nouvelles vocations. Azoulay propose une évaluation professionnelle, des stages rémunérés, une aide à la création d’entreprises. Donner les outils d’une aliya réussie. Et il se veut le représentant de tous les olim, pas seulement ceux de l’Hexagone. Il s’imagine déjà chez lui à la Knesset. Se voit taper à la porte des différents ministères pour défendre la cause des nouveaux immigrants. Optimiste, un peu rêveur.
Communautarisme ou intégration, un modèle à la française
L’entrée en politique de deux personnalités d’origine argentine a été très médiatisée ces derniers jours. Dany Dayan, de HaBayit HaYehoudi, ancien président du Conseil des implantations juives de Judée-Samarie et, dans le camp de gauche, Manuel Trachtenberg, qui a dirigé la commission du même nom, chargée d’étudier les revendications de la révolte des tentes à l’été 2011, ont de fortes chances d’entrer à la prochaine Knesset. Mais aucun d’entre eux ne représentera sa communauté d’origine.
Au même moment, on apprend les limites du vote sectoriel. Avigdor Liberman a fait un constat crucial ces derniers mois : les immigrants de l’ex-Union soviétique semblent ne plus voter en bloc. Quel exemple doit-on donner aux nouveaux olim de France ? Celui d’un député d’origine française dont l’entrée à la Knesset représente la consécration d’une intégration parfaitement réussie, ou celui d’un représentant communautaire ? Avraham Azoulay n’est pas blessé par la question et confie : certains lui ont proposé de retarder son entrée en politique, de se lancer dans un an ou deux à la tête d’un parti francophone. « Que Dieu m’en préserve », leur a-t-il répondu. « J’ai rejoint un parti israélien. Je veux que les Français deviennent Israéliens. Je ne suis plus un olé hadash, j’ai réussi mon intégration, mais je me souviens des difficultés rencontrées. » Ni argentin, ni russe, le modèle français sera donc quelque part entre les deux.
L’objectif de ces élections est de former un bloc nationaliste fort, poursuit-il. Il imagine déjà une coalition dirigée par le Likoud, avec Habayit HaYehoudi et les orthodoxes. Les électeurs vont-ils pardonner à Bennett son alliance avec Lapid ? Pour Azoulay, les calculs politiques font partie des règles du jeu. Si Bennett ne s’était pas allié avec Yesh Atid, personne ne parlerait de lui aujourd’hui. Les harédim accepteront-ils de s’asseoir avec Bennett, qui a été le fer de lance de la loi sur l’enrôlement des orthodoxes dans l’armée et la réforme de la conversion ? Azoulay ne sourcille pas. Oui, il est pour l’enrôlement des harédim dans Tsahal. Que les élites restent dans les yeshivot et étudient la Torah, les autres doivent servir leur pays et travailler. Mais tout doit se faire dans l’entente mutuelle, quitte à réviser ses lois, à arrondir les angles pour ne pas laisser la gauche au pouvoir. Après tout, la politique, c’est un business comme un autre.
Peu de chances, mais beaucoup d’espoir
HaBayit HaYehoudi a ouvert les adhésions au grand public à la mi-décembre. Avraham Azoulay avait moins de deux semaines pour convaincre les Français de s’inscrire sur les listes du parti. Rien n’a été laissé au hasard, interviews, campagne sur les réseaux sociaux… et le résultat est honorable : plus d’un millier de nouveaux inscrits. Le candidat est satisfait, mais réaliste : cela ne lui suffira pas pour être élu député. Du point de vue de Bennett, le calcul était simple, Azoulay entrait avec une belle dot. Mais pour Azoulay, rien n’est gagné. Si le chef de la formation a le pouvoir de nommer 3 candidats sur sa liste, pour l’instant, il n’a garanti un siège qu’à Ynon Magal, rédacteur en chef du site Walla. Le fondateur du LPH n’a lui pas de place réservée, affirme-t-il avec une pointe d’amertume.
Pour s’assurer de mettre toutes les chances de son côté, Bennett a même recruté un autre francophone, le docteur Yehouda David. Les primaires auront lieu le 14 janvier. Pour espérer entrer à la Knesset, l’idéal serait d’arriver dans les 15 premiers. Or sur la liste, 4 places sont réservées à des membres de Tekouma et 3 autres à des femmes. 36 candidats
se disputent donc 5 ou 6 places libres. Conscient que le vote francophone ne suffira pas à le hausser à une place réaliste, Avraham Azoulay s’emploie à faire du charme aux électeurs israéliens.
Après l’attentat de Toulouse, le natif de la ville rose, donne plusieurs interviews à des médias français et se rend compte de son pouvoir de hasbara. Pour Azoulay, la meilleure défense, c’est apparemment l’attaque. Si le parlement français reconnaît l’Etat palestinien, lui, propose de créer une autonomie musulmane à Lille. « Si les Français décident de notre sort ici, alors pourquoi nous, à la Knesset, ne déciderions-nous pas du leur ? » Moitié sérieux, moitié provocateur.
Mais il revient toujours à l’aliya, pour lui, la meilleure force du pays. Les olim apportent dans leurs valises de nouveaux talents, de nouvelles idées, de nouveaux génies. Avraham Azoulay veut que l’aliya devienne la vraie force d’Israël, puisque le kibboutz galouyot (rassemblement des exilés) est le ciment de son essence. Une aliya qui pourrait être la solution au conflit israélo-palestinien : « Imaginez 100 000 olim par an qui viennent peupler la Judée-Samarie… » Un discours enflammé. Azoulay a déjà adopté le franc-parler à la Bennett. Mais il a encore les pieds sur terre. S’il ne passe pas cette fois, il retentera sa chance aux prochaines élections. Car le virus de la politique l’a piqué. « Dans ce pays, la politique c’est tout », confie-t-il. « C’est la vie, c’est la mort, c’est la religion, c’est la terre, c’est la guerre ou c’est la paix. »
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