Le retour en force des harédim

Après deux ans dans l’opposition, les partis ultraorthodoxes sont prêts à retourner dans les couloirs du pouvoir. Mais à quel prix ?

Yaakov Litzman est confiant. Le prochain gouvernement se fera avec les ultraorthodoxes (photo credit: YOEL LEVI)
Yaakov Litzman est confiant. Le prochain gouvernement se fera avec les ultraorthodoxes
(photo credit: YOEL LEVI)
Depuis 1981, les partis ultraorthodoxes, Shas et Yahadout Hatorah, ont joué des rôles clés dans les coalitions de droite comme de gauche dans 11 des 15 derniers gouvernements. Mais pas dans le dernier : c’était la condition sine qua non de Yaïr Lapid de les laisser sur le banc de touche. Un hors-jeu forcé pendant lequel ils ont essuyé d’importants revers sur les sujets qui leur tiennent le plus à cœur : le budget des yeshivot, les allocations familiales et la conscription obligatoire.
La roue tourne en politique. Alors que les derniers sondages prédisent que la force électorale de Yesh Atid s’épuise et que Yaïr Lapid risque bien de siéger à son tour dans l’opposition, les harédim ont le vent en poupe. A moins de six semaines des élections, ils se présentent comme le levier d’une prochaine coalition quelle qu’elle soit. Impossible pour un éventuel gouvernement de centre gauche dirigé par Itzhak Herzog de les exclure de l’équation. Et au cas où le Premier ministre Benjamin Netanyahou se retrouverait à la tête d’une coalition de centre droit, tout porte à croire qu’il y accueillerait chaleureusement ses anciens alliés.
Yaakov Litzman est un vétéran de la politique. Il est l’un des députés harédim les plus reconnus, en première place sur la liste de son parti Yahadout Hatorah. Cette fois, Litzman est plus confiant que jamais. Il confie au Jerusalem Post que le 34e gouvernement de l’Etat d’Israël se fera bel et bien avec les ultraorthodoxes. Et une chose doit être claire : pas question pour ces derniers de s’asseoir avec l’ennemi numéro 1 du monde religieux : Yaïr Lapid. « Comment pourrions-nous nous asseoir avec celui qui a fait couler notre sang, a empêché des familles d’avoir du poulet sur la table de shabbat, et nous a heurtés dans tout ? », s’insurge-t-il.
Faire monter les enchères
Si les harédim ont conscience d’être des partenaires clés pour le prochain gouvernement, ils ont bien l’intention de faire monter les enchères. Leur entrée dans la coalition aura un prix. « Il est clair que nous allons exiger des changements, comme le fera Lapid, comme le fera Kakhlon ou Herzog […] Je ne dévoilerai pas maintenant ce que nous demanderons après les élections parce que les gens vont dire : “Tu as vu, ils demandent ça et ça…” Malheureusement, quand les autres partis imposent leurs requêtes dans les négociations de coalition, c’est légitime, mais quand nous demandons quelque chose, on nous qualifie d’extorqueurs […] Je ne vais pas vous dire quel est notre agenda, parce que nous avons pris cette décision, et que nous ne voulons pas que la campagne électorale se concentre sur cela. »
Litzman marque un point. La semaine dernière, une faction radicale du monde harédi a manifesté contre l’arrestation d’étudiants de yeshiva qui avaient refusé de s’enrôler dans les rangs de l’armée, bloquant les axes principaux à travers tout le pays. L’information a fait les gros titres de la presse, et Yesh Atid a immédiatement utilisé les images des émeutes à des fins politiques, revenant sur le fait que son parti a initié la loi sur la conscription obligatoire des étudiants de yeshiva. Sans préciser toutefois que cette loi ne sera entièrement appliquée qu’en 2017. Ce qui laisse assez de temps à Litzman et ses collègues pour obtenir certaines modifications du texte. Les partis ultraorthodoxes pourraient demander que soit revu à la baisse le nombre d’étudiants de yeshiva qui devront abandonner les bancs d’étude pour les rangs de Tsahal.
Autre sujet sensible : réévaluer les coupes sévères dans les salaires de ces étudiants de yeshiva, entaillés de moitié par le précédent gouvernement. Telles seront certainement les conditions de l’entrée de Shas et de Yahadout Hatorah au sein de la prochaine coalition. « Nous irons au plus offrant », explique Litzman. « Quiconque voudra former un gouvernement avec nous, devra accepter nos conditions. »
Même si leurs chances d’entrer au prochain gouvernement sont presque assurées, les deux partis orthodoxes doivent faire face, en leur sein, à des challenges politiques. Pour le Shas, le départ d’Eli Yishaï menace d’amputer le parti de plusieurs milliers de voix. Pour Yahadout Hatorah, le groupe radical qui a manifesté cette semaine – plus connu sous le nom de Faction Jérusalem, et qui représente environ 70 000 électeurs – a annoncé qu’il ne soutiendrait pas Yahadout Hatorah au prochain scrutin. Parallèlement à ces menaces, les partis harédim sont également confrontés à des changements, lents mais visibles, qui chahutent le monde orthodoxe.
Un monde harédi en mutation
Parmi les questions récemment soulevées : la place des harédim dans le monde du travail, et surtout, la place des femmes, qui apportent traditionnellement le salaire principal dans les foyers religieux. De nouvelles statistiques gouvernementales montrent que 80 % des femmes orthodoxes travaillent, alors que la moyenne nationale est de 75 %. Sur ce point Litzman ne joue pas aux devinettes : « Nous aidons ceux qui veulent arrêter d’étudier et rejoindre le marché de l’emploi, mais nous n’encourageons personne à quitter la yeshiva pour aller travailler, nous encourageons à étudier la Torah, parce que la Torah est notre raison de vivre. »
Depuis le lancement de la campagne électorale, les femmes orthodoxes refusent de rester dans l’ombre. Deux initiatives ont vu le jour, exigeant une représentation féminine à la Knesset. Mais Shas et Yahadout Hatorah ont tous deux refusé que les femmes soient sur le devant de la scène, invoquant la loi juive et les règles de décence. Litzman insiste : une telle représentation n’a pas de raison d’être, celles qui ont entamé ce combat ne représentent pas la majorité des religieuses. « Jamais une femme harédite ne m’a parlé du besoin d’une représentation féminine, et même si certaines l’avaient fait, ma réponse aurait été non. C’est la loi juive qui l’interdit, depuis des générations […] Nous défendons les intérêts des femmes au même titre que les autres partis, si ce n’est mieux », insiste-t-il, rappelant que d’après un récent sondage publié dans Haaretz, 89 % des électeurs de Yahadout Hatorah se disent amplement satisfaits de leurs représentants, un chiffre qui comprend forcément des électrices, argue Litzman.
Si la communauté harédite connaît de mini-révolutions, l’obédience de ses membres à ses rabbins, qui ont appelé à voter en masse au prochain scrutin, assurera aux partis ultraorthodoxes une place de choix dans la carte politique israélienne. Yahadout Hatorah et Shas pourraient ainsi former un bloc auquel il sera difficile de dire non.
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