Une brèche dans la démocratie

Officiellement, le projet de loi est censé protéger la presse écrite. Officieusement, il vise le quotidien gratuit Israel Hayom, populaire et engagé. Dans les coulisses d’un vote controversé…

Une brèche dans la démocratie (photo credit: WIKIPEDIA)
Une brèche dans la démocratie
(photo credit: WIKIPEDIA)
La Knesset s’est discréditée. La démocratie israélienne a été entachée la semaine dernière, quand une très large majorité de députés ont fait passer en première lecture la loi qui vise directement le quotidien Israel Hayom.  Mais les partisans du texte ne semblaient pas s’inquiéter de la brèche sans précédent qu’ils étaient en train de créer dans la liberté d’expression israélienne. Au contraire, dans une langue de bois digne de l’époque bolchévique, ils se sont félicités d’agir au nom de la démocratie.
Officiellement censé protéger la presse écrite, le texte proposé par le député travailliste Eitan Cabel cherche clairement à interdire la distribution gratuite du journal. Les 43 députés, issus de tous horizons politiques qui l’ont soutenu, ont apparemment omis le fait que les revues gratuites sont devenues monnaie courante ces dernières années.
Et quand on sait qu’il est de notoriété publique que l’initiative a été orchestrée par Noni Mozes, éditeur du journal concurrent Yediot Aharonot - qui avant l’arrivée d’Israel Hayom dominait totalement le marché des médias de masse - l’attitude des membres de la Knesset est absolument inacceptable.
Leur mobile est évident. Israel Hayom, qui au fil des  ans s’est avéré être le quotidien le plus lu par les Israéliens, affiche une ligne éditoriale proche de celle du gouvernement. A l’inverse de ses concurrents. Sans aucune inhibition, Eitan Cabel a d’ailleurs accusé le quotidien d’être « le chien de garde » de Netanyahou et décrit son projet de loi comme étant « en faveur du pluralisme d’opinions »
La ministre de la Justice Tsipi Livni, chef de file du parti Hatnoua, a ignoré l’avis de son propre ministère qui a qualifié la loi d’inconstitutionnelle, et a impunément appelé à la fermeture du quotidien, « un journal de propagande » selon elle, doté « d’un agenda dangereux ».
Pourtant, même si Israel Hayom est en effet orienté centre-droit, il laisse la place au pluralisme. Une de ses principales plumes, Dan Margalit, incontestablement un des meilleurs journalistes israéliens, ne se gène pas pour critiquer la politique du gouvernement. Et je retrouve souvent mes chroniques à côté de celles de Yossi Belin, qui peut difficilement être considéré comme un fan de Benjamin Netanyahou.
Faire les yeux doux au Yediot Aharonot
Mais là n’est pas la question. Le Parlement n’est pas à même d’approuver ou non la ligne éditoriale de tel ou tel journal. Personne n’a mandaté la Knesset pour fermer le journal post-sioniste de gauche Haaretz, que beaucoup décrivent comme l’un des principaux véhicules de la propagande anti israélienne. Israël pouvait se vanter d’une liberté d’expression sans faille, jusqu’à ce qu’une loi qui bafoue ce principe soit votée en première lecture.
Comment Isaac Herzog, chef de file du parti travailliste, qui ne cesse de déplorer l’érosion des valeurs démocratiques, justifie-t-il son soutien au projet ? Zahava Gal On, à la tête du parti d’extrême-gauche Meretz, aura, pour sa défense, voté contre.
De façon paradoxale, le soutien ne venait pas uniquement de la gauche, mais de l’ensemble de l’échiquier politique, y compris des membres de la coalition.
Au centre, comment expliquer que la quasi-totalité des députés Yesh Atid, le parti du ministre des Finances Yair Lapid, lui-même ancien journaliste de Yediot Aharonot, se soient prononcés en faveur du texte ?
Sans parler de ceux du camp national qui ont soutenu la loi dans le simple but de châtier Netanyahou et s’attirer les faveurs du Yediot Aharonot. Comme Naftali Bennett, leader de HaBayit HaYehoudi. Une façon de prendre sa revanche contre le journal, qui a publié à plusieurs reprises des articles critiquant sa politique, et de se faire « adopter » par le Yediot Aharonot. A la dernière minute, cédant à la pression de son électorat, Bennett s’est toutefois abstenu et la plupart de ses députés ont voté contre.
Dans les coulisses, le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman a fait alliance avec Cabel. Le chef du parti Israel Beitenou, qui n’a pas la langue dans sa poche et fustige tous ceux qui considèrent Mahmoud Abbas comme un modéré et un partenaire de paix, aurait dû se réjouir de l’influence d’Israel Hayom. En soutenant cette loi, il a montré son vrai visage, celui d’un politicien prêt à sacrifier l’intérêt du camp nationaliste pour son intérêt personnel et sa vendetta contre le Premier ministre.
Rien n’est encore perdu. La loi n’est passée qu’en première lecture et si la raison l’emporte, elle sera probablement enterrée en commission. Sinon, il est plus que probable que la Cour Suprême la jugera anticonstitutionnelle et l’invalidera.
Mais peu importe l’issue, ce vote aura sévèrement remis en doute l’intégrité et les motivations de certains députés. En espérant que le public s’en souviendra aux prochaines élections. 
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