La guerre des rabbins

Face aux violences de ces dernières semaines, une véritable guerre d’opinions s’est déclenchée entre rabbins orthodoxes et sionistes-religieux autour de la question du mont du Temple

La guerre des rabbins (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
La guerre des rabbins
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Le rav David Yossef, membre du Conseil des Sages de la Torah du parti Shas, et fils de feu le rav Ovadia Yossef, l’ancien leader spirituel du parti, a écrit au Premier ministre Benjamin Netanyahou pour lui demander de fermer l’accès du mont du Temple aux juifs. Le rav Yossef, qui n’a pas hésité il y a quelques mois à désigner la communauté sioniste-religieuse comme « la plus grande menace actuelle pour le judaïsme », n’est pas le premier à exprimer des critiques envers ceux qui se rendent sur le site ; les membres du parti Shas s’en prennent ainsi régulièrement aux rabbins sionistes religieux qui considèrent de leur côté, que ces visites sont tout à fait permises. Le débat se joue donc à deux niveaux : politique et idéologique.
Plusieurs figures du parti HaBayit HaYehoudi se sont élevées contre ces critiques. Le vice-ministre de l’Education Avraham Wortzman rejette ainsi fermement les allégations de ceux qui imputent les attaques terroristes aux provocations causées par la présence de juifs sur le mont du Temple. Il s’insurge également contre les interdictions rabbiniques concernant de telles visites.
Dans sa lettre à Benjamin Netanyahou, le rav David Yossef fait référence aux travaux de son défunt père en matière de halakha : le rav Ovadia Yossef, s’appuyant sur de nombreuses opinions, avait décrété qu’il était interdit de se rendre sur le site du Beth Hamikdach ; dans ses écrits, il citait même le rav Kook, premier Grand Rabbin d’Israël, considéré comme l’un des pères du sionisme-religieux. « A la lumière de cette décision, je vous demande de fermer le mont du Temple aux visiteurs juifs, et à ne pas vous laisser intimider par une minorité d’extrémistes et de farfelus », écrivait-il, faisant explicitement référence aux activistes du mont du Temple qui prônent la liberté des juifs à prier sur le lieu saint. « Sous couvert de messianisme, ces groupes détournent la loi juive, y trouvant toute sorte de raisons pour justifier leurs actes… Leur attitude cause beaucoup de mal : les nations en viennent à nous détester, tandis que les ennemis d’Israël se servent de ce qu’ils font pour abattre leurs épées sur nous et mener des attaques terroristes. »
« C’est toujours de notre faute à nous, les juifs »
Telle est l’opinion rabbinique qui prévaut depuis de nombreuses années : les juifs ont l’interdiction de se rendre sur le mont du Temple puisqu’il est actuellement interdit d’y prier. Depuis quelque temps cependant, certaines autorités du courant sioniste-religieux ont autorisé ces visites, prétextant que les zones réellement interdites d’accès par la halakha pouvaient être contournées.
Si le vice-ministre Wortzman pense pour sa part que le débat autour de cette question est légitime, il refuse absolument toute tentative de lier les attentats aux efforts de ceux qui tiennent à se rendre sur le mont du Temple : « C’est là toute la mentalité de l’Exil : c’est toujours de notre faute à nous, les juifs, nous sommes forcément coupables de ce qui nous arrive, c’est pourquoi mieux vaut rester dans notre coin et ne contrarier personne ».
S’exprimant à propos du rabbin Glick, victime d’une tentative d’assassinat il y a deux semaines, Wortzman poursuit : « Le rabbin Glick et ses partisans, pour autant dévoués à leur idéal, peuvent-ils être désignés comme responsables des attaques meurtrières perpétrées par les Arabes ? »
Ce membre du gouvernement ne comprend pas non plus que l’on s’en prenne aux rabbins sionistes-religieux qui autorisent les juifs à se rendre sur le mont du Temple. « Mon propre rav, le rav Haim Druckman, fait partie de ces rabbins qui autorisent de telles visites. J’espère vraiment que le Grand Rabbin ne faisait pas référence à lui dans sa lettre, ni aux autres dirigeants spirituels tels le rav Dov Lior ou le rav Nachum Rabinowitz qui s’inscrivent tous dans cette mouvance. Ce serait une grave offense envers ces érudits de la Torah. »
Un commandement religieux ?
Le rav Tzafaniya Drori de Kiriat Shmona, autre figure du sionisme religieux, va jusqu’à affirmer que le fait de visiter le lieu saint relève d’un commandement religieux. Pour appuyer ses dires, il renvoie à la visite du lieu par les illustres Sages Maimonide et Nachmanide, preuve on ne peut plus éclatante de la permission halakhique de se rendre sur les lieux. « Nous savons parfaitement où il est permis d’aller, et, suivant l’endroit visité, nous nous trempons au mikvé ou non, », martèle le rav Drori. Il affirme que le site du mont du Temple n’a pas changé depuis l’époque du Beit Hamikdach. C’est pourquoi, toujours selon lui, les allégations selon lesquelles il est impossible de situer l’exact emplacement du Temple sont infondées.
« Si nous n’allons pas sur le mont du Temple, d’autres s’y rendront à notre place et prendront son contrôle. Et nous l’aurons perdu », poursuit Drori. « Chaque personne qui se rend sur le site protège ce lieu saint. Et celui qui critique ces personnes renonce aussi à ses droits sur la Vieille Ville de Jérusalem et sur le Kotel. Nous ne cherchons pas la bagarre avec les Arabes, ce que nous faisons n’est en aucun cas une provocation. Par le passé, nos ennemis affirmaient que les visites des juifs au Kotel étaient un motif d’émeutes, aujourd’hui leur excuse pour cela est le mont du Temple », affirme le rav faisant référence aux soulèvements de 1929 durant le Mandat britannique, après l’ouverture du site aux juifs. « La violence à Jérusalem ne date pas d’hier. Elle a toujours eu de quoi se nourrir. Le problème du mont du Temple n’a rien à voir avec ce qui se passe aujourd’hui, c’est juste un leurre. »
La semaine dernière, le chef du parti Shas Arye Deri est allé jusqu’à affirmer que le fait de se rendre sur le mont du Temple était aussi grave que de manger le jour de Kippour, une faute sanctionnée par la peine la plus grave : l’excommunication. « A cause de ces juifs qui s’entêtent, il y a moins de touristes à Jérusalem, moins d’étudiants, le monde entier est contre nous et nous sommes encore plus isolés. »
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